Le 22 mars 2018 à Montpellier, un commando d’extrême droite déloge à coup de bâton des étudiants occupant un amphi de la fac de droit pour lutter contre la sélection sociale à l’université. Trois ans après, les principaux protagonistes vont être jugés dont l’ex-prof Jean-Luc Coronel et l’ex-doyen Philippe Pétel, respectivement pour violences et complicité de violences. Mais de nombreuses parts d’ombres demeurent. Rapports de force, en association avec les médias indépendants Le Poing, La Mule du pape et Radio Gi·ne, revient sur les angles ignorés par le procès.
C’est suite à une grande manifestation pour la défense des services publics et à la tenue d’une assemblée générale se terminant en occupation que le coup de poing se produit. L’objectif des assaillants, royalistes, identitaires ou lepénistes, est clair : bouter les gauchistes hors de cette institution qu’ils considèrent un refuge. À propos de ces violences, l’ancien doyen de cette fac Paul Alliès parle d’une « France rance, antisémite, pétainiste, identitaire ». Déjà, en 1998, des étudiants de Montpellier-1, protestant contre la privatisation des cafétérias, s’étaient fait expulser à coups de barres de fer des bureaux de la présidence. À l’époque, l’ensemble de la communauté universitaire – étudiants, profs ou administratifs – avait condamné d’une même voix ces violences. Qu’en est-il vingt ans après ?
Soutien et omerta
La responsabilité des cadres universitaires est accablante. Emilio Tedeschi, responsable de la sécurité, reconnaît, lors d’une première audition, avoir ordonné l’ouverture de la porte pour laisser passer le commando. Puis, lors d’une seconde audition, confronté au procès-verbal d’un prévenu expliquant qu’il leur a détaillé la configuration des lieux, il admet avoir été présent sur le parking où se sont réunis les assaillants. L’un des agents de sécurité recrutés pour la journée confirme, face aux enquêteurs, avoir été prévenu de l’évacuation, comme le prof Pascal Vielfaure, qui « avait entendu dire qu’une intervention de la police » aurait lieu et le doctorant Thomas, qui évoque « une rumeur disant que des types allaient venir pour libérer l’amphithéâtre ». Mais la responsable administrative Mireille Labrousse, la vice-doyenne Katarzyna Blay-Grabarczyk, le prof François Vialla, la présidente de la Corpo Déborah Abellan et la directrice du laboratoire de droit privé Christine Hugon, présents au moment des faits, jurent n’avoir pas été mis au parfum.
Le lendemain devant la fac, la foule réclame avec succès la démission de Philippe Pétel. Mais la réaction s’exprime : le compte twitter de la fac partage une pétition pour le soutenir, le groupe Facebook « Je suis Pétel » rassemble, le 26 mars, plusieurs centaines d’étudiants devant l’université, dont des militants de Génération identitaire et de la Ligue du Midi (y compris Martial Roudier, accusé de faire partie de la fine équipe) et le 3 avril, un hommage à l’ex-doyen est prévu dans l’amphi 7.
Pendant ce temps, les demandes syndicales de mesures conservatoires à l’encontre des profs accusés restent sans réponse. Le comité de mobilisation de la fac de droit tient, le 29 mars, une conférence de presse pour « briser l’omerta » et dénoncer « la complicité ou l’implication de certains membres du personnel, chargés de TD et étudiants » tandis que l’administrateur provisoire de la fac, Bruno Fabre, envoie un mail à la communauté universitaire pour les « inviter à faire preuve de discrétion […] en n’accordant pas d’interview ».
La faculté de droit a agi pendant toute cette période comme un corps uni, conscient de ses intérêts, ne reniant pas ses éléments d’extrême droite et restant fidèle à Philippe Pétel et Jean-Luc Coronel, perçus comme s’étant sacrifiés pour la cause. La responsabilité morale et politique de nombreux cadres de la fac de droit est écrasante.
Entre notables, on se comprend !
Si l’institution universitaire tend à faire corps, qu’en est-il des institutions policières et judiciaires ? Pour la première, elle n’a pas vu le commando d’une dizaine de personnes arriver, puis repartir le soir du 22 mars. Pourtant, le dossier d’instruction que nous avons pu consulter atteste d’une mise sous surveillance policière de la fac de droit. Et ce, dès l’après-midi, bien avant le vote de l’occupation nocturne, avec une première présence de membre du renseignement territorial. Plus tard, dans le cadre des investigations policières, un étudiant de la fac de droit hostile au blocage, mais choqué de l’intervention du commando, est menacé pendant sa déposition au commissariat, comme le rapporte Mediapart.
« Ton professeur va prendre cinq ans de prison avec tes déclarations au ministère, tocard », lui décoche le policier, toujours en exercice, qui prend sa déposition. S’en suivent des menaces explicites que l’étudiant a enregistré et livré à l’IGPN. La veille, le témoin avait écrit un long courrier au procureur mettant en cause le travail de la police le soir de l’agression du 22 mars. Ainsi, la police se sent plus de proximités avec les universitaires incriminés qu’avec les étudiants contestataires et ceux qui apportent de l’eau à leur moulin. D’ailleurs, le lendemain de l’agression du commando, la préfecture minimisait, n’évoquant auprès de l’AFP que de simples « échauffourées entre étudiants », avant de se raviser.
De son côté, l’instruction n’a pas été dépaysée, malgré les demandes de l’avocat de plusieurs parties civiles. L’ex-doyen Philippe Pétel et l’enseignant Jean-Luc Coronel seront donc jugés par des magistrats formés sur les bancs d’une faculté aujourd’hui sous la lumière médiatique. Après l’agression, les étudiants mobilisés et leurs soutiens n’ont eu de cesse de dénoncer un manque d’empressement à trouver les responsables. Et effectivement, les investigations démarrent sans trop se presser, alors que Philippe Pétel avait immédiatement confié au téléphone à un policier son implication.
Les plaintes sont enregistrées le lendemain de l’agression, mais les premières constatations attendent le 26 mars et Philippe Pétel et Jean-Luc Coronel Coronel ne sont interrogés que le 29 mars, où ils sont mis en examen. Puis, six mois plus tard, des gardes à vue tombent. De celles-ci découleront cinq mises en examen supplémentaires, mais pas plus. Pas tout à fait un acharnement à retrouver l’ensemble des membres du commando. Sur les sept prévenus, quatre ont avoué avoir pris une part active dans l’évacuation musclée de la fac.
Plusieurs restent dans l’ombre. Certains, identifiés comme ayant participé d’assez près aux événements, seront absents de l’audience jeudi. C’est le cas de Jordi Vives Carceller de la Ligue du Midi, pourtant soupçonné d’être à l’origine du top départ de l’agression. Il n’est pas poursuivi. Ni pour complicité ni pour tout autre chef d’inculpation. Pas plus qu’Emilio Tadeschi, le responsable de la sécurité de la fac, qui a accueilli avec Philippe Pétel le commando. Enfin, malgré une demande de l’instruction, le préfet de l’époque n’a pas livré à la juge en charge du dossier, le compte rendu des renseignements territoriaux, laissant cette partie aussi dans l’ombre.
Du coup, jeudi et vendredi, ce seront des individus « défaillants » ; associés à des militants d’extrême droite, qui seront jugés. Les institutions ne seront elles que marginalement exposées.
Photo : Charlotte Montels
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