par F.G.
■ C’est avec patience et jubilation que Tomás Ibáñez avait accepté, il y a dix ans, d’évoquer pour la revue À contretemps son parcours militant et intellectuel. Cette longue conversation – qui dessinait un tableau vivant de ses engagements, mais aussi de ses doutes – offrait également une photographie somme toute précise de ce qu’avait été le mouvement libertaire – français et espagnol – dans les années 1960 et 1970, ainsi que des débats parfois tendus qui l’agitèrent. Car ce fils de l’exil anarchiste espagnol navigua avec autant d’aise dans les eaux troublées de l’un et l’autre mouvements avec une même passion pour l’hétérodoxie. Comme si la désacralisation de toute transcendance – anarchiste comprise – relevait, pour lui, de l’inépuisable plaisir de s’inventer des espaces de liberté renouvelés, l’iconoclaste Tomás Ibáñez, pour qui le mouvement libertaire se vit comme expérience plutôt que comme identité, n’a jamais cessé de croire aux vertus de l’irrévérence et aux joies du paradoxe.
Dix ans après avoir été publiée par nos soins dans un numéro thématique de notre revue (« Figures de l’anarchisme chez Tomás Ibáñez », À contretemps, n° 39, janvier 2011, pp. 15-31), cette conversation avec l’ami Tomás – insérée depuis dans Tomás Ibáñez, Nouveaux fragments épars pour un anarchisme sans dogmes (Rue des Cascades, 2017, pp. 331-408), puis reprise en langue espagnole dans Tomás Ibáñez, Anarquismos a contratiempo (Virus, 2017, pp. 295-354) – va se voir bientôt publiée en langue italienne, chez Elèuthera (Milan), dans une version assez largement remaniée et surtout très augmentée. À la demande de l’éditeur milanais, en effet, elle incorpore des compléments d’information liés aux activités militantes de la mère de Tomás et aux relations qu’il a lui-même entretenues, au cours du temps, avec les jeunes et moins jeunes libertaires italiens. Par ailleurs, cette nouvelle mouture aborde également la question des nouvelles thématiques liées au développement des luttes qui ont agité le champ sociopolitique de cette dernière décennie en Espagne et en France, mais aussi la forme inattendue qu’elles ont parfois prises et les méthodes, souvent héritées d’un inconscient « anarchisme sans dogmes », qui les inspirent.
Comme le lecteur le constatera aisément, le positionnement « postanarchiste » assumé, mais surtout foucaldien, de Tomás Ibáñez a suscité, dans la dernière partie – inédite – de cette conversation, l’expression de clairs désaccords ou discordances entre lui et moi. C’est l’avantage de discuter entre amis qui se connaissent et s’apprécient assez pour ne pas taire les divergences d’analyse ou d’interprétation qui les séparent. Sur ce plan aussi, cette expérience au long cours aura été aussi instructive que réconfortante puisqu’elle prouve que, librement exprimé, le désaccord peut renforcer l’amitié. Ce qui est finalement réjouissant, et pour l’amitié et pour la liberté d’expression du désaccord.
Freddy Gomez
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