Ils et elles nettoient les salles, servent à manger le midi, font la plonge. Dans les lycées, ce sont eux qui portent le poids du protocole sanitaire sur leurs épaules. Oui mais voilà, les agents régionaux sont exténués, contaminés et bien trop peu remplacés. Employés par les régions, ces dernières ne semblent pas avoir anticipé le problème alors qu’il menace dangereusement la capacité d’ouverture des lycées.
C’est une situation ubuesque comme le Covid – ou sa gestion approximative – sait si bien en produire. Lundi 21 septembre, 36 enseignants sur une quarantaine présents dans le lycée Émilie-du-Châtelet en Seine-et-Marne font valoir leur droit de retrait.
Une fois n’est pas coutume ce n’est pas l’Éducation Nationale qui est l’objet de leurs griefs mais la région Île-de-France, employeur des agents qui font la plonge, nettoient les salles ou encore gèrent les alarmes incendie dans les lycées. « Un agent avait été testé positif au coronavirus, 9 autres étaient cas contacts. Il en restait donc trop peu pour nettoyer et désinfecter une quarantaine de salles. Comme à 10h on ne savait pas quelles salles étaient propres ou pas, il y a eu un consensus parmi les collègues : on ne pouvait pas continuer à bosser dans ces conditions », raconte Jean-Noël Tardy, enseignant dans le lycée et membre du SNES-FSU.
Commence alors une valse des plus étrange, où le droit de retrait des enseignants leur permet paradoxalement de reprendre les cours le jour suivant, tout en rendant incertaine l’ouverture du surlendemain. L’enseignant détaille : « Les agents présents lundi ont trimé toute la journée pour nettoyer toutes les salles, ça leur était possible puisqu’on n’y était plus. Le mardi on a donc repris les cours… Sauf qu’on a passé toute la journée à se demander s’il ne faudrait pas faire à nouveau un droit de retrait mercredi, puisque les agents ne pouvaient pas les nettoyer mardi pendant qu’on avait cours. »
Pour que le lycée ne se retrouve plus paralysé la région Île-de-France dépêche plusieurs agents contractuels en renfort. Ils suffiront pour que les enseignants se tiennent à carreaux jusqu’à la fin de la semaine, pas vraiment pour que l’ensemble des agents présents puisse travailler dans des conditions acceptables.
Cinquième roue du carrosse
« Les agents ? C’est la cinquième roue du carrosse, personne ne pense à eux ! C’est incroyable que la région n’ait pas anticipé la crise sanitaire et n’en ait pas recruté massivement », s’indigne Jean-Noël Tardy.
Un manque d’anticipation que dément pourtant la principale intéressée : « L’hypothèse d’un absentéisme des agents régionaux lié à l’épidémie de Covid-19 a été anticipée avant les vacances scolaires d’été : nous avons recruté pour cette rentrée plus de 120 agents supplémentaires pour pallier les éventuelles absences liées à la crise », nous explique-t-elle.
Des chiffres surprenants puisque, fin août, celle-ci se félicitait tout juste, dans un dossier de presse de rentrée, d’avoir pu compenser les départs à la retraite d’agents sur sa dernière période de recrutement. L’augmentation des effectifs restait bien maigre voire carrément problématique : 8 529 agents en 2020, contre 8 476 en 2016. Soit une augmentation nette de 53 agents en 5 ans alors que la population lycéenne a bondi de plus de 17 000 élèves sur la période, selon les propres chiffres de la région.
Le même dossier de presse promettait également de mettre en place un « Fonds d’urgence RH Covid-19 » permettant aux lycées d’avoir recours à une agence d’intérim « dès septembre » pour combler les absences d’agents régionaux. Un dispositif qui, en plus de précariser la profession par le développement de l’intérim, n’était en outre toujours pas mis en place fin septembre.
De Paris à Marseille, même galère
La situation en Île-de-France n’est pas isolée. Si les régions ont toutes un mode de gestion de leurs effectifs d’agents qui leur est propre, le manque de personnel de remplacement est une constante dans tout l’Hexagone. A l’heure où l’épidémie reprend de plus belle, ces problèmes pourraient contraindre les lycées à fermer ou les obliger à fonctionner dans des conditions dangereuses, comme c’est le cas dans la région PACA.
« Comment ça se passe au lycée ?! s’étrangle-t-elle, Oh lalala… » Colette Gomis est chef d’équipe. C’est elle qui gérait les agents au lycée Saint-Charles de Marseille avant d’être cas contact. Ironiquement confinée sur son lieu de travail, puisqu’elle occupe un appartement de fonction, elle assiste impuissante à la catastrophe qui se déroule en bas de chez elle.
« Je pourrais en écrire des romans ! Depuis lundi nous n’avons plus d’agents titulaires dans le lycée, 3 cas de Covid ont été avérés. Le reste des agents, on était cas contacts. La région a envoyé des contractuels en urgence pour ne pas fermer le lycée, ils ne sont pas formés, travaillent n’importe comment, c’est la débandade. La cantine n’a même pas fermé et pour leur éviter de faire la plonge, parce qu’ils n’ont pas le temps, on leur a fait livrer de la vaisselle jetable. »
Contactés plusieurs fois, les responsables régionaux qui auraient pu nous éclairer sur la situation ne nous ont pas répondu. Mais, comme en Île-de-France, la stratégie de la collectivité locale semble plus tenir de l’improvisation que d’une réelle anticipation du problème.
Un syndicat pour anticiper le problème
Il y en a pourtant un qui avait vu venir les problèmes posés par les conditions de travail des agents régionaux : le syndicat FSU des agents de la région PACA, aussi appelé « FSU région sud ».
Début septembre, il fait un constat simple : le protocole sanitaire régional que doivent appliquer les agents (différent de celui de l’Éducation Nationale) multiplie leur temps de travail par trois. « Avant le Covid, pour nettoyer une salle il fallait 10 à 15 minutes, aujourd’hui avec la désinfection on est à 40 minutes », explique Stéphane Coglet, chef d’équipe dans un lycée Marseillais et syndiqué à la FSU région sud. « A cela il faut ajouter les malades et les cas contacts, ce qui diminue les effectifs et peut nous rendre la tâche carrément impossible. Dans nombre de bahuts on ne peut plus garantir la sécurité des élèves, ni celle des enseignants, ni même la nôtre. Envoyer des contractuels, ce n’est pas une solution. Ils ne sont pas formés, faire le ménage, désinfecter une salle ça s’apprend », conclut-il.
S’en suivent deux semaines de tournée dans les lycées de la région pour y organiser une heure de grève et alerter sur ces conditions de travail inacceptables. « Notre employeur nous a enfin reçus jeudi, l’échange a été constructif, nous sommes satisfaits et attendons les résultats de notre réunion de vendredi pour savoir s’ils nous envoient des renforts », conclut Jean Viperai, secrétaire général du syndicat.
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