Le 24 avril 2019, Christophe Castaner officialisait la dissolution du Bastion Social, organisation néofasciste française créée en 2017. Dans plusieurs des villes où elle était implantée, ses militants ne tardent pas à se réorganiser. Mais en fonction des endroits, les reconstitutions aboutissent ou tournent court. État des lieux.
Avec six antennes dans plusieurs grandes villes françaises, le Bastion Social, mouvement néofasciste inspiré de CasaPound en Italie et dont la base militante française est en grande partie issue du GUD, avait le vent en poupe depuis son lancement en 2017. Son action lors de l’acte 3 des gilets jaunes à Paris met cependant un terme à son essor : ce 1er décembre 2019, l’organisation incite à la constitution d’un groupe armé. Selon Mediapart, dont la source est le renseignement territorial français, c’est ce qui lui vaudra une dissolution cinq mois plus tard. La décision étatique met un gros coup d’arrêt à la dynamique fasciste en France. « La dissolution a mis le désordre financier, posé des problèmes administratifs, cassé une dynamique », observe un militant antifasciste lyonnais. A cela s’ajoutent les condamnations pour violences écopées par ses membres à Lyon, Strasbourg, Marseille, Aix-en-Provence ou encore Clermont-Ferrand, qui amputent les nationalistes d’une part de leur troupes et peuvent décourager les moins impliqués.
Si le Bastion Social disparaît, ses militants ne s’évaporent pas pour autant. « Il nous faut repenser entièrement notre manière de militer et nos modes d’organisation en rompant avec le schéma classique des structures à échelle nationale fortement centralisées et hiérarchisées », explique Tristan Conchon, ex-leader du Bastion Social Lyon, le 12 octobre 2019 lors de la 13e édition des journées de synthèse nationaliste à Rungis. Le jeune cadre néofasciste annonce dans la foulée la création de deux nouvelles organisations : Audace (Lyon) et Vent d’Est (Strasbourg). La stratégie a plusieurs avantages : éviter l’accusation pour reconstitution de ligue dissoute, qui « plane comme une épée de Damoclès sur le mouvement nationaliste », mais aussi s’appuyer sur des communautés affinitaires pour construire le mouvement. « Proclamer le parti nationalistes quand on n’a que quelques dizaines de militants épars est inutile (…) Ce n’est pas en changeant de sigle qu’on parvient à changer la réalité », conclut Conchon en citant François Duprat, ex n°2 du FN, théoricien du nationalisme révolutionnaire. Depuis cette annonce, les nouvelles organisations nationalistes ont germé dans quelques villes françaises, voire à la campagne.
Les Monts-du-lyonnais, une antenne à la campagne
La dynamique de réorganisation du néofascisme français est actuellement à l’œuvre dans les Monts-du-Lyonnais. À Larajasse, village situé à une cinquantaine de kilomètres de Lyon, le 29 février ne sera pas un jour comme les autres : la page Facebook « Terra Nostra – Monts du lyonnais » a annoncé l’ouverture d’un local dans un ancien restaurant de la commune à deux pas de la mairie. D’après la description faite sur le réseau social, il a pour but de « défendre et transmettre le mode de vie rural, les traditions françaises et locales ».
La municipalité de Larajasse ne s’y trompe pas : « c’est une association d’extrême droite issue des milieux identitaires de Lyon qui cherche à s’implanter dans la commune », dénonce-t-elle dans un communiqué. Loué par l’association « Les délices de Lug », sous un motif factice : la volonté de promouvoir « la vente de produits locaux », le local de Terra Nostra est en réalité une résurgence du Bastion Social. « Les réseaux sociaux des groupes issus du Bastion Social, comme Tenesoun à Aix, ont largement relayé cette ouverture », appuie Sébastien, chercheur en sources ouvertes alimentant le twitter @primeralinea, qui scrute l’extrême droite française.
Outre la proximité avec la capitale des Gaules, l’implantation d’un local néo fasciste dans les Monts-du-Lyonnais n’a rien d’un hasard. Les 1800 habitants de Larajasse ne sont pas étrangers à la présence de l’extrême droite. En juin 2012, un « barbecue nationaliste » organisé dans un bar du village fêtait la naissance des Jeunesses Nationalistes d’Alexandre Gabriac, qui seront dissoutes, ainsi que 3 autres groupes d’extrême droite, un an après la mort du militant antifasciste Clément Méric. « Dans les Monts-du-Lyonnais les nationalistes bénéficient, selon les forces de l’ordre, de plusieurs bars où les patrons ne cachent pas leur sympathie », écrit Rue89 Lyon dans une longue enquête effectuée dans la région en 2012.
Il y a donc fort à parier que les « produits locaux » que souhaite promouvoir Terra Nostra auront plus à voir avec la propagande politique qu’avec une quelconque activité culinaire. Après avoir infructueusement tenté de garder un local ouvert à Lyon, le Bastion Social nouvelle forme joue la carte de la ruralité, pas sûr qu’elle fonctionne mieux : le conseil municipal de Larajasse, alerté par l’installation des fascistes, l’a refusée à l’unanimité. Les habitants du village, soutenus par ceux des communes alentours et des militants associatifs, organisent également une manifestation contre son implantation le 29 février.
Lyon, capitale du Bastion Social
L’ouverture du local Terra Nostra a partie liée avec la naissance d’Audace Lyon, annoncée par Tristan Conchon et mise à l’œuvre en septembre 2019. Le 15 et 26 septembre 2019, une page Facebook du même nom explique que des maraudes à destination « des plus démunis de nos compatriotes », comprendre : des SDF identifiés comme français, ont été menées à Lyon. Ces actions rappellent celles du Bastion Social, elles mettent en application son slogan : « les nôtres avant les autres », et incarnent une propagande politique qui passe par des actions sociales. Tristan Conchon est à sa tête, on le reconnaît sur des photos Facebook d’Audace où il pose des tracts dans des boîtes-aux-lettres. Quelques jours avant le lancement de la page Facebook Audace-Lyon, il avait d’ailleurs été aperçu tenant une réunion dans un parc lyonnais en compagnie d’anciens membres du Bastion Social Lyon.
Sébastien révèle également que c’est le même groupe Instagram, renommé à chaque fois mais gardant les mêmes abonnés, qui a servi à la fois au GUD, puis au Bastion Social et enfin à Audace Lyon, ce qui prouve la continuité entre ces trois groupes. Il en sera de même à Strasbourg avec la page de Vent d’Est, issue de celle du Bastion Social Strasbourg.
Pour l’heure les militants d’Audace Lyon semblent se tenir tranquille et mettent surtout en avant leurs actions sociales. Mais il n’est pas exclu qu’ils utilisent Audace comme une « vitrine respectable » et s’adonnent à des agressions sous d’autres bannières, rendant leurs organisations plus difficiles à faire fermer. C’est l’hypothèse que fait Sébastien, constatant que quelques semaines après la création d’Audace Lyon, un groupe nommé Lyon Populaire, plus virulent dans sa communication, est créé dans la ville. Il est probable que les militants de Lyon Populaire, qui revendiquent leur fascisme en s’affichant à Rome aux côtés de CasaPound, mouvement italien qui a servi de modèle au Bastion Social, soient les mêmes que ceux d’Audace mais « on n’a pas encore pu le prouver », indique un antifasciste lyonnais. Et Sébastien d’ajouter que les comptes de Lyon Populaire et d’Audace ne se suivent pas sur les réseaux sociaux.
Autre hypothèse, le groupe « Jeunesse Lyon », qui a revendiqué l’attaque d’un bar lyonnais du quartier de Croix-Rousse identifié comme « gauchiste » le 19 décembre 2019 pourrait être une coordination des différents groupes nationalistes, qui ne manquent pas dans la ville, dont les militants d’Audace. « Ils se connaissent tous et il y a de grandes porosités entre ces organisations », conclut Sébastien. Selon une source antifasciste, un militant de Lyon Populaire serait d’ailleurs impliqué dans l’ouverture de Terra Nostra à Larajasse. Enrayée, la dynamique néofasciste est cependant loin d’être éteinte dans la capitale des Gaules.
A Strasbourg Vent d’Est peine à s’installer
A Strasbourg, les néofascistes ne semblent pas parvenir à retrouver la dynamique créée par l’arrivée du Bastion Social en 2017 malgré le lancement de Vent d’Est courant septembre 2019. Le 10 janvier le nouveau groupe annonce l’ouverture d’un local à Ostwald, à 5 km de Strasbourg. En décembre 2018, le Bastion Social avait pourtant dû fermer son local, l’Arcadia, situé dans le quartier de l’Esplanade. A la différence de Lyon où le local du Bastion Social, le Pavillon noir, avait été fermé pour des raisons de sécurité et de mise aux normes, après une visite de la Commission Hygiène et Sécurité de la ville, à Strasbourg une motion demandant la dissolution du mouvement nationaliste avait été adoptée lors du conseil municipal de la ville. Le local de Vent d’Est tiendra seulement 19 jours, bien moins longtemps que l’Arcadia : le 29 janvier le groupuscule néofasciste publie un communiqué annonçant sa fermeture.
« A la différence de l’Arcadia, où le propriétaire les soutenait, là tout le monde était contre eux, le propriétaire, à qui ils avaient menti sur leurs actions, mais aussi la municipalité », témoigne le même militant. « De toute façon leur local était très peu fréquenté, les actions qu’ils proposaient pour se donner un vernis écolo et social – NDLR ramassage des déchets dans la nature et maraude – n’intéressaient pas grand monde dans leur milieu, les autres militants préfèrent les actions musclées où il faut “tenir la rue” comme ils disent. En ce moment nous sommes plutôt tranquille à Strasbourg, c’est dans les stades qu’il y a le plus de fascistes ». Selon Mediapart, le groupe de supporters d’extrême droite « Strasbourg Offender » était proche du Bastion Social de Strasbourg. Militants et hooligans avaient d’ailleurs fait la route ensemble pour participer à l’acte 3 des gilets jaunes à Paris.
Tenesoun, plus tranquille à Aix qu’à Marseille
Le groupe Tenesoun lancé le 21 octobre à Aix-en-Provence est lui aussi directement issu du Bastion Social. On y retrouve d’anciens militants et leaders de La Bastide, le Bastion Social d’Aix mais également de celui de Marseille, le Navarin, tous deux fermés lors de la dissolution. Si, à Lyon, c’est le GUD qui a fourni le gros des troupes du Bastion Social, on retrouve, chez Tenesoun, de nombreux membres de l’Action Française. Dans un long thread twitter, Sébastien recoupe les profils de ces militants parmi lesquels on trouve plusieurs membres de l’Action Française Provence.
Tenesoun, qui a rapidement ouvert un local à Aix-en-Provence, semble être le groupe issu du Bastion Social le moins inquiété pour le moment. La location d’un bâtiment lui permet d’organiser conférences et réunions très régulièrement et de réunir ses militants. La page Facebook de Tenesoun fait également état de tractages à l’université. Pas de nouvelles en revanche du Bastion Social de Marseille. « A Aix et Marseille, c’était déjà un peu les mêmes militants, il semble qu’ils se soient regroupés à Aix. C’est plus facile d’y garder un local qu’à Marseille où il existe une pression des milieux antifascistes plus forte », analyse Sébastien.
Chambéry, retour aux sources
Le groupe nationaliste révolutionnaire « Edelweiss Pays-de-Savoie », créé en 2013 à la suite de la dissolution des Jeunesses Nationalistes par l’État, a tenté l’aventure Bastion Social en 2017. Depuis la dissolution, les militants ont repris leurs activités au sein de leur ancien groupe.
Début février 2018, Edelweiss parvient à ouvrir un local. Bien que le conseil municipal de Chambéry vote rapidement une motion pour le faire fermer, c’est la dissolution par l’État du Bastion Social qui obligera les nationalistes à quitter le lieu. Les militants reprennent alors leur nom d’origine : Edelweiss (ainsi que les comptes affiliés sur les réseaux sociaux). Leur dernière action en date : la célébration des manifestations d’extrême droite du 6 février 1934.
A noter que six membres du Bastion social Chambéry ont été reconnus coupables de violences sur un des supporters venus fêter le titre de l’équipe de France de football le 15 juillet 2018. Un an plus tard, ils écoperont de 6 mois ferme pour l’un d’eux et de 4 mois avec sursis pour trois autres, comme le rappelle un article de Streetpress.
Clermont-Ferrand ne bouge plus
Clermont-Ferrand est la seule ville où le Bastion était anciennement implanté et où aucune nouvelle organisation ne s’est encore déclarée. L’Oppidum, qui avait ouvert un local le 14 juillet 2018, le fermera de lui-même, deux de ses membres étant mis en examen pour des faits de violences. Plus de signe de vie du Bastion Social sur la ville depuis.
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