Mardi 26 février 2019
Mesdames et messieurs membres de l’observatoire de la Laïcité,
Monsieur le président, monsieur le rapporteur général,
Tout d’abord nous tenons à vous remercier de recevoir La Libre Pensée.
Nous saluons les travaux et les initiatives de l’observatoire de la Laïcité qui permettent de discuter de la Loi de 1905, de la laïcité sans exacerber les passions.
La Loi de 1905 est menacée.
Depuis un an, la situation de la laïcité nous inquiète d’autant plus que les services de la présidence de la République, du ministère de l’intérieur ont clairement annoncé leur volonté de « réformer » la Loi de 1905. Selon les annonces, ce serait jusqu’à un tiers de la Loi qui serait réécrit. Nous avons entendu qu’il s’agissait de la renforcer, de la modifier à la marge. Le principal argument étant de « lutter contre l’islamisme politique » et d’adapter la Loi de Séparation des Eglises et de l’Etat à une situation nouvelle. La Loi de 1905 est de par son intitulé une loi adaptée à la séparation des Eglises, comme institution ayant existé lors de la promulgation de la Loi mais aussi apparaissant sur le territoire de la République lors de l’application de la Loi. Nul ne peut se soustraire à la Loi.
Ce premier argument ne semble pas avoir été entendu.
En effet, dès le printemps dernier, en déclarant que la République devait « réparer » son lien avec l’Eglise catholique, Emmanuel Macron a contredit tout l’édifice établi depuis des siècles à partir du Concordat de Bologne de 1516, de l’Edit de Nantes, du rejet des Jésuites hors de France, des Lumières, de l’Edit de Tolérance, de la Révolution française, des trois séparation des Églises et de l‘Etat (1795, 1871, 1905), de tout l’édifice républicain et laïque institué par la IIIe République.
Son intronisation comme Chanoine du Latran pose aussi la question de cette séparation. En la matière, la République française ne peut se soumettre à un organisme privé, à une Eglise. Il n y’a pas de Réparation à avoir, il suffit d’appliquer la Séparation.
Nous mettons en garde contre l’éclatement du cadre républicain dans le cadre d’une loi qui favoriserait les cadres concordataires. Nous avions déjà attiré l’attention des laïques lors de la mise en place des assises de l’Islam, quand le 25 juin 2018, « dans la continuité du discours qu’il a prononcé à la rupture du jeûne par la Conseil français du culte musulman », le ministre de l’Intérieur a publié un communiqué annonçant la tenue « d’assises territoriales » ayant pour objet « d’aborder les thèmes de la représentation institutionnelle de l’Islam de France, de la gouvernance des lieux de culte, du financement du culte et de la formation des ministres du culte », « dans la continuité des instances de dialogue organisées depuis 2015 […] ». Le même jour, il a adressé aux préfets une circulaire, par laquelle il leur a enjoint de tenir ces assises avant le 15 septembre 2018.
Pour nous, les cultes n’ont pas besoin de l’Etat et des services de l’Etat pour s’organiser, ainsi l’Etat se préserve de toute ingérence des religions dans son administration, sa politique, et dans les services publics rendus aux usagers. Multiplier les dérives concordataires, c’est accepter le communautarisme, la mainmise des lobbies religieux, le développement du clientélisme. In fine, le morcellement prononcé du territoire républicain.
Une modification substantielle de la Loi serait fatale à la concorde civile. C’est pourquoi la Libre Pensée demande au président, au gouvernement de ne pas toucher à la Loi de 1905.
Comme l’indique le sondage organisé par l’Observatoire de la Laïcité, près de trois Français sur quatre (73%) se déclarent attachés à la laïcité telle que définie par le droit. Au-delà des sondages, c’est ce sentiment que nous retrouvons dans les diverses initiatives que nous prenons, à travers les 90 rassemblements et initiatives autour du weekend du 9 décembre 2018, en rassemblant des milliers de laïques. Plusieurs appels ont eu lieu pour la défense de la Loi.
La Libre Pensée n’est pas candidate pour réécrire la Loi, la modifier ou participer à sa refonte. La Loi dit tout en matière de police des cultes, en matière de séparation des Eglises et de l’Etat. La seule revendication qu’à la Libre Pensée est que le président et le gouvernement reviennent sur les dispositions qui ont modifié profondément la Loi en 1942, sous le régime de Pétain. En cela, qu’ils rétablissent une stricte séparation des Eglises et de l’Etat.
Comme nous ne sommes pas candidat à participer à la réécriture de la Loi, nous ne le sommes pas plus pour signer des textes, avec les représentants religieux, imposés par le ministère de l’Intérieur. Nous avons la désagréable expérience le mardi 19 février de nous voir associer, à l’inverse de notre avis, à un appel d’union nationale au côté de représentant religieux et d’associations qui n’ont de laïcité que le nom. Si nous devons signer un texte, nous le ferons d’organisation à organisation, et non assujettis à une injonction d’un ministère.
L’indépendance des associations est là aussi un gage de l’expression de la liberté de conscience. Il nous semble essentiel dans ces temps médiatiques où la confusion règne plus facilement que la compréhension, de ne préserver les segments de démocratie que représentent les associations.
Si la Loi de 1905 devait être modifiée, nous le saurions apparemment au terme du « Grand débat », la Libre Pensée prendrait ses responsabilités et engagerait les laïques à une manifestation nationale.
Sur les Crèches de la nativité dans les bâtiments de la République
La Fédération nationale de la Libre Pensée gagne quasiment tous ses recours, à tous les niveaux de juridiction, car elle se place dans une vision de liberté de la loi de 1905. Les libres penseurs ne sont pas des iconoclastes qui veulent éradiquer la religion par la force. Leur seule arme est la raison et le respect du principe de Séparation des Eglises et de l’Etat.
La Libre Pensée ne peut que se féliciter de voir des Préfets agir dans le sens des arrêts du Conseil d’Etat (sollicité par la Libre Pensée) et interdire la présence de crèches catholiques dans les bâtiments de la République. Il y a des maires qui refusent de respecter la loi laïque et qui rusent en permanence. Mais force restera à la loi de 1905.
Sur la Sainte Geneviève
La Libre Pensée attire l’attention de l’Observatoire sur cette question. Les gendarmes, avec le droit de réserve due à leur fonction, ne sont pas des supplétifs de l’alliance du sabre et du goupillon. Leur liberté de conscience doit être respectée, ils n’ont pas alors à se voir imposer une messe en uniforme le jour de la Sainte-Geneviève. De plus, représentants l’Etat, ils n’ont pas à être en uniforme lors d’une cérémonie religieuse. Ils peuvent s’y rendre en civil, à titre individuel, comme n’importe quel citoyen mais ce double choix imposé, lors d’un jour de congés, est un double manquement à la Loi de 1905.
Funérailles civiles
Il ne doit pas y avoir de symbole religieux à l’entrée des cimetières construits après le 9 décembre 1905. Les bâtiments religieux ne doivent pas servir de cimetières religieux, même temporairement, comme le prévoit la loi sur les statuts des cendres. En conformité avec les lois des 14 mai 1881 et 15 novembre 1887, il ne peut y avoir de « carrés religieux » dans les cimetières. L’article 15 du Concordat de 1801 disposait : « Dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d’inhumation particulier ; et dans les cas où il n’y a qu’un seul cimetière, on le partagera par des murs, haies ou fossés en autant de parties qu’il y a de cultes […] ». Mais la loi du 14 novembre 1881, qui abroge l’article 15 du décret du 23 prairial an XII, dispose que « Tout regroupement par confession sous la forme d’une séparation matérielle du reste du cimetière est interdit. » Bien entendu, l’orientation des tombes est aussi libre, cela fait partie de l’ornement des sépultures. Mais la circulaire du 19 février 2008 de madame Alliot-Marie permet de fait la constitution de « carrés religieux ». Elle doit donc être abrogée. On doit revenir sur la loi du 19 décembre 2008 sur le statut des cendres pour permettre une libre disposition et dispersion des cendres, en respectant les volontés des défunts et des familles. Les Rites pratiqués lors des cérémonies de funérailles, quels qu’ils soient, doivent être libres, en tenant compte de la volonté exprimée par les défunts.
Education nationale
Nous nous interrogeons sur la multiplication des structures autour de la Laïcité, notamment sur le manque de réaction du comité des Sages, créé par monsieur Blanquer, ministre de l’Eduction nationale que nous avons saisi sur la question des « internats-relais » proposant une solution de « réinsertion » pour des enfants en grandes difficultés scolaires sur le rectorat de Bordeaux. En effet, dans une circulaire du 18 avril adressée aux chefs d’établissements le Recteur d’Académie de Région (Bordeaux) propose aux parents d’élèves concernés deux établissements confessionnels, catholiques, privés, qui dépendent de la Fondation d’Auteuil, partenaire de l’opération, laquelle ne cache pas ses engagements ni d’être une œuvre d’Église : « Cela signifie que la mission d’Apprentis d’Auteuil – accueillir, éduquer, former et insérer des jeunes en difficulté – est reconnue par l’Église comme pastorale, puisqu’elle est réalisée en référence à l’Évangile »(…) « Dans chaque établissement, l’équipe d’animation pastorale va à la rencontre des jeunes, comme des adultes. Elle répond aux interrogations, organise des échanges qui aident les jeunes à grandir en intériorité. À ceux qui veulent découvrir le Christ, préparer un sacrement, approfondir leur foi, elle propose catéchèse, célébrations, pèlerinages…, en veillant au lien avec les paroisses et les diocèses. (…) »
La Laïcité est un principe, elle doit être apprise, comprise et appliquée. Elle doit d’abord l’être au sein des services publics, de l’école de la République. Par son silence, le comité des Sages donne l’impression de répondre plus à l’assertion de Clemenceau « Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission » qu’à la compréhension de la laïcité. C’est une interrogation que nous vous soumettons : si la laïcité connaît des applications concrètes, tangibles, visibles comment faire en sorte de les populariser quand il de tels manquements sont admis?
Nous déclarons fortement notre opposition à l’amendement d’Eric Ciotti, adopté comme complément à la loi Blanquer dite « école de la confiance », qui imposerait la présence du drapeau français, du drapeau de l’Europe, et des paroles de l’hymne national dans les classes des écoles. Nous ne nous lasserons pas de répéter que le drapeau européen dérive directement de la symbolique mariale qui est tout sauf un gage de laïcité. Le drapeau national impose aux enfants une conception patriotique de l’enseignement, et cela tranche avec la nécessaire neutralité religieuse, philosophique et politique de l’école laïque. La laïcité n’est pas une religion civile.
Nous souhaitons nous exprimer aussi sur la mesure rendant obligatoire l’école maternelle à partir de 3 ans. Outre l’aspect contestable pour les familles de cette nouvelle obligation scolaire, le caractère obligatoire de cette scolarisation permet l’extension de la loi Debré aux écoles maternelles privées, donne obligation aux municipalités de les financer et constitue une nouvelle manne, détournant l’argent public de l’institution scolaire de la République.
Paris, le 26 février 2019
Ni dieu ni maître, à bas la calotte, vive la sociale !
Commentaires récents