6 novembre 2016
Noam Chomsky a livré une série d’entretiens dans les mois qui ont suivi l’attentat du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Leur lecture, aujourd’hui, témoigne de la justesse de ses analyses à chaud et aussi de la pertinence de ses mises en garde.
Il revient tout d’abord sur l’origine de ces islamistes recrutés par la C.I.A. dans les années 80, parmi les plus extrêmes et les plus fondamentalistes, pour mener une « guerre sainte » contre les russes en Afghanistan.
Dès le 19 septembre, il prévoit que cet acte terroriste va accélérer le calendrier de la militarisation, justifier le financement de certains secteurs privés, remettre en cause des avancées sociales et démocratiques.
Il prévient qu’un assaut massif sur des populations musulmanes ferait tomber les États-Unis dans le piège tendu par Ben Laden.
Il rappelle que lorsque les États-Unis utilisent la force et la violence, ils parlent de « diplomatie coercitive », réservant le terme d’ « acte terroriste » à leurs ennemis. Il prend exemple de l’attaque contre le Nicaragua dans les années 80 qui a fait des dizaines de milliers de morts et a pratiquement détruit le pays. Pour se défendre, les Nicaraguayens ont fait appel au droit. Les États-Unis ont été condamnés par la Cour Internationale de Justice, le Conseil de Sécurité de l’O.N.U. et l’Assemblée générale de l’O.N.U. mais ils ont continué leurs bombardements.
Il relève que globalement les médias en temps de crises se rallient au pouvoir et incitent la population à faire de même.
L’explication d’une haine de l’Occident et de ses supposées valeurs (liberté, tolérance, prospérité, pluralisme religieux et suffrage universel) est bien pratique car elle exempte les États-Unis de toute remise en question.
Il rappelle que l’administration Clinton fit bombarder, en août 1998, l’unique usine pharmaceutique du Soudan qui produisait 90% des médicaments du pays, faisant environ le même nombre de victimes que les « crimes horribles » du 11 septembre. Privés de médicaments vitaux, les morts se comptent sans doute désormais par centaines de milliers et pourtant Washington a rejeté toutes les condamnations habituellement utilisées pour juger des crimes semblables mais commis par des ennemis. La « haine irrationnelle » de l’administration Clinton envers le Soudan, refusant ses offres de collaboration y compris en matière de lutte contre le terrorisme, dont une importante base de données concernant Ben Laden et deux cents dirigeants d’Al-Qaida, est la conséquence de tout ce qui est arrivé ensuite.
Même si comparaison n’est pas raison, la Grande-Bretagne aurait-elle du bombarder Boston, principale filière d’armement de l’I.R.A. quand celle-ci commettait des attentats au lieu de, comme elle a préféré le faire, poursuivre par voie de justice les responsables et chercher à comprendre et apaiser les causes des rancœurs ?
Non, décidément, les Etats-Unis commettent bien des actes terroristes en toute impunité et s’arrogent le droit de répondre par la violence plutôt que par le droit à une attaque contre leur territoire, aussi dramatique soit-elle, sans en mesurer véritablement les conséquences.
Le terrorisme n’est pas seulement « l’arme des faibles », il est une composante de l’action des États-Unis, un des pays les plus fondamentaliste au monde. Ce pays ne respecte pas l’obligation de refus de tout recours à la force, sauf en cas de légitime défense, établi par le Conseil de sécurité de l’O.N.U. pour en finir avec les principes qui ont conduit l’Europe au bord de l’auto-anéantissement.
Noam Chomski rappelle que la résolution contre le terrorisme de l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1987 fut adoptée par cent cinquante-trois états contre deux, les États-Unis et Israël, qui n’acceptèrent pas un passage qui affirmait que rien ne pouvait porter préjudice au droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance.
Il démontre ensuite l’absurdité de la notion de « choc des civilisations ». Aucun « monde civilisé » ne plongerait notre planète dans une guerre majeure au lieu d’adopter les méthodes préconisées par le droit international.
Il évoque aussi le Timor Oriental où les États-Unis ont apporter leur soutien aux agresseurs indonésiens, causant l’élimination d’un tiers de la population, chassant 85% des habitants de chez eux et détruisant 70% du pays, jusqu’à ce que Clinton, en septembre 1999, sous les pressions internationales, finisse par siffler la fin de la partie. Ce pouvoir caché de Washington, utilisé plus tôt, aurait pu éviter 25 ans de quasi-génocide.
Noam Chomsky rappelle que les programmes « contre-insurrectionnels » américains ont été conçus conjointement avec des officiers de la Wehrmacht.
Dans les derniers entretiens de cet ouvrage, datant de fin septembre, début octobre 2001, il prévient que l’Afghanistan était sous perfusion et que le goutte-à-goutte va être débranché. Il relève que les Talibans ont annoncé qu’ils accepteraient de livrer Ben Laden contre des preuves mais les Etats-Unis ont prévenu que leur demande n’était pas négociable.
Si l‘exercice éditorial de rassembler des extraits d’entretiens, succession de questions/réponses réunies par thématiques, est ici assez réussi, ce n’est pas sans certaines redondances inévitables. Nous nous sommes tenus à énumérer les déclarations de Noam Chomsky sans chercher à organiser une argumentation rigoureuse, pour rendre fidèlement compte de l’aspect un peu décousu du procédé.
Quinze ans après les faits, ses propos sont toutefois extrêmement lucides, d’autant qu’ils sont prononcés sans aucun recul sur des évènements en cours.
11/9 – AUTOPSIE DES TERRORISMES.
Noam Chomsky
Traduit de l’anglais par Hélène Morita et Isabelle Genet
162 pages – 11 euros.
Éditions Le Serpent à plumes – Collection Essais/Documents – Paris – novembre 2001
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