11 mai 2016 / par Marine Vlahovic (Reporterre)
Le recours du gouvernement à l’article 49.3 pour imposer sans discussion sa loi sur le travail a suscité de nombreuses manifestations à travers la France. A Toulouse, un millier de personnes à parcouru les rues avec détermination. Reporterre y était.
Toulouse, correspondance
Mardi 10 mai, le gouvernement a décidé d’utiliser l’article 49.3 de la Constitution pour imposer la loi sur le Travail : vivement contesté, ce projet de loi a en effet suscité le mouvement Nuit debout et est désavoué tant par les députés LR et UDI que par une partie des députés PS dits « Frondeurs ». L’article 49.3 permet d’éviter toute discussion sur le texte et de l’imposer – sauf si une majorité de députés décident de renverser le gouvernement :
Article 49.3 : Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session.
Dans de nombreuses villes de France, ce coup de force a suscité des manifestations spontanées. A Toulouse, l’appel à rassemblement a circulé par SMS et par les réseaux sociaux : « Avec le 49-3, le gouvernement vient d’acter son passage en force. RDV place du Capitole à 18h ». Un millier de personnes se retrouvent au coeur de la ville rose, à l’appel de la CGT, Nuit debout et de l’Union des étudiant-e-s de Toulouse. Pas de traditionnelle assemblée générale Nuit debout ce soir, mais des prises de paroles indignées contre la stratégie du gouvernement et l’utilisation du 49-3.
« On y va ! » : un cortège spontané s’ébranle dans les rues du centre-ville aux cris de « Valls, Macron, patrons : démission ! ». Direction : la fédération haut-garonnaise du Parti socialiste : « On va leur passer le bonjour aux socialos » lance un « Camille ». La manifestation prend les boulevards, saluée par les klaxons des automobilistes qui avancent au pas. Le cortège s’engouffre dans une petite ruelle. « C’est une souricière » hurle un manifestant. « On est nombreux, on continue » lui répond son voisin. A deux pas du PS, les manifestants sont bloqués par un cordon mince de policiers. Jean-Christophe Sellin, conseiller régional Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées du Parti de gauche se plante devant les forces de l’ordre : « Je suis un élu, vous n’allez pas me taper dessus », tonne-t-il. Un face à face débute.
« On doit demander des comptes aux socialistes », explique Jean-Christophe Sellin, « c’est un déni de démocratie, il ne nous reste plus que la rue pour demander la démission de ce gouvernement ». Le conseiller régional est rejoint en première ligne par un petit homme affublé d’une écharpe rouge. Pierre Timsit, un militant historique est sorti en trombe de la fédération du PS. Le membre de Démocratie et socialisme (groupe de Gérard Filoche) s’écrie : « Je suis socialiste et je suis contre cette loi. Vous n’allez pas me les abimer les petits ».
Les manifestants tentent de forcer le passage. Réplique immédiate et sans sommation des forces de l’ordre à coups de matraques et de gaz lacrymogènes. Au milieu du brouhaha, un appel : « Il y a une blessée ». Une jeune femme est allongée à même le trottoir taché de sang. Plusieurs témoins attestent d’un coup de matraque.
A l’arrivée des pompiers, le cortège reprend les boulevards. « La rue est à nous, le 49-3 ça ne passera pas ». Un jeune homme s’exclame : « J’aurai au moins goûté les gaz de mon patron ». Employé « exploité » dans une usine de fabrication de grenades à quelques kilomètres de Toulouse. Il confie que le matériel est en train d’évoluer. « Actuellement ma boîte est en train de travailler à la création d’un drône pour arroser les manifestations de gaz lacrymo », affirme-t-il.
Un projet de drone larguant des gaz lacrymogènes
« Ca faisait longtemps que je n’avais pas pris autant de gaz lacrymogènes comme ça » : clopin-clopant, Pierre Timsit, le militant socialiste rejoint la manifestation sauvage. « Ce gouvernement est un gouvernement de droite, mais moi je resterai dans le parti de Jaurès jusqu’à ce qu’ils me virent », affirme-t-il.
Le vent d’autan se lève, et il souffle sur Toulouse un air d’insurrection. Des petites barricades sont érigées pour bloquer l’avancée des policiers qui suivent le cortège. Retour place du Capitole sous les cris de joie. Nouvelles prises de parole. Une banderole « Rien n’est fini. tout commence » est déployée. « Contre le 49-3, Manif sauvage » scandent les manifestants. Objectif cette fois-ci : les rues du centre-ville de Toulouse, interdites aux manifestations depuis les rassemblements qui se sont succédés à l’automne 2014 après la mort de Rémi Fraisse. 600 personnes s’engouffrent dans les ruelles. Les habitants se collent à l’encadrement des fenêtres. Poings levés pour certains.
« Nous sommes le pouvoir » clame la manif sauvage qui, durant une heure, joue au chat et à la souris avec les forces de l’ordre déployées dans la ville et qui s’emploient à les empêcher d’aller vers des positions stratégiques comme la Préfecture. Une passante alpague un jeune qui hurle « La rue est à nous ». « Il faudrait peut-être penser aux examens » fait-elle remarquer. « Je passe le CAPES, je vais travailler et je manifeste pour l’avenir de vos petits-enfants » réplique-t-il.
Retour une nouvelle fois au Capitole, le sourire accroché aux lèvres pour les participants : « On les a eu, on a pu reprendre la rue » entend-on. La mobilisation ne semble pas prête de s’éteindre.
Durant ces événements, un policier a été blessé et deux interpellations ont été faites.
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