Brèves février 18, 2016février 18, 2016 Kedistan
Une explosion a fait « officiellement » 28 morts et 61 blessés ce mercredi en fin d’après midi, à 18h31, au centre d’Ankara, près de la place Kızılay.
L’explosion est survenue dans la rue Merasim qui relie le boulevard d’İnönü à l’avenue de Dikmen.
Peu après, les réseaux sociaux, d’abord Twitter, ensuite Facebook étaient censurés. Le communiqué des événements fut fait par les forces armées, puis transmis par l’Agence Anadolu, sous contrôle, puis l’AFP et les médias internationaux. Dommage pour Facebook, qui avait mis en fonction la même application qu’à Paris, signalant « en sécurité » les « amis ».
Même le journal Le Monde en France a dû souligner, faute d’informations même factuelles supplémentaires, qu’il s’agissait d’un communiqué de l’Etat Major. La télévision nationale TRT, si prompte à ouvrir l’antenne lors du massacre de Cizre sur « la victoire contre le PKK », s’est cette fois abstenue de commentaires au delà des virgules du communiqué officiel.
Alors que lors du dernier attentat à İstanbul, dans le quartier touristique de Sultanahmet, le Premier Ministre avait moins d’une heure plus tard annoncé la date et le lieu de naissance du « terroriste », là, une quasi interdiction de commentaires, et une censure des informations ont été immédiatement instaurées, à tel point que plus de huit heures plus tard, il était encore impossible d’obtenir via un quelconque média turc, des « détails » sur l’attentat. Des images de « secours » et de vitres brisées sont diffusées en boucle, quand les chaînes de TV osent encore en parler, comme également quelques images de panique « filmées par un amateur ».
On sait juste que l’explosion a visé des militaires, qu’un car a brûlé, et que des civils auraient été également touchés.
Le point d’explosion est situé à 300 mètres de l’Etat Major. L’explosion serait survenue lors du passage de véhicules militaires de service. Certains de ces véhicules étaient « banalisés » comme le car, et l’explosif aurait été placé dans un car ou une voiture.
plan ankara explosion
Les dirigeants politiques, dirigeants de partis, ministres, se sont immédiatement exprimés en copier collés, condamnant tous unanimement « la terreur », puisque c’est le terme générique employé pour « le terrorisme ». Il y a même eu, dans un bel élan, à la suite du sommet de crise à l’Assemblée Nationale, intitulé « sommet d’unité nationale contre la terreur », un communiqué commun de trois groupes parlementaires, des ultra nationalistes aux kémalistes, en passant par le parti d’Erdogan, l’AKP :
« Nous dénonçons avec force l’attentat ciblant notre sécurité et notre sérénité, notre unité et intégrité. Le terrorisme et la violence n’atteindront jamais leurs buts et objectifs. »
Le HDP, (Parti Démocratique du Peuple) bien sûr, a été tenu à distance.
Erdogan a déclaré enfin :
«De nouvelles pertes s’ajoutent alors que la Turquie lutte contre la terreur, cela nous blesse le coeur et force les limites de notre patience. Nous allons poursuivre la lutte contre les pions qui commettent de tels attentats, qui ne connaissent ni morale ni limites humanitaires, et contre les forces qui les soutiennent, cela avec une détermination chaque jour plus grande. Notre persévérance sur le fait de répondre plus fortement encore à ces attaques qui se font à l’intérieur ou à l’extérieur de nos frontières et qui visent notre futur et notre unité, se renforce encore plus avec ce genre d’actions. Que l’on sache que la Turquie n’hésitera pas à recourir à tout moment, à tout endroit et en toute occasion à son droit à la légitime défense. »
Et depuis, c’est le grand silence, laissant volontairement Ankara en état de choc, avec toutes les mesures permettant d’entretenir une psychose possible d’autres attentats.
Des dirigeants européens ont exprimés leur « condamnation du terrorisme », sans non plus préciser et parfois même, en ajoutant « d’où qu’il vienne ».
Toute la Turquie est maintenue volontairement dans le flou, les accusations partagées contradictoirement entre Daech et le PKK, comme cela figure entre les lignes de la déclaration d’Erdogan.
Daech menaçait l’armée turque dans le dernier numéro du « Konstantiniyye » son magazine officiel publié en turc pour ses « fans » en Turquie : « Le fait d’être dans les forces armées comme les militaires ou la police dans des pays qui sont dirigés par des systèmes démoniaques (Tâghoût), est un blasphème. Il est permis de les tuer, et leur place est l’enfer. » L’Armée turque ayant combattu en Afghanistan, « dans les rangs des Croisés », Daech annonçait « Avec la permission d’Allah, l’Etat Islamique, va faire payer le prix de tout cela lourdement, à ces mécréants qui ont massacré des musulmans ».
Quelques commentateurs turcs se risquaient à faire un rapprochement cette nuit.
Dans ce contexte, Premier Ministre et Président ont annulé leurs déplacements. L’Europe attendra pour sa conférence sur les « réfugiés ». Officiellement, bien sûr, l’enquête, comme on dit « n’exclue aucune piste terroriste ».
Peut être allez vous trouver dans ces lignes, un manque total de compassion pour les victimes de cet attentat. Mais nous l’avons trouvé nous mêmes dans la réaction des autorités turques, plus promptes à des déclarations de guerre et à des surenchères contre la « terreur qui brise l’unité », qu’à constater que la population turque est meurtrie, du fait même de ces guerres intérieures et extérieures, et des velléités affirmées d’intervention de troupes turques en Syrie.
Le grand silence qui succède à l’explosion, tant de la bombe que des déclarations belliqueuses qui suivirent, sera propice, n’en doutons pas, pour préparer un « coup tordu » dont Erdogan a habitué tout le monde depuis l’attentat de Suruç, et ce, avec un soutien renouvelé des capitales européennes.
Signalons que cela n’a pas empêché la police de réprimer une manifestation de protestation dans le quartier de Gazi à Istanbul, contre les massacres au Kurdistan turc, au moment même de l’attentat.
On apprend dans le même temps, que près de 200 personnes sont réfugiées dans un sous sol, et encerclées par les forces de répression à Sur quartier d’Amed (Diyarbakir). Comme pour Cizre, tout secours est empêché, et le siège peut se terminer par un nouveau massacre. Parmi ces personnes retenues et en danger, figure Mazlum Dolan, correspondant de l’agence DIHA :
Nous sommes dans un état terrible. Je suis avec des familles. Il peut avoir un autre Cizre bientôt. Les affrontements sont intenses, l’endroit où nous nous trouvons est bombardé par des obus de chars et de mortiers. Des annonces sont faites : « Nous allons vous abattre d’en haut, tous vous tuer ».
mazlum dolan
Là aussi, c’est censure et grand silence, et « officiellement » au nom de la lutte contre le « terrorisme ».
Il ne s’agit pas d’opposer les morts aux morts, ni de pleurer les uns et cracher sur les autres, d’autant plus sur des victimes civiles probables, mais de constater qu’un homme, Erdogan, un parti, soutenu par des ultra nationalistes, un gouvernement, conduisent les Peuples de Turquie à la guerre, et les dressent les uns contre les autres, depuis trop longtemps.
Jeudi 18 – 12h00
Erdogan a donc décidé d’instrumentaliser cet attentat, comme il l’avait fait pour celui de Suruç (en rompant le processus avec le PKK). Il a ce matin accusé « selon son ministre de l’intérieur » le PKK et ses alliés en Syrie, d’en être à l’origine.
Malgré les démentis au plus haut niveau des forces combattantes kurdes syriennes, le Premier Ministre Davutoglu insiste et parle de concertation entre le PKK turc et un membre syrien « infiltré », qui serait l’auteur de l’attentat. Il justifie ainsi les bombardements par l’aviation turque de positions kurdes en …. Irak.
Il se confirme aussi que des combattants syriens liés à des factions aidées par le gouvernement turc ont repassé la frontière pour aller combattre les forces kurdes, en toute impunité cette nuit.
Ainsi, nous assistons à ce qui pourrait être le prétexte d’une intervention plus conséquente contre les Kurdes de Syrie, qualifiés de « milices » par Erdogan et son entourage.
Dans ce contexte, l’attaque d’un convoi militaire à l’Est de la Turquie, fait de guerre, devient un autre prétexte à « représailles », et le pire peut arriver encore dans la région sous état de siège.
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