3 février 2016 par Commission Journal (mensuel)
L’État, une bande d’hommes en armes, disait déjà Engels. Certes, mais l’addition des lois nouvelles voulues par le gouvernement Hollande crée néanmoins une situation inédite et grave. L’état d’urgence sera dans la Constitution et l’état d’exception dans notre quotidien. Résistance !
Hollande frappe les trois coups, et le rideau se lève sur une scène juridique profondément bouleversée :
En gravant l’état d’urgence dans la Constitution, le gouvernement se protège de toute accusation de pratique abusive, de contestation a posteriori et ouvre la porte à la légalité incontestable de toute nouvelle loi répressive. Le FN ne s’y trompe pas, qui approuve le procédé et claironne qu’il lui suffira, une fois au pouvoir, d’élargir les champs d’application de l’état d’urgence.
Avec la nouvelle loi élargissant les pouvoirs de police (conditions de tir, écoutes, perquisitions de nuit, fouilles de bagages et de véhicules, assignations à résidence…) le gouvernement crée une situation d’exception permanente. Même plus besoin de décréter l’état d’urgence ! Sarkozy avait tenté en vain de supprimer le juge d’instruction, théoriquement indépendant du ministère de la Justice. Hollande, plus malin, se contente de contourner le juge en confiant aux préfets et aux procureurs, fonctionnaires officiellement aux ordres du gouvernement, la mise en œuvre de l’ensemble de ces nouvelles mesures.
Enfin, la déchéance de nationalité, sans aucune efficacité pratique, vient couronner politiquement l’édifice dans un clin d’œil appuyé aux électeurs et électrices du FN. La stigmatisation des personnes issues de l’immigration et dotées de la double nationalité, qui sont déclarées moins françaises que les autres et donc suspectes de terrorisme. Alors que les militaires qui gardaient les abords de la mosquée de Valence ont neutralisé leur agresseur sans le tuer, nous pouvons constater que les flics ont liquidé la plupart des protagonistes présumés des actes terroristes, y compris des demi-fous comme devant le commissariat de Barbès à Paris le 7 janvier. Il ne s’agit en aucun cas de justifier les attaques commises au nom de Daech, mais nous savons bien où nous conduit l lâchage de bride sur le cou des policiers : encore plus de bavures dans les quartiers, des contrôles toujours plus musclés et humiliants pour les jeunes et les immigré-e-s.
Banalisation et aggravation des violences policières
Nous ne pouvons pas accepter une telle banalisation et aggravation. Les affaires révélées à Pantin et dans le XIIe arrondissement ne sont que la partie visible de l’iceberg, tout comme l’immonde meurtre, à Rennes, de Babacar Gueye, tué de cinq balles dans le dos par la police, alors qu’il s’automutilait pendant une crise d’angoisse. L’autorisation de porter son arme en dehors du service et de s’en servir fait craindre l’explosion des représailles individuelles et des conduites criminelles, particulièrement à l’encontre des populations étrangères. Sous l’influence de l’alcool, par exemple…
Les nouvelles mesures voulues par le gouvernement PS doivent être reliées avec les différentes lois qui renforcent les prérogatives policières depuis 1996. En particulier avec la loi sur le renseignement adoptée à l’été 2015, qui permet d’enquêter et d’espionner téléphones et Internet, sans contrôle du juge, pour toute personne soupçonnée d’avoir l’intention de nuire aux intérêts de la nation.
Pour rire un peu dans ce contexte assez terrifiant, signalons à nos lecteurs et lectrices, que, sans doute faute de mosquée à surveiller sur le plateau de Millevaches, l’hélicoptère de la gendarmerie survole quotidiennement en rase-motte la ferme du Goutailloux, connue pour être à Tarnac le lieu d’implantation d’un groupe dont il est difficile d’imaginer qu’il puisse virer au djihad !
La COP21 aura été un test utile au gouvernement. Protégé par la peur des attentats et les lois liberticides, Hollande a réussi une démonstration de force : plusieurs dizaines d’écologistes assigné-e-s à résidence et perquisitionné-e-s, 400 gardes à vues le 29 novembre place de la République après un rassemblement somme toute tranquille… Et guère de protestations !
Les militantes et militants syndicaux sont de longue date habitué-e-s à la répression patronale et gouvernementale. Dans l’actualité, celles et ceux d’EDF, de La Poste, d’Air France, des Conti ou des Goodyear peuvent en témoigner et nous en profitons pour exiger l’arrêt des poursuites à leur encontre, et appeler à une initiative unitaire d’ampleur pour fédérer dans la durée les solidarités autour de ces exemples. Mais les nouvelles lois vont permettre d’aller très au-delà. Par exemple, de placer sous surveillance et écoute les militants et militantes qui envisagent d’organiser une grève qui pourrait nuire aux intérêts de la nation, avant même qu’elle ne soit déclenchée, avant même qu’elle ne soit officiellement convoquée !
Basculement ultra-sécuritaire
Si les élus Front de gauche ont validé l’état d’urgence, si la LDH l’a accepté dans les huit premiers jours, nombre d’organisations sociales et syndicales, issues de l’immigration et des quartiers, et d’intellectuel-le-s ont lancé des appels à la résistance contre les projets du gouvernement. Et certaines n’ont pas hésité à braver les interdictions de manifester.
Jusqu’au sein du PS les mesures liberticides et discriminantes provoquent un malaise important. Ce basculement ultrasécuritaire accompagne naturellement la poursuite de l’offensive ultralibérale. Il est urgent d’étouffer les explosions sociales de masse qui finiront inévitablement par surgir. Accompagnant le virage à droite du gouvernement, il vise aussi à pousser dehors les derniers militants PS ancrés à gauche pour permettre une alliance au centre. Un espace s’ouvre pour la reconstitution d’un front réformiste sur les ruines de l’union de la gauche. Mais sur des ruines il ne paraît pas évident de construire…
Immédiatement investi-e-s dans la dénonciation de l’état d’urgence, les militants et militantes d’Alternative libertaire se sont employé-e-s à fédérer toutes ces initiatives pour déboucher sur une grande journée d’action. Une journée de manifestation a eue lieue le samedi 30 janvier dernier. Le cadre unitaire Stop état d’urgence [1] rassemble plusieurs dizaines de partis, associations, syndicats et collectifs et il s’est fédéré avec les associations des quartiers en intégrant la dimension de la lutte contre les discriminations.
Dans certaines villes (Orléans, Rennes, par exemple), on réussit à fédérer toute les forces alors qu’à Toulouse le mouvement social est divisé sur les mots d’ordres (refus de l’état d’urgence permanent vs refus de l’état d’urgence tout court, dénonciation du racisme vs son invisibilisation…). Au-delà des divergences d’appréciations et de tactiques, nous militons pour une action forte et la plus rassembleuse possible, chacun et chacune pouvant, nous semble-t-il, appeler sur une même date avec ses propres motivations. En ce qui concerne AL, nous dénonçons l’état d’urgence dans son ensemble, tout en n’oubliant pas qu’une éventuelle abrogation ne réglera pas les problèmes de violences policière et de mesures liberticides à l’égard du mouvement social…
Jean-Yves AL 93
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[1] www.stopetatdurgence.org
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