paru dans CQFD n°138 (décembre 2015), rubrique Mais qu’est-ce qu’on va faire de…, par Iffik Le Guen
Open bar pour les syndicats policiers ? Enfin pour certains d’entre eux. Ceux qui sont au paysage syndical de la maison poulaga ce que le FN est à l’échiquier politique. Les revendications « sociales » des hommes en bleu marine ? Oubliées ! Car, mon bon monsieur, ce ne serait pas décent alors que le pays est à feu et à sang de venir réclamer, qui le paiement des heures supplémentaires, qui une augmentation des journées de récupération. Non, pour Alliance police nationale, désormais suivie par toutes les autres organisations professionnelles au nom de la guerre contre la barbarie, ce qu’il faut à nos nouveaux héros, outre le fait de disposer de la puissance de feu d’un croiseur le jour comme la nuit, en service comme au supermarché, c’est un permis de tuer en bonne et due forme.
La supplique est ancienne et la famille Le Pen l’a fait figurer, pas très loin du rétablissement de la peine de mort, dans son « top ten » des mesures à appliquer d’urgence sous le doux nom de « présomption de légitime défense » pour les forces de l’ordre. Au printemps dernier, embrayant sur le sacrifice admirable des flics lors des funestes événements de janvier, le brave parmi les braves Éric Ciotti, ci-devant député Les Républicains des Alpes-Maritimes, déposait un projet de loi allant dans ce sens. A l’époque, Bernard Cazeneuve, ministre de la Police sans doute encore éprouvé par la mort de Rémi Fraisse à Sivens en octobre 2014, s’empressait d’écarter la proposition au motif du respect de la Convention européenne des droits de l’homme. Il concédait aux faucons un vrai groupe de travail sur cette question, rassemblant parlementaires de tous bords et haute hiérarchie de la Sécurité nationale. Sur l’air du « on s’en reparle pendant un prochain dîner en ville … »
Mais qu’apprend-on dans l’édition du Monde daté du 12 novembre dernier, soit 24 heures avant le massacre du 13 ? Alors qu’il s’était fait un peu chahuter lors du congrès d’Alliance au début du mois, le ministre se déclarait à présent favorable à une « modification des conditions d’engagement des policiers ». Dans le sens d’un assouplissement qui les rapprocherait de celles en vigueur pour les gendarmes. Et si tout cela n’était que l’ultime prurit d’une bonne vieille jalousie inter-services ? Voyons plutôt : en gros, les pandores, protégés par leur statut militaire, peuvent faire usage de leurs armes après sommation. Ce qui les autorise sans risquer une condamnation par la justice à tirer dans le dos d’un imprudent qui s’enfuit. C’est ainsi qu’est mort Joseph Guerdner, un gitan de 26 ans, abattu de trois balles par l’adjudant Christophe Monchal alors qu’il tentait de s’évader, les mains menottées dans le dos, de la gendarmerie de Draguignan (Var) en mai 2008. à l’issue du procès aux assises intenté par la famille de Joseph en 2010, Philippe Guémas, l’avocat général, avait eu ces propos éclairants : « Ce qui me paraît malsain c’est qu’on autorise les gendarmes à faire usage de leurs armes, et qu’ensuite on leur reproche. On met les gendarmes dans des situations impossibles. Si on ne veut plus que les gendarmes fassent usage de leur arme, il faut avoir le courage politique de modifier le cadre légal et d’aligner leur statut sur celui des policiers. » Cinq ans plus tard, c’est donc l’inverse qui serait entériné par le gouvernement.
Très maigre lot de consolation : en avril 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France à dédommager les proches de Joseph Guerdner. « Il ne peut y avoir pareille nécessité [d’ouvrir le feu] lorsque l’on sait que la personne qui doit être arrêtée ne représente aucune menace pour la vie ou l’intégrité physique de quiconque […], même s’il peut en résulter une impossibilité d’arrêter le fugitif », avait précisé la Cour. Finalement, après les avoir tant redoutées, le ministre Cazeneuve, droit dans ses bottes, s’apprête à subir les condamnations sans sourciller.
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