par Ludo Simbille 11 septembre 2015
C’est la deuxième convocation au commissariat en moins de six mois. Vendredi 4 septembre, trois délégués syndicaux de la CGT ont été auditionnés par la police de Montluçon (Allier) suite à une plainte de l’entreprise Environnement Recycling. La direction de cette société de recyclage de matériel électronique accuse les syndicalistes de diffamation et d’injures publiques. Ces délits auraient été perpétrés lors d’une conférence de presse tenue par le syndicat en septembre 2014, à laquelle participaient les trois militants : Elena Blond de l’union locale CGT de Montluçon, Laurent Indrusiak de l’union départementale de l’Allier et Rosa Da Costa du comité Régional Auvergne. C’est l’intégralité des propos tenus lors de cette présentation qui est mise en cause par l’entreprise (la conférence est visible ici).
La CGT y dénonce un « scandale sanitaire et social » et un « Germinal moderne » lié aux conditions de travail dans cette entreprise. Travaillant au milieu d’une poussière de verre chargée en métaux lourds, des salariés se plaignaient de symptômes inquiétants : maux de têtes, crachats de sang, maladies de peau (Lire notre article). Depuis 2013, le syndicat alerte l’opinion en multipliant les actions sur la situation de certains salariés d’Environnement Recycling.
Six d’entre eux, soutenus par le syndicat, ont porté plainte aux Prud’hommes pour préjudice d’anxiété, c’est à dire la peur de développer des maladies liées à son activité professionnelle. Le jugement est prévu le 10 novembre. Par ailleurs, une plainte pour « mise en danger d’autrui » avait été déposée l’an dernier par la CGT auprès du Procureur de la République, sans que l’on n’ait à ce jour d’informations sur les suites qui y seront, ou pas, données.
Plaintes contre plaintes
Environnement Recycling attaque à son tour le syndicat sur le terrain judiciaire. Et plutôt deux fois qu’une. En mai dernier, Elena Blond et Laurent Indrusiak sont convoqués par les policiers à la suite d’une première plainte en diffamation. Cette première plainte vise un tract daté de juillet 2014 qui évoque des « plombémies au-dessus du taux normal » [La plombémie est une analyse permettant de déterminer le taux de plomb dans le sang], ainsi qu’un communiqué de presse critiquant le « cynisme » des employeurs.
Pourquoi une telle bataille judiciaire entre une PME et des syndicalistes locaux ? Contacté par Basta !, la direction d’Environnement Recycling n’a pas souhaité répondre à nos questions, estimant que « la procédure d’instruction en cours (la) contraint à réserver aux autorités judiciaires la délivrance de toutes informations ou commentaires ». En février dernier, elle déclarait tout de même être « très confiante quant à l’issue de ces procédures ».
Les conditions de travail toujours en question
« Il y a une réelle volonté de faire taire toute personne qui critique Environnement Recycling », commente de son côté Laurent Indrusiak qui regrette l’immobilisme des pouvoirs publics. Dans une région sinistrée par le chômage (10,7% de sans emplois dans l’Allier), cette lutte en faveur de la protection des salariés a du mal à trouver un écho auprès des autorités locales. Ayant bénéficié d’aides publiques, Environnement Recycling est présenté comme le fleuron local en terme d’emploi, avec 177 salariés. Dans la presse locale, elle se présente régulièrement comme victime d’un acharnement syndical, nuisible à son image et son activité.
Pourtant, les employeurs avaient eux-mêmes reconnu l’inefficacité de leur système d’aspiration de poussières dangereuses dans un documentaire diffusé récemment sur France 5. « Il fallait bien démarrer la production pour s’en apercevoir », expliquait-on. Quitte à mettre en danger ses travailleurs ? Depuis 2013, l’installation d’une ventilation ainsi qu’un suivi médical plus approprié avaient amélioré les conditions de travail. Sauf que depuis notre enquête, de nouveaux salariés se plaignent d’une nouvelle dégradation des conditions. Comme Basta ! l’annonçait déjà il y a quelques mois, les pompiers interviendraient fréquemment en raison d’accidents à répétition au quai de déchargement des appareils électroménagers. De plus, certains de ces salariés auraient été licenciés pour « faute grave » après accumulation de sanctions pour des motifs contestés, comme celui d’être arrivé en avance sur le lieu de travail. Face à ces nouveaux éléments, la CGT a sollicité une nouvelle fois l’Inspection du travail pour être reçue en délégation.
La diffamation, nouvelle arme contre les syndicats ?
Cette affaire intervient alors que plusieurs syndicats dénoncent un climat de répression (lire notre article). « “Casser du militant”, briser des élans sociaux, la répression syndicale reste un des moyens patronaux pour freiner le développement de l’action collective », alerte un communiqué de presse de la CGT. Un rapport de l’Observatoire de la discrimination et de la répression syndicale note un développement de nouvelles pratiques patronales pour se débarrasser de « militants incommodes ». Tags, distribution de tract, blocage de sites deviennent autant de prétextes aux directions pour attaquer des salariés en justice. (Lire ici).
Parmi eux : l’accusation en diffamation. En mai 2015, la secrétaire départementale de la CGT Gironde a été condamnée à verser des dommages et intérêts pour avoir alerté les autorités locales sur les conditions de travail de l’entreprise de Fonderie des ateliers le Bélier. S’il est « inadmissible » pour Laurent Indrusiak, d’être « traité comme un délinquant à cause de son engagement », le secrétaire de la CGT déclare ne pas se laisser intimider. Confiant, il prévient : « C’est une perte de temps et d’énergie mais à la limite une mise en examen nous permettrait de faire la démonstration que ce qu’on dénonce est la réalité ». A suivre.
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