par Henri Maler, le 5 avril 2013
Depuis 1918, de multiples « Chartes de déontologie » se sont efforcées de fixer les principes et les règles d’exercice du journalisme : les dernières versions datent de 2011 et 2012. Depuis quelques années, plusieurs initiatives ont été prises pour que se constitue une instance de régulation de la déontologie, et plus précisément un « Conseil de la presse », suivant ainsi les exemples de plusieurs pays comme le Québec et la Suisse.
« Charte » et « régulation » : ces deux questions sont revenues récemment sur le devant de l’actualité. Parlons-en…
… En soulevant d’abord quelques problèmes. Que valent de telles chartes si rien ne permet véritablement de garantir qu’elles soient respectées ? Quelles sont les conditions minimales de leur application ? Quelle instance de régulation, si elle peut exister, pourrait veiller à leur respect ? L’instauration de règles et d’arbitrages déontologiques peuvent-ils constituer un enjeu décisif sans détourner des combats prioritaires pour une appropriation démocratique des médias ? Sans faire diversion ?
Laissons provisoirement de côté le contenu détaillé des déclarations d’intention consignées dans ces manifestes professionnels (dont on trouvera une liste en Annexe) : quelles sont les conditions minimales qui pourraient garantir leur application et leur respect ?
I. Des conditions minimales
1. Une charte annexée. Pour que les règles déontologiques ne soient pas de simples chiffons de papier, encore faut-il qu’elles soient opposables aux patrons des médias et donc qu’une charte commune soit intégrée à la Convention collective nationale de travail des journalistes (CCNTJ). Or le patronat des médias ne veut pas en entendre parler et s’y oppose avec constance [1]. C’est assez dire l’enjeu du combat correspondant.
2. Des aides à la presse conditionnées. Une deuxième exigence minimale de garantie des règles déontologiques découle de la précédente : il est indispensable que les aides publiques attribuées à la presse et les concessions consenties à l’audiovisuel privé ne le soient que dans la mesure où les médias concernés souscrivent à l’inscription d’une charte de déontologie dans la Convention collective nationale. Mais ce serait encore insuffisant…
3. Un statut juridique des rédactions reconnu. Pour que les journalistes puissent résister aux pressions des PDG et des directeurs de rédaction et leur opposer le respect des règles professionnelles, encore faut-il que les rédactions soient dotées d’un statut juridique qui permette aux journalistes d’intervenir collectivement sur l’orientation éditoriale du titre et les pratiques journalistiques.
4. Un code exigeant. Dès 2009, les syndicats de journalistes (SNJ, SNJ-CGT, USJ-CFDT), dans une lettre ouverte au Président de la République, consultable sur le site du SNJ-CGT, réclamaient « l’intégration d’une charte dans la convention collective des journalistes » et manifestaient de surcroît leur refus d’un code qui « n’engagerait pas la responsabilité de tous les acteurs de la chaîne éditoriale, du plus humble des rédacteurs jusqu’au directeur de la publication, en passant par tous les stades des hiérarchies rédactionnelles » et qui chercherait « à faire porter le chapeau au seul journaliste de terrain, dont la tâche est déjà rendue plus que difficile par les dérives éditoriales et économiques imposées par les éditeurs, ainsi que par des conditions de travail considérablement dégradées. »
Ces conditions minimales ne sont pas nouvelles. Elles ont été formulées depuis longtemps par les principaux syndicats de journalistes. Les trois premières figuraient dès octobre 2006 dans la Déclaration finale de la première session des « États généraux pour le pluralisme » que nous avions contribué à impulser.
Or ces conditions ne sont pas dissociables d’un projet global de transformation des médias qui garantisse leur pluralisme et leur indépendance : des médias soustraits à l’emprise des pouvoirs politique et financier. Ce qui suppose notamment et par exemple, comme nous le proposons, de substituer à l’actuel Conseil supérieur de l’audiovisuel – un organisme-croupion (qui ne « régule que l’audiovisuel) et un organisme-fantoche (un simple cache sexe du pouvoir politique) – un Conseil national des médias… de tous les médias, aux missions étendues et à la composition réellement démocratique ; ou encore d’accorder la priorité, sinon l’exclusivité, des aides à la presse à des médias sans but lucratifs, dotés du statut correspondant.
Mais à quelle instance pourrait-on confier la vigilance en la matière ?
II. Une instance indépendante ?
Tout pas en avant vaut sans doute mieux que le statu quo actuel. Mais tant que les quatre conditions minimales mentionnées ci-dessus ne sont pas réunies, l’invocation de la déontologie restera du pipeau et tout organisme public destiné à veiller au respect de quelques normes professionnelles ne pourrait que faire diversion.
Supposons que les conditions minimales soient remplies : à quelle instance pourrait-on s’en remettre pour se prononcer sur les transgressions des règles professionnelles et quel pourrait être son rôle ? Le débat est ouvert publiquement ; il est ouvert au sein d’Acrimed.
Une telle instance ne peut être la Commission de la carte (dont le rôle est nettement circonscrit) ni le Conseil supérieur de l’audiovisuel (qui comme le souligne le SNJ n’est pas et ne doit pas être une instance de déontologie des journalistes), ni le Conseil national des médias que nous appelons de nos vœux.
C’est pourquoi, depuis quelques années, plusieurs initiatives ont été prises par des associations (voir en « Annexe), et notamment par l’Association de préfiguration d’un conseil de presse en France (APCP) pour que se constitue un « Conseil de la presse », suivant ainsi les exemples de plusieurs pays comme le Québec et la Suisse. Mais surtout le SNJ, lors de son Congrès de Villeurbanne a adopté, le 5 octobre 2012 un appel la création d’une instance déontologique, consultable sur son site
Il semble acquis que, chargé de rendre publics les manquements les plus graves, un tel « Conseil de la presse » ou une telle instance ne serait pas doté d’un pouvoir de sanction, l’assimilant à un Conseil de l’Ordre des journalistes. Fort bien
Mais la version que propose le « document de travail » de l’APCP intitulé « Le projet – amendable – de conseil de presse » (disponible à partir d’une page du blog de l’association) ressemble fort à une usine à gaz. L’appel du SNJ est nettement plus sobre et plus ouvert.
Mais quelques questions méritent d’être soulevées
un conseil ou une instance ouvert aux représentants des entreprises de presse ? Ne serait-ce pas en mutiler d’emblée le rôle, tant il vrai que nombre de transgressions s’expliquent pas les effets des logiques commerciales qui prévalent dans la plupart des médias ;
un conseil ou une instance ouverte à des représentants des usagers ? Mais selon quelles modalités et quelle représentativité ?
Mais surtout :
de quelle indépendance pourrait se prévaloir une instance constituée sans que soient remplies les conditions minimales que nous avons énoncées ? Le SNJ, a cet égard, est très clair sur la plupart d’entre elles.
de quelle portée pourraient être des alertes adossées à des règles de déontologie qui, par définition, ne se prononcent pas sur les conditions d’exercice du pluralisme, sur les conditions de l’indépendance des médias et des journalistes, sur les conditions de formation, d’emploi et de travail des journalistes, sur les formes de l’appropriation de ces mêmes médias ?
Tout ne se résume pas loin s’en faut au respect de la déontologie. Ne pas opposer une fin de non-recevoir aux initiatives qui préconisent la création d’une instance de médiation entre les journalistes et les publics n’oblige pas être dupes. Médiation, oui ! Édredon, non !
Henri Maler
Henri Maler
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