Pierre-Édouard Stérin et l’université catholique : les coulisses d’une rupture imposée

18 nov. 2025

Droits humains

L’université catholique de l’Ouest n’avait pas prévu de mettre fin au partenariat secret avec son puissant bienfaiteur, le milliardaire Pierre-Édouard Stérin. Il a fallu les révélations de Disclose et La Topette, en septembre dernier, suivies d’une mobilisation des étudiant·es pour que la direction de l’établissement revoie ses plans. Retour sur les dessous d’un divorce contraint entre le mécène d’extrême droite et la faculté privée.

Qui veut encore s’associer à Pierre-Édouard Stérin ? Depuis plusieurs mois, le milliardaire d’extrême droite, qui veut voir le Rassemblement national accéder au pouvoir, enchaîne les déconvenues. Cet été, une dizaine de communes ont fuit le label « Les plus belles fêtes de France », financé en sous-main par l’homme d’affaires. À Nantes, Toulouse et La Rochelle, les galas caritatifs des Nuits du Bien Commun, là aussi abondés par la 81e fortune française, ont vu des dizaines d’associations quitter le navire. À Aix-en-Provence, les intermittent·es du spectacle ont refusé de participer à l’organisation de l’évènement ; la soirée prévue dans une salle de concert a fini en ligne. À chaque fois, Pierre-Édouard Stérin s’est gardé de tout commentaire public.

Même chose lorsque Disclose, La Topette et Reflets.info ont révélé les liens financiers secrets entre le milliardaire et l’université catholique de l’Ouest (UCO) comme à l’annonce de la rupture de leur collaboration. Reste que pour ce fervent catholique, comme pour la direction de l’UCO, ce divorce imposé est plus difficile à avaler qu’il n’y paraît.

« C’était comme si on me jetait dans la rue et que je me prenais une balle en pleine tête ». C’est ainsi que l’homme de foi aurait pris la nouvelle, selon l’ancien recteur de l’UCO, Dominique Vermersch, interrogé sur la RCF, fin septembre. Dominique Vermersch n’est pas n’importe qui : pendant dix ans, il a dirigé la rigoriste Communauté de l’Emmanuel, longtemps fréquentée par le nouveau mécène de l’UCO. Surtout, c’est lui qui préside le fonds de dotation John Henry Newman, utilisé par Pierre-Édouard Stérin pour noyauter l’UCO. Sollicité par Disclose, Pierre-Édouard Stérin dément les propos que lui prête son fidèle soutien.

« Accusations fallacieuses »

Pour la direction de l’établissement privé, la chose est entendue. Ce serait le basculement de Pierre-Édouard Stérin « de la philanthropie dans un engagement politique » qui aurait fait changer l’UCO d’avis, à en croire le directeur de cabinet du recteur, Michel Jacquet. « La liberté de l’UCO est de refuser toute proximité politique, aujourd’hui ou demain et de ne pas apparaître comme liée à une quelconque étiquette », explique-t-il dans les pages de Famille Chrétienne.

En réalité, l’université a ferraillé sec pour sauver le soldat Stérin, comme l’indique un e-mail envoyé aux personnels de l’université le jour de nos révélations. « Face à des articles récemment parus dans la presse […] qui portent des accusations fallacieuses et tordent la réalité de nos engagements par des interprétations erronées, le rectorat souhaite réaffirmer avec clarté ses engagements », est-il écrit dans ce courriel obtenu par Disclose. Dans un second courriel, adressé le 12 septembre 2025 aux étudiant·es de L2 de science politique à Angers, le directeur de la filière réitère les attaques, évoquant des « propos fallacieux et diffamatoires ». Il va plus loin, menaçant de poursuites, « y compris judiciaires », les étudiant·es qui dénoncent certains enseignants, en « laissant entendre des comportements racistes, antisémites, homophobes ou transphobes ».

Mobilisation éclair

Rien ne présageait la fin de l’idylle. La preuve : quelques semaines avant la rentrée universitaire 2025, le recteur de l’UCO a assisté au conseil d’administration du fonds John Henry Newman. Laurent Péridy a présenté les projets qu’il aimerait voir financés. À commencer par l’ouverture d’un master en droit public sur le campus d’Angers et un autre sur celui de Nantes. Ce dernier a bel et bien vu le jour. Pour le diriger, l’université a nommé Pierre-Hugues Barré, condamné pour incitation à la haine en 2014, comme Disclose et La Topette l’ont révélé. L’UCO assure à Disclose qu’elle « ignorait » sa condamnation au moment du recrutement. Le nouveau directeur du master nantais n’a pas eu le temps de prendre ses marques : il a remis sa démission dans la foulée de notre première enquête.

De son côté, le fonds John Henry Newman n’a pas voulu répondre à nos questions. Motif invoqué auprès de Disclose : « la teneur biaisée et partielle de [nos] articles précédents ».

L’amphithéâtre Bazin de l’université catholique de l’Ouest à Angers. Photo : Benjamin Rullier pour Disclose

Si Pierre-Édouard Stérin a fini par être bouté hors de l’établissement catholique, ce n’est pas vraiment pour des raisons politiques, son activisme étant connu depuis longtemps. Ce qui a pesé, c’est d’abord la mobilisation éclair du corps enseignant et des étudiant·es de l’UCO. « Toutes les filières se sont mobilisées », rapporte Mathieu*, un étudiant en deuxième année de science politique qui a participé à la rédaction d’une tribune publiée dans L’Humanité. Le texte, qui demande que l’UCO « ne soit pas un terrain de lutte idéologique », est accompagné d’une pétition : elle a été signée par près de 400 élèves en quelques heures. « On avait mis un QR code dans les toilettes et on la faisait signer directement dans la cour », poursuit Mathieu. De quoi faire réellement trembler la direction de l’UCO : son budget annuel dépend à 80 % des frais d’inscription des élèves.

Une question persiste : que va devenir le Fonds John Henry Newman, dont la mission consiste à « développer la recherche universitaire » au sein de l’UCO ? L’UCO est-elle toujours représentée au conseil d’administration du fonds ? La direction de l’établissement assure à Disclose que le président de l’association gestionnaire de la faculté, Gaël Izenic, « a quitté son poste au conseil d’administration du fonds John Henry Newman » et des « démarches liées au remboursement des sommes versées à l’UCO » sont en cours. Face aux atermoiements de l’université, les étudiant·es, pour leur part, restent vigilant·es. « Enquêtez ; vous pourrez toujours compter sur nous », glisse l’un d’eux.


*Prénom d’emprunt

Enquête : Pénélope Blanchetête, Ariane Lavrilleux, Julien Collinet (La Topette)
Rédaction en chef et édition : Mathias Destal
Photo : Benjamin Rullier

https://disclose.ngo/fr/article/pierre-edouard-sterin-et-luniversite-catholique-les-coulisses-dune-rupture-imposee

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