
Du Chiapas à la Palestine
paru dans lundimatin#497, le 17 novembre 2025
À l’occasion de l’anniversaire de la formation politico-militaire de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) ce 17 novembre 2025, et en complément de l’article « À 42 ans de se formation : ¡Viva EZLN ! », nous proposons quelques considérations croisées depuis la situation passée et présente de la Palestine et du mouvement zapatiste au Chiapas, relatives à la « question du génocide ».
En septembre 2021, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) alertait le monde, avec la publication du communiqué « Le Chiapas au bord de la guerre civile… » [1]
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, sur la dégradation constante de la situation au Chiapas – et ce, renforcée par la présidence de la gauche institutionnelle mexicaine, sous la bannière du Mouvement pour la régénération nationale (MORENA, parti d’Andres Manuel Lopez Obrador et de Claudia Sheinbaum, successivement au pouvoir depuis 2018). Ce n’était pas la première fois que le mouvement zapatiste interpellait « le peuple du Mexique et les peuples du monde » à condamner la violence paramilitaire, militaire, gouvernementale et criminelle, ainsi que la constante stratégie contre-insurrectionnelle à laquelle ces différents groupes contribuent.
Depuis, les conflits armés, territoriaux et agraires, les vols et viols, arrestations et séquestrations [2]
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, les assassinats, la fabrique de coupables et les disparitions n’ont pas cessé [3]
[3] Le Centre de droits humains Fray Bartolomé de Las Casas…
. Bien au contraire, la complicité entre le crime désorganisé – les autorités politiques des 3 niveaux de gouvernement du Mexique, de plusieurs partis confondus – et le crime organisé – les cartels et « narcos » – continue de garantir une impunité structurelle à la brutalité qui affecte les populations originaires et les gens ordinaires qui vivent et luttent au Mexique, défendant leurs conditions d’existence, le territoire et les cultures. Par ailleurs, la porosité entre les groupes criminels, les mauvais gouvernements et les industries capitalistes nationales et transnationales – qui imposent des megaprojets inutiles et nuisibles soutenus par la politique moréniste de la « Quatrième Transformation » [4]
[4] Le prétentieux projet de la « Quatrième…
– tend à intensifier un dangereux désordre belliqueux où la vie, humaine et extra-humaine, est constamment menacée par la quête insatiable du pouvoir et de l’argent.
En octobre 2024, l’EZLN interrompait l’annonce des Rencontres internationales des résistances et des rébellions 2024-2025 (sur le thème : « La Tempête et le Jour d’Apres ») [5]
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, alertant sur les agressions, l’intimidation avec des « armes longues de haut calibre » et les menaces, notamment de « viol envers les femmes », subies par les villages zapatistes du Caracol de Jerusalen « avec le soutien des autorités municipales d’Ocosingo et du gouvernement de l’Etat du Chiapas » (Parti Vert Écologiste du Mexique – PVEM et MORENA, respectivement) [6]
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. Par ailleurs, les zapatistes indiquent que les « mauvais gouvernements » se sont engagés à « remettre aux agresseurs les papiers accréditant leur propriété sur les terres spoliées ». Ce violent conflit de « papiers », corollaire de la logique propriétaire de la modernité capitaliste, résulte de la politique contre-insurrectionnelle du « mauvais gouvernement » de Claudia Sheinbaum qui, s’appuyant notamment sur le programme démagogique et populiste « Sembrando Vida » initié par son prédécesseur, attise les conflits agraires et territoriaux en poussant les populations paysannes de la région à agresser les zapatistes pour « les déloger des terres qu’ils occupent et travaillent de manière pacifique depuis plus de 30 ans ». Les autorités politiques municipale, étatique et fédérale, qui sont les responsables intellectuels de ces agressions, auraient passé un « accord » avec les agresseurs, sous la pression du crime organisé, pour « donner un caractère « légal » à cette spoliation ». Ici on retrouve, de façon exemplaire, les trois acteurs de l’instabilité existentielle de celles et ceux « d’en bas » qui, au Mexique, vivent pacifiquement et luttent pour la défense du territoire, des cultures et de la vie. Le village zapatiste agressé avait finalement été contraint de se déplacer.
Depuis trois décennies, les communautés zapatistes et l’EZLN, qui est une armée d’autodéfense à visée principalement dissuasive, affrontent pacifiquement diverses et récurrentes attaques. L’effort zapatiste du refus de la lutte armée, privilégiant « le dialogue et les accords » avec leurs agresseurs et la mobilisation du soutien de la société civile nationale et internationale et de ses réseaux de solidarité, est l’une de ces nombreuses forces.
À peine un an plus tard, en septembre 2025, le village de Belen situé dans la région rurale du Caracol 8 « Dolorès Hidalgo » (dont Ocosingo est la municipalité officielle), subit aussi une spoliation institutionnelle et criminelle, base des conflits territoriaux et armés qui affectent la région. Alors que ce territoire a été libéré par le soulèvement armé de 1994 et que les communautés bases d’appui de l’EZLN y vivent pacifiquement, travaillant la terre légalement depuis 1996, les zapatistes y dénoncent la préparation du « choc, [de] l’affrontement et [de] la guerre » par les autorités des trois niveaux de gouvernement [7]
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. Face à ces provocations, intimidations armées et actions violentes, le mouvement zapatiste annonce qu’il a décidé de « se retirer pour planifier la défense nécessaire ». Privilégiant toujours la puissance des mots à la force des armes, les zapatistes rappellent : « Notre tentative de recherche de dialogue n’a pas abouti. Nous avons souvent dit que nous ne voulons pas la guerre. Ce que nous voulons c’est la vie en commun ».

Chaque 1er janvier, en commémoration des zapatistes tombé•es au combat à l’aube de l’année 1994 et du chemin parcouru depuis, l’EZLN fait une démonstration militaire. A cette occasion, le commandement zapatiste réaffirme sa disposition à l’usage de la parole, plutôt que des armes. Si les miliciens et miliciennes, insurgé•es zapatistes de l’EZLN y défilent sans armes, munis de bâton au rythme chorégraphié de la cadence militaire, l’EZLN reste une armée équipée et entraînée. Ces dernières années, face à la dégradation de la situation au Chiapas, le commandement de l’EZLN a souvent insisté sur son rôle armé au sein du mouvement zapatiste, largement civil.
La teneur des mots et la gravité de la situation subie par les peuples zapatistes nous oblige à agir de façon stratégique, créative et performative, au gré des diverses modalités jugées pertinentes, pour garantir la pérennité du mouvement dans les territoires autonomes du Chiapas. Si ce contexte est loin d’être inédit, son intensité actuelle est néanmoins très préoccupante. Voici les derniers mots écrits en majuscule dans le communiqué original des « gouvernements en commun », adressés « aux peuples du Mexique et du monde, aux compañeros et compañeras du Congrès National Indigène, à la société civile nationale et internationale, aux organisations des droits humains, aux médias alternatifs, à la presse nationale et internationale » : « Prenez soin de vous. Nous nous reverrons peut-être ou peut-être pas. Il se peut que la fois où nous nous sommes vus lors des dernières rencontres ait été la dernière. Nous resterons attentifs et en contact et vous maintiendrons informés. Pourvu qu’à cette rencontre au « Semillero » vous nous ayez compris concernant tout ce que nous avons dit. C’est à dire la recherche de la vie en commun. Frères et sœurs du Mexique et du monde, voilà ce qu’il y a, le plan du néolibéralisme au Mexique à notre encontre. Comme nous l’avons bien dit à la rencontre au « Semillero » : aujourd’hui c’est la Palestine, demain ce sera nous. »
Alors que l’on a souvent eu tendance à vanter, et à raison, les précieux apports théoriques et pratiques du mouvement zapatiste pour nos réflexions et nos actions, ces fameuses « graines rebelles », il nous a semblé important de consacrer quelques lignes à la situation difficile vécue au Chiapas par les zapatistes. Le cheminement zapatiste, dont la construction civile de l’autonomie est au cœur, n’est pas exempt des considérables et violentes entraves auxquels les résistances et les rebellions, dans le monde, doivent faire face. Cette violence qui affecte les peuples zapatistes, s’exerce aussi sur l’ensemble des populations originaires et gens ordinaires du Chiapas, du Mexique, d’Abya Yala et du monde, c’est à dire, dans « chaque partie du tout » – bien que différemment en fonction des territoires, des assignations « de classe, de race et de sexe », et des positions dans la pyramide globale. Depuis octobre 2023, l’EZLN publie fréquemment des communiqués sur la configuration actuelle du système-monde, dont la « pyramide-mère » est le capitalisme [8]
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, et sur l’intensification des dominations et de la guerre protéiforme et permanente qui le caractérise. La guerre d’anéantissement prémédité et d’extermination massive en Palestine en est une sanglante démonstration. Bien avant l’actuelle et continue férocité israélienne, le mouvement zapatiste exprimait déjà sa complicité et sa solidarité avec la Palestine. En janvier 2009, lors d’une prise de parole à un séminaire intitulé « À propos de semis et de récoltes », le sous-commandant Marcos réagissait à la guerre de conquête israélienne en Palestine : « Peut-être que notre pensée est trop simple et qu’il nous manque des nuances et des subtilités si nécessaires, toujours, dans les analyses mais, pour nous, Zapatistes, à Gaza, il y a une armée qui est en train d’assassiner un peuple sans défense. Qui, en bas et à gauche peut rester sans rien dire ? » [9]
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Face au dépeuplement génocidaire et aux destructions écocidaires subis par la population et les territoires palestiniens, il est nécessaire et vital de soutenir la résistance palestinienne, de manifester une solidarité matérielle, interculturelle et transfrontière, ainsi qu’une détermination active. En ces temps sombres, nous partageons aussi un regard inquiet orienté vers le territoire autonome et les peuples zapatistes au Sud-Est du Mexique. Les mots zapatistes résonnent : « Aujourd’hui c’est la Palestine, demain ce sera nous ».
Pour compléter et amplifier ces quelques considérations croisées, nous avons choisit de partager un texte de John Ross daté de 2003, publié pour la première fois en janvier 2004 dans le journal mexicain Ojarasca et re-publié en novembre 2025 dans le journal Desinformemonos [10]
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, presque 22 ans plus tard. La version proposée est une traduction en français de la dernière publication mentionnée.
Il ne s’agit nullement d’appuyer une symétrie fallacieuse, d’autant qu’il est évident que cet article est daté, et nous ne partageons pas nécessairement l’ensemble du propos de son auteur. Mais il nous a semblé essentiel de rétablir les ponts entre les mondes en croisant les regards, pour interroger les similitudes et les spécificités, et approfondir notre compréhension de la situation passée et actuelle au Chiapas et en Palestine. C’est aussi, modestement, une invitation à situer et à repenser la « question du génocide » laquelle, bien que particulièrement connotée par les atrocités nazis du siècle dernier, n’en reste pas moins une notion transhistorique. « Génocide », ce n’est pas seulement un concept pour les lointains débats historiques et juridiques, c’est une blessure dans le cœur et la chair, un souvenir douloureux et un effrayant présent que connaissent, chacun avec son histoire mais aussi en commun, les peuples du Chiapas et de la Palestine. La mort et l’oubli qui lui sont caractéristiques, ont marqué la mémoire et la résistance de nombreux peuples du monde. Veillons à ce qu’il ne soit plus jamais un lendemain.

La destruction des cultures est un génocide
Comme chaque année, la campagne de recrutement de volontaires pour travailler dans les oliveraies en Palestine recommence, « dans l’une des saisons les plus difficiles dont on se souvienne ». Baqa, qui signifie littéralement « rester », est « un hommage à la force morale des Palestiniens et à leur défi, de rester sur leurs terres et de cultiver leurs fruits, alors que leurs terres ont été soumises à une campagne atroce d’attaques de colons, de vols de terres, d’épuration ethnique et de spoliation inacceptables », peut-on lire sur une carte publiée sur Instagram par l’Union des comités agricoles (UAWC) le 9 octobre 2025 [11]
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[ndt. Ajout de la rédaction de Desinformemonos].
8 décembre 2003, Chiapas/Palestine. La saison est relativement abondante pour celles et ceux qui cultivent la terre en Palestine et au Chiapas, deux régions occupées. Sous la main ferme des paysans et paysannes, les ânes patients transportent la récolte vers les villages de Los Altos de Chiapas et vers ce minuscule lambeau de terre qui reste de ce qui fut autrefois la Palestine. En fait, les ânes des deux géographies sont interchangeables et les paysans et leurs familles ont tous « la couleur de la terre », comme l’a dit le sous-commandant Marcos de la caravane qui s’est rendue à Mexico pour demander au Congrès d’approuver une réforme constitutionnelle sur les droits indigènes, il y a trois hivers [ndt. La « Marche de la couleur de la Terre » est une initiative zapatiste réalisée en 2001, pour exiger au Congrès de l’Union le respect et la ratification des Accords de San Andres de 1996].
Si les distances traversent les océans et les déserts, les points communs entre les paysans de ces deux terres occupées tissent des ponts entre les cultures, les langues et même les dieux.
En septembre [2003], les piliers du commerce mondial se sont réunis dans la luxueuse station balnéaire caribéenne de Cancún pour contraindre le Sud à se soumettre aux deux fléaux que sont l’ouverture des marchés et les subventions agricoles, impositions qui pénalisent les nations pauvres et en développement, car elles ne font que creuser le fossé entre les nantis et les démunis. Le Japon, par exemple, dépense 7,50 dollars par jour pour chaque vache qui paît sur ses terres, tandis que la moitié de la population mondiale — plus de trois milliards d’êtres humains — survit avec à peine deux dollars, voire moins, par jour.
En réponse à l’arrogance de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), 12 000 paysannes et paysans se sont réunis pour manifester à Cancún. La solidarité des personnes réunies sous la bannière de La Vía Campesina, qui représente 100 millions de paysans pauvres et leurs familles dans 70 pays, était palpable.
Le suicide de Lee Kwang Hae, dirigeant coréen, a démontré si clairement son désespoir, que beaucoup de délégués ont été profondément touchés. Lorsque, insensibles à cette tragique tournure des événements, les États-Unis, l’Union européenne, le Japon et d’autres géants du commerce ont continué à faire pression avec leur proposition de domination économique de la planète, les nations pauvres et en développement ont quitté le train en marche et les négociations (et peut-être même l’OMC) se sont effondrées comme un château de cartes.
Les paysannes et paysans d’Afrique du Sud et du Brésil, d’Inde et du Kansas, de Corée et des villages mayas voisins, ont joué sur le même accord. « Nous ne permettrons pas qu’ils nous expulsent de nos terres », a déclaré l’un des compagnons de Kwang Hae lors des funérailles. Ce sentiment a souvent été exprimé à ce journaliste lors d’un récent séjour en Palestine pour la récolte automnale des olives.
La lutte pour mettre fin à l’occupation israélienne, la construction du territoire et l’élément « terre » — sans oublier les oliveraies si profondément enracinées dans ce sol rocailleux — sont au cœur de la volonté palestinienne d’accéder à la libération nationale.
Chargée d’une symbolique lourde, icône amère et ironique d’une paix fracturée, la défense des « zaytoons » ou oliviers est intimement liée à la viabilité d’une économie agricole, fondement sur lequel repose l’État palestinien lui-même. L’assaut des forces d’occupation contre ces arbres ancestraux et tortueux que les paysannes et les paysans cultivent depuis des millénaires a pour but d’écraser ce rêve et de consolider la conquête israélienne.
Depuis la création d’Israël en 1948, l’État sioniste s’est approprié et a abattu près d’un demi-million de ces oliviers, pour justifier des améliorations infrastructurelles ou sous prétexte que les arbres fournissaient une couverture aux combattants palestiniens. Il les a également clôturés afin d’étendre le « périmètre de sécurité » des 196 colonies illégales qui pillent les terres et les ressources de la bande de Cisjordanie.
Dans des villages tels que Awwarta, Bet Fariq, Yanoon et Ein Abus, dans la vallée de Naplouse, les colons israéliens de droite, généralement partisans de Meir Kahane (démagogue raciste né à Brooklyn et fondateur de la Ligue de défense juive), terrorisent les Palestiniens pendant la récolte automnale des olives sans que l’armée ou la police israéliennes n’interviennent.
À Ein Abus, un groupe d’observateurs internationaux, dont le présent journaliste (conduit par les Rabbins pour les droits de l’homme, basés en Israël), a été frappé en octobre par les colons alors qu’il tentait de vérifier la destruction par Israël de 200 oliviers palestiniens. Les victimes ont porté plainte, mais la police israélienne n’a ouvert aucune enquête.
Il n’y a pas de meilleur moyen de comprendre la lutte des agriculteurs palestiniens que de se rendre sur leurs terres face à l’occupation israélienne et de travailler côte à côte avec les villageois et leurs familles à la récolte des olives. Chaque matin, les paysans chargent leurs ânes d’échelles et de bidons et se rendent dans les petites parcelles familiales (de dix à vingt arbres), division de la terre qui est restée intacte depuis l’Empire ottoman.
Traditionnellement, les olives sont secouées de l’arbre vers les tonneaux disposés en dessous, mais dans les arbres « grands-pères », vieux de plus d’un siècle, fragiles mais toujours productifs, les olives sont ramassées à la main. À la fin de la récolte, les arbres sont taillés et les communautés cuisent du pain cérémoniel au feu de bois d’olivier. Même les noyaux d’olives sont séchés pour être utilisés comme combustible pendant les mois d’hiver, parfois enneigés.
Les après-midi froids, les hommes se réunissent pour fumer et discuter dans le pressoir local. Le volume de la récolte diminue d’année en année et la surabondance d’huile d’olive au niveau mondial a fait chuter les prix. Jusqu’à l’année dernière, le gouvernement israélien ne délivrait pas de permis d’exportation aux habitants et cette année, les permis coûtent plus cher que la transformation.
Malgré tous les barils d’huile d’olive que Saad Abdul n’a pas pu vendre et qu’il stocke dans sa cave à Awwarta, et malgré les obstacles pour les mettre sur le marché (l’Autorité palestinienne en achète une partie), il est déterminé à ne pas abandonner ses terres. Assis à table devant un humus préparé à partir de ses propres pois chiches, du pain pita fait avec son blé d’hiver, des poulets rôtis de son poulailler, du yaourt produit par ses quelques vaches et, bien sûr, sept variétés différentes d’olives, Saad jure de rester sur ses terres. Il agite alors le bras en voyant le festin, rit et dit : « C’est pour cela que nous n’abandonnerons jamais notre terre ».
La promesse de Saad de résister a trouvé un écho à Cancún, et ce même écho alimente la rébellion zapatiste au Chiapas. Lors des discussions avec le gouvernement mexicain, les journalistes ont entendu le commandant zapatiste David répondre aux représentants fédéraux qui insistaient pour qu’il dise ce que voulaient réellement les rebelles : « Nous, les indigènes, sommes des paysans et nous voulons continuer à être des paysans ».
La rébellion zapatiste dans les jungles et les montagnes du Chiapas trouve son origine dans cette promesse. En 1993, dix ans plus tôt, avec l’horizon de la mondialisation permise par l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), et alors que les États-Unis, le Canada et le Mexique négociaient les quotas d’importation de maïs qui excluraient les « peuples du maïs » du marché intérieur, les zapatistes ont déclaré la guerre au gouvernement néolibéral de Carlos Salinas [ndt. Carlos Salinas de Gortari est issu du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) et président du Mexique de 1988 à 1994]. Ce soulèvement, qui a eu lieu au moment même où l’ALENA entrait en vigueur, continue de faire rage au Chiapas dix ans plus tard [ndt. Cette année, plus de vingt ans plus tard, l’Armée zapatiste de libération nationale célébrait ses 42 ans de formation politico-militaire et le mouvement zapatiste les 31 ans de son apparition publique].
Tout comme la Palestine, le Chiapas est un État occupé. Bien que le président Vicente Fox confine ses soldats dans des complexes de type vietnamien sans les déployer directement à l’extérieur des communautés rebelles, l’armée mexicaine maintient 18 000 soldats dans la région, soit un pour cinq zapatistes [ndt. Vicente Fox est issu du Parti action nationale (PAN) et président du Mexique de 2000 a 2006].
Pour les Mayas, et pour les 57 peuples indiens qui comptent peut-être plus de 20 millions de citoyens et citoyennes composant le Mexique indigène, l’occupation a commencé il y a cinq siècles, lorsque Hernán Cortés a jeté l’ancre à Veracruz, le Vendredi saint de l’année 1519. Ce jour-là, la population indienne du Mexique oscillait entre 12,5 et 25 millions d’individus. Un siècle plus tard, lorsque les conquistadors européens ont effectué le premier recensement, il n’en restait plus que deux millions — un génocide qui constitue un holocauste au moins deux fois plus important que celui qui a décimé les Juifs en Europe et qui a finalement été utilisé pour justifier l’annexion de la Palestine lors de la création de l’État d’Israël.
Malgré ces holocaustes, les Indiens du Mexique et les Palestiniens n’ont toujours pas réussi à conserver un territoire.
Aujourd’hui, le sud du Mexique n’est pas seulement occupé par les militaires. L’agro-industrie transnationale, stimulée par l’ALENA et les 21 000 dollars par acre de subventions que le gouvernement américain accorde à ses propres producteurs de maïs, pousse le Mexique à importer du maïs de mauvaise qualité à moins de 20 % de son coût, ce qui chasse les paysans indigènes de leurs terres. L’émigration depuis le Chiapas est aujourd’hui la plus élevée du sud du Mexique et les paysans abandonnent leurs milpas [ndt. parcelle agricole travaillée par l’association traditionnelle et permaculturelle des cultures de maïs, de courge et d’haricot] et leurs plantations de café pour se diriger vers le nord, où des centaines d’entre eux sont morts dans le désert de l’Arizona en essayant de trouver du travail « de l’autre côté ».
Les plus de 3 000 Mexicains qui ont trouvé la mort à la frontière avec les États-Unis forment une pile de cadavres plus haute que celle des victimes des attentats terroristes du 11 septembre aux États-Unis, mais cela n’est rien comparé au nombre de Palestiniens tués pendant les deux intifadas sous l’occupation israélienne. [Et ce sont les chiffres de 2003].
Pour consolider sa domination, l’agro-industrie transnationale inonde le Mexique de maïs génétiquement modifié — peut-être quatre des six millions de tonnes que le Mexique a importées l’année dernière dans le cadre de l’ALENA. [Aujourd’hui, en 2025, nous parlons de 16 800 tonnes de maïs importé]. On trouve du maïs transgénique dans des communautés reculées de Oaxaca et de Puebla, là où le maïs a évolué en tant que culture locale il y a plusieurs millénaires. Aujourd’hui, la graine de maïs est menacée dans le lieu qui l’a vue naître.
Pour les indigènes mexicains et les Palestiniens, la destruction de ces deux cultures vitales, qui les identifient en tant que peuples, est un moyen de les effacer, ainsi que leurs noms, de la surface de la terre. Il n’y a pas d’autre façon de qualifier ce mal que de le nommer génocide.
Pour celles et ceux qui souhaiteraient actualiser et approfondir les informations et les analyses de l’article de John Ross sur la situation des paysans et paysannes de Palestine et de la culture des olives, il est possible de se référer à l’article intitulé « L’État israélien entreprend la destruction des fondements matériels ancestraux du peuple palestinien », publié le 14 novembre sur le site de Desinformemonos [12]
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Entre 2003 et 2025, qu’en est-il de la « continuité dans le changement » qui spolie, détruit et dépeuple la Palestine ?
En 2009, dans le communiqué susmentionné, le sous-commandant Marcos écrivait :
« Est-ce utile de parler ? Nos cris peuvent-ils arrêter une bombe ? Notre parole sauve-t-elle la vie d’un enfant palestinien ?
Nous, nous pensons que, oui, cela sert, peut-être que nous n’arrêterons pas une bombe, peut-être que notre parole ne se transforme pas en un bouclier blindé qui empêcherait cette balle de calibre 5.56 mm ou 9 mm dont les lettres « IMI », (“Industrie Militaire Israélienne”), sont gravées sur la cartouche, d’atteindre la poitrine d’une petite fille ou d’un petit garçon palestinien, parce que peut-être notre parole arrivera à s’unir à d’autres du Mexique et du monde et peut-être qu’elle se convertira d’abord en un murmure, puis en une voix plus forte et enfin en un cri qu’on entendra à Gaza.
Nous ignorons si vous le savez, mais nous, Zapatistes de l’EZLN, savons combien il est important, au milieu de la mort et de la destruction, d’entendre des mots de soutien.
Je ne sais pas comment l’expliquer mais il se trouve que, oui, peut-être que les mots depuis très loin n’arrêtent pas les bombes, mais ils permettent d’ouvrir une brèche dans la chambre noire de la mort et d’y laisser passer une petite lumière. »
Aujourd’hui, malgré l’obscurité qui habite leur quotidien et menace leur existence, les palestiniens et les palestiniennes conservent la vigueur qui anime la résistance pour une paix durable, digne et juste, et pour une Palestine vivante et libre.
¡Viva l@s zapatistas en Chiapas !
¡Viva Palestina !
Lupa Serra
Photo de bannière : Julia A
[1] https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2021/09/19/chiapas-al-borde-de-la-guerra-civil/
[2] https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2025/05/06/innocents/
[3] Le Centre de droits humains Fray Bartolomé de Las Casas a récemment publié un rapport intitulé « Chiapas, dans la spirale de la violence armée et criminelle » : https://www.frayba.org.mx/informe-frayba-violencia-armada-criminal
[4] Le prétentieux projet de la « Quatrième Transformation » ou « 4T » du Mouvement pour la régénération nationale (MORENA), lancé par Andres Manuel Lopez Obrador (président du Mexique de 2018 à 2024) et poursuivi par l’actuelle présidente Claudia Sheinbaum, est une politique qui vise une « transformation socio-politique et économique » du Mexique, notamment via des programmes sociaux et des projets développementalistes. A ce propos, les zapatistes écrivent : « Il est clair que la quatrième transformation est du côté des gros propriétaires et des hommes d’affaire nationaux et transnationaux. Telle est la véritable quatrième transformation. Elle n’est pas du tout pour les peuples pauvres du Mexique » (septembre 2025).
[5] https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2024/10/16/convocation-aux-rencontres-internationales-de-rebellions-et-resistances-2024-2025-theme-la-tempete-et-le-jour-dapres/
[6] https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2024/10/17/lezln-denonce-des-agressions-et-des-menaces-contre-ses-bases-dappui/
[7] https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2025/09/30/assemblee-de-collectifs-de-gouvernements-autonomes-zapatistes-a-c-g-a-z/
[8] https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2025/10/06/3-postscriptums-3-viii-le-commun-contre-les-boites-mortelles-et-les-pyramides-une-assemblee-de-cheffes-de-chefs-et-de-cheffes/
[9] https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/10/20/a-propos-de-semis-et-de-recoltes/
[10] https://desinformemonos.org/en-palestina-y-en-chiapas-los-campesinos-juran-defender-la-tierra/
[12] https://desinformemonos.org/el-estado-israeli-emprende-la-destruccion-de-la-base-material-ancestral-del-pueblo-palestino/

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