Après les gilets jaunes – Résistances et révolutions au temps du capitalisme autoritaire post-libéral

Remettre sur les rails au quotidien les objectifs, théories et pratiques de processus révolutionnaire

vendredi 14 novembre 2025, par Stratégie & co.

Un plaidoyer pour changer de stratégie, de perspectives et de modes d’organisation, pour interpeller les personnes qui ne s’engagent pas du tout ou très peu mais qui en réalité pourraient le faire, pour inviter un maximum de monde à (re)mettre sur les rails et dans le quotidien les objectifs, théories et pratiques de révolution et de « processus révolutionnaire ».
Pour sortir des impasses et désastres présents et à venir, il faudrait en effet développer des bases révolutionnaires locales évoquées plus bas, la situation nous y invite de plus en plus fortement.
Soyons réalistes et pragmatiques, mais pas à la manière des libéraux et autres partisans de l’ordre établi…
Mettons-nous pour de bon à la hauteur des problèmes, et des solutions requises, visons la révolution !

C’est l’anniversaire des 7 ans du début des gilets jaunes, il est grand temps de reprendre le flambeau pour le mener le plus loin possible.

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D’abord quelques constats basiques pour rappel, dont certains sont développés dans les articles cités plus bas

  • Découplage historique entre capitalisme et libéralisme politique : fin des concessions pacificatrices via la distribution de droits et de biens de consommation, exacerbation des antagonismes et du contrôle – Avènement d’un capitalisme très autoritaire post-libéral
  • D’autant plus qu’avec le remplacement des travailleurs humains par des IA et robots avancés, le travail disponible va drastiquement diminuer
  • Avec ces crises profondes du capitalisme, les risques de guerres et de néofascismes augmentent fortement
  • La civilisation industrielle (capitalisme, Etats, société de masse, système techno-industriel, patriarcat…) génère aussi des atrocités de masse via sa destruction planifiée de la biosphère, des conditions d’existence et d’un climat vivable
  • La civilisation industrielle est irréformable – Les transitions et altercapitalismes ne sont que des illusions dangereuses ou des variantes tout aussi pires
  • Des milliardaires et leurs médias favorisent l’hégémonie d’extrême droite, ou au minimum un « post-capitalisme » autoritaire toujours plus destructeur qui maintient le pied au plancher vers les carnages
  • Face à tout ça, les idées et pratiques d’une grande partie de la gauche (partis de gouvernement et syndicats notamment) sont complètement dépassées et inopérantes. D’une part elles ne cherchent pas une rupture avec la mégamachine, mais cherchent plutôt d’impossibles et fragiles aménagements, elles mènent donc à des impasses, au maintien du système mortifère en place. D’autre part, leurs idées molles et leurs pratiques non offensives rencontrent peu d’échos et peuvent être assez facilement ignorées ou piétinées par les pouvoirs en place et leurs chiens de garde (flics, médias, institutions… qui de plus sont dans la surenchère répressive, comme on a encore pu le constater à nouveau en septembre 2025). Les élections nationales semblent hors de portée (et puis même en cas de victoire, les blocages seraient forts, jusqu’à de possibles coup d’Etat), tandis que les classiques mouvements sociaux sont à présent (quasi) sans effets notables, et que les velléités révolutionnaires de type ouvriéristes ont été abandonnées et de toute façon ne jouent plus un rôle central. La mégamachine et ses maîtres ne veulent/peuvent plus lâcher de miettes pour calmer les peuples, ils veulent utiliser la force, le spectacle, la sidération et la soumission. Et sont prêts aussi pour la guerre, ou l’ambiance militariste/nationaliste, et le néofascisme.
  • Les peuples et les gauches sont en situation très assymétrique par rapport à la puissance de l’Etat et des médias de milliardaires, au rôle normalisateur de l’école et de toutes les structures sociales, à la brutalité et la surprésence des diverses sortes de flics, à l’hégémonie capitaliste et ses lobbyistes rémunérés, la dépossession de nos moyens de subsistance, notre dépendance à la mégamachine, l’habitude de la soumission et de la résignation, la séparation infinie en classes sociales et culturelles, la séparation spatiale, à une perte de la culture d’autonomie et de lutte, à la puissance du spectacle et des silos des réseaux internet, la perte de lieux culturels/politiques et de rencontres sociales, etc.

Le processus révolutionnaire, c’est le seul réalisme pragmatique

- Quand on met tout ça bout à bout, on comprend vite que pour renverser la vapeur, bifurquer vers des sociétés vivables et soutenables, limiter vraiment la casse, les petites minorités radicales et offensives, quelle que soient leur bonne volonté, ne suffisent pas du tout. On l’a vu en 2023 pour les retraites et en septembre 2025. On sait aussi depuis longtemps que les démonstrations massives type manif et grèves perlées n’ont que très peu de poids.
Et puis agir et s’organiser épisodiquement, lors d’un mouvement social ou d’un épisode d’émeutes, ou agir de manière sectorisée à tour de rôle, ça ne suffit pas du tout non plus.
Que ça nous plaise ou non, que ça nous fasse peur ou non, on voit bien qu’il est vital de réhabiliter très sérieusement et très largement les notions et pratiques de révolution sociale, de libération totale (voir livre plus bas), de rupture radicale, de basculement révolutionnaire.

Des mouvements à visée franchement révolutionnaires larges, pas portés par des minorités ou de supposées avant gardes.

Des mouvements à visée franchement révolutionnaires larges et populaires, pas portés par des minorités ou de supposées avant gardes.
On comprend que l’utopie fumeuse et l’impasse, ce n’est pas « la révolution », mais bien le réformisme et ses rêves d’altercapitalisme ou de planification étatique, les petits pas, les supposées transitions, l’attentisme, la résignation, la reconduction des mouvements sociaux peu offensifs, etc. Toutes choses qui ne freinent pas, ou très peu, les dystopies en cours, et surtout qui n’offrent aucune perspective de mondes vivables autrement qu’à des micro-échelles temporaires.
Sans révolutions dans de nombreux pays, à commencer par les pays industrialisés, toutes les catastrophes décrites plus haut, et d’autres encore, vont fatalement continuer, et s’aggraver.

Des mouvements révolutionnaires du 21e siècle

A quoi ça pourrait ressembler un mouvement révolutionnaire de nos jours, vu qu’il s’agit d’éviter les mouvements centralisés et hiérarchiques si on veut réussir et éviter le retour du même ?

- Quelques pistes à creuser, tester, améliorer, adapter au contexte… :

  • Les bases révolutionnaires seraient d’abord ancrées localement, dans un bassin de vie – Puis il sera possible de créer des ponts avec d’autres régions, proches ou éloignées
  • Il s’agirait de mettre en lien, et même parfois ensemble, toutes les catégories de personnes dominées, opprimées et révoltées, pas seulement les prolétaires
  • Le spontané et l’informel pur ne suffisent pas, il faudrait aussi des formes de réseaux, de coordinations rejoignables facilement via certaines structures et actions
  • Il y aurait donc pas seulement des structures invisibles ou clandestines, mais aussi des collectifs et associations visibles, publiques, avec des structures déclarées
  • Il faudrait des actions directes reproductibles par n’importe qui et pas seulement des gestes exécutables par de petites minorités plus entraînées et spécialisées
  • Ces bases révolutionnaires locales agiraient toute l’année, au quotidien, par rapport à des problématiques locales, et pas seulement lors de mouvements sociaux ou d’offensives plus larges – La révolution est imprévisible et ne se décrète/fabrique pas, mais on peut construire consciemment tout un terreau fertile vivant et multiforme lui donne plus de chance de germer et de réussir quand le moment est là
  • Elles agiraient toute l’année dans de très nombreux domaines, à ajuster en fonction des conditions locales : alternatives concrètes plus ou moins radicales au modèle étatico-capitaliste, bases arrières, autonomies et subsistances, luttes sur tous les fronts avec divers moyens (où les tactiques des autres ne sont pas dénoncées), solidarités, soins, pressions, éducation populaire politique… – Divers pôles complémentaires et connectées construiraient un large front de résistance multiforme et mutiactivité – La multiplicité des formes et des groupes rendraient ces bases révolutionnaires difficilement pénétrables et démentelables par l’Etat et ses flics, car il n’y aurait ni têtes ni centre, et un groupe ciblé par la répression pourrait être remplacé assez vite par un autre remplissant les mêmes fonctions (et il pourrait même y avoir des doublons). (Souvent, certains de ces pôles existent déjà, mais ils seraient à renforcer et à inscrire dans un réseau-coordination orienté franchement vers la révolution.)
    • Exemples concrets de groupes/activités pouvant constituer un tel réseau : salles et lieux pour réunions publiques ou privées, maisons du peuple, moyens d’impressions, lieux pour confectionner banderoles et panneaux, lieux plus discrets pour d’autres outils de lutte, lieux de production maraîchères et de transfo, lieux de soins physiques et psy, divers moments de solidarités (vers les SDF, personnes en galère de fin de mois ou de loyers…), bibliothèque/vidéothèque/infokiosques, médias autonomes web et papier, formations diverses (GAV, sécurité numérique) et partages de savoir tout domaine, salles de sport (combat, renforcement musculaire, maintien en forme), restaurants ou épiceries solidaires, bricolages, moyens de transports et autres matériels (barnums, sonos, tables, ordinateurs, vidéoprojecteurs…) partagés, cantines populaires, groupes de chorales ou de haka, caisses antirep, friperie (avec vêtements et accessoires pour les actions directes, commandes groupées…), glanage et récup, etc etc.
    • toutes choses utiles à LUTTER, DEFENDRE, ORGANISER, CREER, ATTAQUER, S’ENTRAIDER
    • Voir cette proposition du CLVD de 2024 qui allaient dans ce même sens : Culture de résistance et de solidarité dans un bassin de vie

- Tout ceci, combiné et concernant de nombreuses personnes engagées, permettraient de  :

  • montrer, ébaucher pratiquement et évoquer des modes de société désirables, vivables – pour motiver les membres du « réseau », s’entraîner à vivre et penser autrement, et limiter le nombre de personnes hostiles
  • monter en compétences, capacités d’action, robustesse (à la fois solidité, horizontalité et souplesse)
  • inclure toutes sortes de personnes, avec des radicalités et des disponibilités variables
  • augmenter la visibilité et l’acceptabilité des idées et pratiques révoluionnaires
  • se saisir plus facilement et rapidement des mouvements plus larges qui se présentent pour y intervenir avec beaucoup plus de force et de réussites
  • populariser par divers moyens les idées et pratiques révolutionnaires

- Sans doute rien de bien original ici, mais ce qui fait la différence est la combinaison ensemble, consciente, désirée, construite et avec beaucoup de personnes, de ces divers facteurs, et bien sûr que ce soit orienté principalement vers la révolution, pas vers le réformisme, l’aide humanitaire ou l’activisme pur.

- Même s’il n’y a jamais de révolution effective, ou dans longtemps, tout ce processus révolutionnaire et ces « réseaux » locaux permettraient de nettement mieux vivre (matériellement et psychiquement) à pas mal de monde, de préserver des mondes et d’améliorer le rapport de force en notre faveur, notamment et d’abord localement.

- Une des taches des radicaux pourraient être d’inviter à discuter et réfléchir sur ce type d’idées, pour, sait-on jamais, les populariser et que leur mise en pratique fasse tache d’huile.
Au processus de fascisation et de destruction, opposons la créativité irrésistible et indestructible d’un processus révolutionnaire.Après les gilets jaunes – Résistances et révolutions au temps du capitalisme autoritaire post-libéral

Quelques constats et réflexions utiles

- Wokisme et négativité – À partir du constat que la critique du prétendu « wokisme » est devenue l’un des principaux piliers du discours et des pratiques de l’extrême-droite contemporaine et qu’elle sert à réprimer tout autant les revendications des groupes ou minorités opprimés, les mobilisations écologistes et pro-palestiniennes que le combat contre l‘islamophobie, je formulerai ici deux hypothèses. (…) l’anti-« wokisme » est la manifestation du découplage historique entre capitalisme et libéralisme politique (…) Je plaide donc ici pour une prise en compte de la restructuration et de la clarification des antagonismes propres au déploiement du capitalisme autoritaire et post-libéral afin d’identifier les nouvelles lignes de partage que ce déploiement implique. (…) la période post-libérale qui s’ouvre, en tant que source d’exacerbation des antagonismes, offre au camp anticapitaliste la possibilité de redéfinir les conditions d’une rupture véritable. Celle-ci ne demande ni soumission à un sujet révolutionnaire unique, ni la « convergence des luttes » sur la base d’identités positives dont il faudrait coordonner les revendications

-  Faire bloc faire peuple – Meeting pour l’alliance d’une force commune et populaire : antiraciste et anticapitaliste + https://faireblocfairepeuple.org/
Rappelez vous, en 2005 : le peuple s’est exprimé fortement 2 fois : par les révoltes des banlieues et par le « non » à la constitution européenne (celle-là même qui jeta les fondations du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui).
Rappelez vous : 2018, les gens vêtus de leur gilets jaunes occupent les ronds points pour une fois de plus dire « non » et rédiger des cahiers de doléances.
Si racisés et blancs, blancs et racisés ont, chacun de leur côté, lutté et essuyé brutalités policières et étouffement de leur parole, le mouvement qui a émergé il y a 20 ans n’est pas terminé.
Il s’agit maintenant de construire un bloc, un peuple, uni dans une force commune et trouver ensemble les ressources pour bâtir une société conçue par lui et pour lui.
(…) ensemble contre le fascisme, l’impérialisme, le capitalisme
https://faireblocfairepeuple.org/

- Pour contrer l’extrême droite, il nous faut rêver grand
En réaction au succès de l’article de Rob Grams consacré à ce que Marine Tondelier incarne politiquement – une écologie bourgeoise essentiellement compatible avec le macronisme – des centaines de ses partisans sont venues nous accuser de “faire le jeu de l’extrême droite”. Face au péril du RN, très haut dans les sondages, l’extrême-droitisation du débat public et, c’est nous qui l’ajoutons parce que ces gens le passent généralement sous silence, le déjà-là fasciste en France, il faudrait faire bloc “à gauche” et s’abstenir de toute critique sur la complaisance de certains de ses candidates et candidats avec le capitalisme ou la pensée dominante. J’irai droit au but : je pense tout l’inverse.

- [Livre] Libération totale. Perspectives révolutionnaires dans un monde mortifère
Ce petit livre, publié au milieu d’un été chaud de rébellion, en 2019, répond à une question ancestrale à laquelle tous les révolutionnaires sont confrontés…
« Les excuses creuses que les défenseurs de l’existant nous serviront n’ont pas de limite. Mais il est temps d’en finir avec eux et de rompre résolument avec les certitudes de ce monde, qui n’offrent plus aujourd’hui que la certitude de l’extinction. Pour que la biodiversité survive au siècle, l’humanité doit oser remettre en cause l’économie elle-même. Une tâche souvent impensable quand on sait que l’économie a été la principale bénéficiaire de la pulsion religieuse, avide de nouvelles formes depuis la mort de Dieu – le retrait progressif du théisme en tant que force morale stabilisatrice. Pourtant, il n’y a aucune chance de rédemption ici. Il n’y a pas de vie après la mort où chercher le salut, ni d’autre planète où s’échapper. L’économie doit être détruite. Il faut la démolir complètement. Sinon, elle ne fera qu’arriver à destination, achevant sa course suicidaire vers le bord de la falaise, emportant chacun d’entre nous avec elle. »
Libération Totale propose une perspective révolutionnaire holistique visant à démanteler toutes les formes de hiérarchie – une approche insurrectionnelle d’un genre nouveau fondée notamment sur l’écologie sociale, l’écologie profonde et l’antispécisme. Ce petit livre, publié au milieu d’un été chaud de rébellion, en 2019, répond à cette question ancestrale à laquelle tous les révolutionnaires sont confrontés, mais qui ne cesse de se poser avec une urgence sans précédent depuis l’année de sa publication : qu’est-ce qu’on va bien faire bordel ? !

- Sainte-Soline : une « riposte proportionnée » selon le gouvernement – Retour sur une triple répression : militaire, médiatique et judiciaire, qui a marqué une étape de plus vers la fascisation
(…) Une « commission d’enquête parlementaire » avait été créée après le carnage de Sainte-Soline. Pas pour enquêter sur la gendarmerie, mais sur « l’ultra-gauche ». Le 5 octobre 2023, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin y intervenait pour raconter la journée du 23 mars. Il assénait que « juger de la réussite d’une opération de police (…) suivant les conséquences du nombre de blessés et éventuellement du nombre de morts me semble être un mauvais débat médiatique ». Relisez attentivement : tuer des manifestant·es est désormais parfaitement assumé. Selon Darmanin, la question n’était pas de savoir « si les forces de l’ordre ont le droit d’utiliser cette violence, car elles ont le droit ».
(…)
Plus personne ne peut ignorer que, depuis le 25 mars 2023, le gouvernement peut utiliser n’importe quel grand évènement social ou écologiste pour tuer ou mutiler afin de terrifier, et qu’il aura à sa disposition tout un appareil médiatique, judiciaire et politique pour faire accepter cela à la population. Telle est la nouvelle normalité.
- Voir aussi : À propos de Sainte-Soline et des images révélées par Mediapart – « Pourquoi les gendarmes sont-ils tous des bâtards ? »


- Il y aurait bien sûr plein d’autres textes et mouvements à ajouter (et aussi de nombreux éclairages et exemples historiques, comme les zapatistes, le mouvement anarchiste en Catalogne et en Espagne…), citons juste, sur Ricochets et ailleurs :

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https://ricochets.cc/Apres-les-gilets-jaunes-Resistances-et-revolutions-au-temps-du-capitalisme-autoritaire-post-liberal-8831.html

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