Un appel à la résistance contre les fauteurs de haine et d’inégalité
par Bettina Papillon, Nicolas Pasadena
10 novembre 2025
Le texte qui suite est un manifeste qui nous est parvenu et que nous avons choisi de publier, dont le propos pourrait se résumer ou s’amorcer ainsi : les Blancs des banlieues doivent prendre la parole face au racisme et face à la menace d’une arrivée de l’extrême-droite aux pouvoir.

Quel est le constat ? Nous sortons d’une élection législative il y a un peu plus d’un an, qui a vu le RN échapper à la majorité grâce au sursaut de deux tiers du pays qui lui a dit non ! Avant, après et maintenant, nous avons essuyé un discours de polarisation opposant « ruralité blanche et banlieue non-blanche » comme s’il n’y avait pas de non-Blancs dans les espaces ruraux, et comme si les Blancs avaient disparu des banlieues populaires. Car se sont répandus, depuis des années, des discours sur le « malaise » de la population « de souche » face à l’immigration, l’insécurité, l’islam et autres « insécurités culturelles » auxquels il faudrait absolument apporter des réponses.
Ces dernières années nous avons été pris à témoin, nous les Blancs des banlieues, à plusieurs reprises : suite aux révoltes qui ont eu lieu après la mort de Nahel, pris à témoin par un État qui prétend intervenir pour soi-disant protéger nos bagnoles ou nos services publics (qu’il détruit pourtant méthodiquement), pris à témoin par un Zemmour et son poison du « grand-remplacement », enfin pris à témoin durant l’année 2021 par des tribunes de militaires et policiers en appelant au coup d’État, expliquant que nous, les Blancs des banlieues, nous vivrions un enfer dans nos territoires… Après ces acharnements racistes successifs prétendant venir à notre secours et nous mettant ainsi en première ligne de la réaction nationaliste, une parole doit se faire entendre. La parole de Blancs des banlieues populaires !
Qui sommes-nous ? Nous sommes les Blancs des banlieues, qui y ont grandi, qui sommes d’origine ouvrière, et qui y vivons toujours ! Blancs car l’histoire coloniale nous a fabriqués comme blancs. Nombre de Blancs de banlieues sont issus des immigrations portugaise, italienne, espagnole, polonaise… ou des migrations régionales internes à l’Hexagone, et d’ailleurs, peu importe. Certains vivent, ou ont vécu, ou ont grandi dans des quartiers populaires, d’autres davantage dans les quartiers dits « pavillonnaires » et ces derniers aussi sont divers et multiculturels. Il n’y a pas que des Blancs qui habitent ces pavillons, et il faut refuser la polarisation ethnique de nos lieux d’habitation !
Tout comme nos camarades, frères et sœurs, voisins, amis non-Blancs, nous avons grandi dans ces milieux multiculturels ! Nous sommes de toutes confessions ou sans confession dans nos banlieues : athées, agnostiques, chrétiens, catholiques, orthodoxes ou protestants, et d’autres encore musulmans, juifs, bouddhistes, hindouistes ou sikhs ! Et nous, les Blancs, sommes les « babtous, prolétaires et banlieusards » que chantait Kery James [1]. Et tous ensemble, Blancs et non-Blancs, venons de partout, et avons des cultures diverses, des histoires diverses. Nous avons grandi ensemble, vécu ensemble, et nous vivons également avec ceux arrivés plus récemment et qui connaissent pour beaucoup la précarité du séjour, et avec qui nous formons pourtant un seul peuple de fait.
Des Blancs les plus « autochtones » que, paraît-il, nous serions jusqu’aux travailleurs migrants dernièrement arrivés, un peuple est en train d’émerger. Nous habitons ensemble, grandissons ensemble, travaillons ensemble, partageons des souffrances et des joies communes. Ce vécu commun et ces expériences partagées sont le ferment de ce que l’on tendrait à appeler « un peuple », aussi imprécis ce concept soit-il. Il a en tout cas plus d’ancrage matériel et donc de sens pour nous que la carte nationale d’identité dont dépendent notre appartenance nationale et donc nos droits. Droits arrachés lors des générations passées, droits dont il faudrait voir exclues certaines personnes qui partagent nos territoires, nos quartiers, nos espaces de travail et notre quotidien, au prétexte qu’ils et elles ne seraient pas nés sur le bon sol ou avec la bonne culture.
Avec eux, nous avons, en revanche, des conditions et des expériences de vie différentes, les leurs étant frappées du sceau des discriminations et d’une histoire différente. Nous exécrons les inégalités fabriquées entre nous, qui produisent des destins, des conditions de vie et des droits différents et surtout inégaux entre nous. Vous nous divisez. Votre droit national, votre République soi-disant une et indivisible, nous divise en réalité.
Nous ne pouvons pas accepter que des élites politiques et médiatiques réactionnaires parlent à notre place. Qu’ils parlent de nos banlieues, de nos quartiers, en dressant un portrait complètement « ensauvagé » depuis des décennies. Nous affirmons haut et fort, et avant toute autre chose, que vous mentez. Vous êtes des menteurs ! Que ce soit entendu ! De ce fait on pourrait penser que vous faites de médiocres analystes, mais en réalité vous êtes d’opportunistes propagateurs d’angoisses.
Non, nos territoires, nos quartiers ne sont pas « sous la coupe islamiste », non nous ne nous faisons pas insulter parce que nous ne ferions pas le Ramadan et nous ne nous faisons pas piquer nos pains au chocolat, on n’essaie pas non plus de nous imposer la charia, non on ne lynche pas les Juifs ou les homosexuels dans nos quartiers. Nous ne sommes pas plus angoissés par l’insécurité en nous baladant dans nos rues qu’ailleurs, et les femmes n’y sont pas plus harcelées que dans d’autres espaces de ce pays malade de son sexisme, comme il l’est de l’antisémitisme et des LGBTphobies, mais aussi des racismes anti-asiatique et anti-rom, bien au-delà des frontières de nos « territoires ».
Sur toutes ces questions, rien n’est fondamentalement différent chez nous. Il ne s’agit pas de nier les situations de violences qui peuvent exister comme partout, mais si quelque chose peut accentuer la perception de nos territoires comme plus violents, c’est lié à la pauvreté, à la promiscuité des quartiers les plus abandonnés, et ça, nous le constatons très bien : c’est sous nos yeux. Vous pourrez envoyer tous les experts du monde à la télé nous expliquer que la pauvreté n’y est pour rien, qu’il s’agit de problèmes culturels : notre réalité de tous les jours est l’antidote à vos mensonges, et d’ailleurs il suffit de voir les résultats électoraux dans nos territoires où les tenants de ces discours de panique morale font des scores ridicules ! Si ces discours étaient vrais, ces résultats en seraient à minima le reflet… Or ce n’est pas le cas. Car nous connaissons notre réalité ! Et elle est aussi belle !
Nous partageons avec nos voisins les mêmes plaisirs, les mêmes moments conviviaux, festifs, sportifs, culturels, nous sommes invités à des ruptures de jeûne par nos amis et voisins sans nous sentir islamisés, tout comme parfois certains musulmans fêtent Noël, nous partons en vacances ensemble, nous construisons nos vies ensemble. Les boucheries Halal ne nous empoisonnent pas, les repas de substitution à la cantine ne nous ont jamais angoissés, nous n’avons jamais exigé que les femmes accompagnatrices scolaires ne soient pas voilées, et on se fout des abayas à l’école. La construction d’une mosquée ne fait pas monter en nous de paniques identitaires de transformation de nos paysages !
Pour ceux d’entre nous qui sont issus des diasporas successives liées à l’histoire de l’immigration en France, ceux d’origine bretonne, alsacienne, italienne, polonaise, espagnole ou portugaise, grecque ou arménienne, comme aujourd’hui pour d’autres histoires migratoires (par exemple, chinoise ou indienne), nous savons ce que le maintien de rites et pratiques religieuses au sein d’une communauté diasporique a de structurant dans nos liens à nos parents, à nos ancêtres, à notre pays ou terroir d’origine. Et si beaucoup d’entre nous se sont écartés de ces traditions familiales à l’heure de la sécularisation, jamais ces manifestations religieuses ou folkloriques ne seront plus oppressantes qu’autre chose, infiniment moins par exemple que les pubs polluantes et omniprésentes dans nos vies.
Pour ceux parmi nous issus de la diaspora ashkénaze originaire des vagues migratoires d’Europe de l’Est et dont les familles ont été décimées par le nazisme ou traumatisées par l’antisémitisme, qu’ils soient parvenus à maintenir des traditions ou qu’ils aient subi le rouleau compresseur de l’acculturation, nous ne savons que trop bien ce que l’expression d’une identité confessionnelle peut revêtir comme revendication de dignité et structures de solidarité. Les structures communautaires, musulmanes et autres, en banlieue, unies ou désunies dans leur diversité, reproduisent la même histoire.
Il en est de même pour les liens de solidarité parmi les populations roms, manouches, gitanes qui font partie de la longue histoire commune de nos banlieues et quartiers populaires, cette longue histoire sociale et culturelle ! Il est normal que dans un parcours migratoire, ou lorsque l’on se trouve en situation de minorité, on mobilise et on mette en avant tout particulièrement la partie de son identité qui est la plus menacée. Alors que le néolibéralisme a détruit méthodiquement les structures matérielles de solidarité ouvrière dans nos territoires, vous attaquez aujourd’hui ce qu’il reste de solidarité collective au nom de la dénonciation d’un communautarisme ou d’un séparatisme.
Nous, les Blancs de banlieue, ne sommes pas menacés par ce sentiment d’appartenance commun qui peut se nouer entre les fidèles d’une même religion ou communauté au sein d’une société : nous le retrouvons dans nos histoires familiales, nous en comprenons le sens et la nécessité, notamment en termes de solidarité matérielle. Nous luttons contre l’intégrisme religieux et pour « l’Eglise chez elle et l’État chez lui » [2], dans l’esprit de la loi de 1905 et pas dans celui de la loi de 2004. Nous ne sommes pas dupes quant à ce zèle pseudo-laïque brandi par toute la réaction depuis une vingtaine d’années : c’est l’expression même de l’existence de minorités fières d’elles-mêmes et sûres de leur droit qui est ciblée.
De même sur le plan idéologique, nous ne sommes pas paniqués par les courants décoloniaux, nous n’avons jamais connu un quelconque sentiment d’auto-flagellation à regarder en face l’histoire de la France et nous ne nous sommes jamais sentis « repentants » pour ça. En fait, nous ne nous sentons menacés par aucune des choses que vous prétendez que nous vivrions ! La retraite à 64 ans par contre, ça c’est une vraie menace sur nos vies et ça, ça nous panique ! Et ce ne sont pas les immigrés ni les musulmans qui l’ont imposée de façon obscurantiste et barbare à coup de BRAV-M et de 49-3 !
Nous sommes révoltés d’entendre ce que nous entendons sur nos villes et quartiers et sur nos vies dans vos médias, nous vomissons d’entendre ce que nous entendons sur nos compatriotes banlieusards non-Blancs et/ou non-chrétiens : jamais aucune différence de pratique culturelle ou spirituelle, affirmée ou pas, ne nous a fait nous sentir moins français, ne nous a fait les percevoir moins français, aucune de ces questions ne nous a traversé l’esprit avant que vous ne les posiez d’en-haut, et cela nous est insupportable. Entendre parler d’assimilation est une chimère délirante pour nous, car nous sommes déjà tous assimilés en un grand peuple des banlieues populaires, avec une culture populaire vaste, avec du commun et des différences, des dominations et des révoltes, du consensus et du conflit, comme partout. Vous confondez délibérément assimilé et uniformisé, multiculturalisme et communautarisme.
Pas nous ! Et nous inventons, transformons, produisons notre propre culture à partir de toutes nos cultures en héritage d’où que nous venions : nous subissons mais aussi réapproprions et retournons la culture dominante française bourgeoise et l’impérialisme culturel américain et les autres influences des softpowers mondiaux, mais nos cultures ouvrières et toutes nos cultures d’origine dans leur diversité font partie de cette culture populaire commune de la banlieue. En émanent des cultures marginales, ainsi nous avons aussi des sous-cultures propres et des contre-cultures. Nous avons des pratiques langagières créolisées et des hybridations culturelles, le langage de la rue dont le fameux verlan qui colle tant à nos territoires, les mots du vieux français populaire y côtoient des mots des langues régionales, mais aussi des mots issus de l’italien, du portugais, de l’arabe, du berbère, du créole antillais, du soninké, du bambara, du wolof, du lingala, des mots manouches et gitans, et nous en oublions. S’y ajoutent d’inévitables anglicismes, que nous nous sommes réappropriés. Tout ça c’est nous et nous trouvons ça beau ! Cela peut sembler naïf, mais nous trouvons ça beau car il s’agit aussi de nos enfants.
Oui, car en plus de vivre ensemble, et malgré les fantasmes sur le prétendu « communautarisme » qui gangrénerait nos quartiers, nous nous aimons les un.e.s les autres, nous vivons des histoires d’amour et mêlons parfois nos vies jusqu’à concevoir des enfants ensemble… Ces unions que vous appelez « mixtes », qu’elles soient familiales, amoureuses, ou amicales, nous les savons plus fréquentes chez nous que partout ailleurs en France. Le prétendu « repli communautaire » est en réalité bien moins prégnant ici qu’ailleurs, les mariages mixtes interraciaux et/ou interreligieux plus fréquents dans nos banlieues que n’importe où en France. Car il n’y a qu’ici qu’un tel brassage a lieu.
Ce n’est pour autant pas la solution miracle, naïve et moraliste, qui mettra fin aux discriminations et au racisme, comme c’est régulièrement avancé, au même titre que les mises en valeur dépolitisées du « métissage » – qui ne met jamais en valeur, curieusement, les métissages entre non-Blancs). Notre propos est d’expliquer que tout bêtement nous faisons nos vies avec « notre peuple », là où nous sommes.
Et que croyez-vous que nous entendons et comprenons quand on entend parler de « grand-remplacement » ? Que pour vous, nos enfants sont une menace pour la France. Oui, les Blancs des banlieues font des enfants qui ne sont pas blancs, nos enfants sont le peuple de demain, ils sont une menace pour vous, vos discours et politiques les mettent en danger, et pour cela notre guerre contre vous est ouverte, viscérale, et totale ! Alors fermez-la à tout jamais, ne parlez plus jamais en notre nom ! Nos banlieues sont populaires et multiculturelles, c’est ce que nous sommes, le fruit de notre réalité et de nos vécus, de notre quotidienneté : nous ne sommes pas une essence française millénaire qui remonterait aux Gaulois ou aux Francs, ou même à la Révolution française par essence, nous ne sommes que des produits de l’histoire et l’histoire nous a tous fait atterrir en banlieue, pour le pire et le meilleur – et le pire, autant le dire, provient de vous.
Le pire provient de la bourgeoisie et de la réaction. Il provient de vos choix politiques et de vos intérêts capitalistes. Nous puisons nos références émancipatrices autant dans l’histoire hexagonale que dans les histoires venant d’ailleurs. Nos références culturelles, historiques, politiques, artistiques, sportives, certains diraient nos « héroïnes et héros », en résumé nos influences, ne sont pas toutes blanches. Nous sommes autant les héritiers de Louise Michel ou de Jean Moulin que de Frantz Fanon ou de Djamila Bouhired. Nous ne voulons pas commémorer la défaite française de Diên Biên Phu, nous voulons célébrer la victoire pour l’émancipation de Diên Biên Phu ! Nous sommes un seul et même peuple des banlieues ! Nous avons plus à voir avec tous nos voisins musulmans, tous nos voisins venant des autres continents ou dont les parents viennent des autres continents, qu’avec l’élite bourgeoise bien française que vous constituez.
Nous avons tout à voir avec eux, et rien à voir avec votre fantasme d’une France éternelle, fantasme politique fondé sur l’idée d’une république assimilationniste, sur des mythes d’essence identitaire et culturelle, et sur la nostalgie coloniale. Nous considérons tous ces fantasmes politiques comme un seul bloc d’une même essence bourgeoise car nous ne vous distinguons plus politiquement, que vous soyez du Printemps républicain jusqu’aux identitaires ou que vous soyez macronistes, LR ou RN : vous désignez les mêmes cibles. Vous êtes collectivement responsables des progrès de l’extrême droite, vous êtes le bloc destructeur que nous combattons.
Quant à certains à gauche : n’instrumentalisez pas notre parole de façon paternaliste. Nous ne nous exprimons pas ici car on ne voudrait pas qu’on « touche à [nos] pote[s] ». Même s’il est bon de dire que si notre colère est viscérale, c’est que ces propos et politiques attaquent, humilient, mettent en danger et fragilisent aussi nos proches, nos familles, nos conjoints et conjointes, nos enfants, les amis de nos enfants, les enfants de nos amis. Mais nous ne fantasmons pas sur une France « black-blanc-beur » ou tout autre mythe consensuel et moraliste que par le passé la gauche a aimé chanter à chaque prise de parole des banlieues.
Nous nous exprimons car ces mots et ces politiques sont une insulte à notre identité de banlieusards, à notre réalité, à notre vécu, à nos expériences, à ce que nous sommes ! Car vous insultez ce que nous sommes, vous menacez notre réalité ! Vous voulez nous arracher aux nôtres pour mieux nous exploiter. Les identitaires réactionnaires essentialistes que vous êtes insultent notre identité multiple et évolutive. Sans les musulmans, les Africains, les Asiatiques, les Caribéens, c’est nous qui ne serions plus chez nous ! « Nous la différence, on a grandi dedans ! » [3].
La parole et le ressenti exprimé par ce texte ne prétendent pas à l’exhaustivité, et nos mots ne parlent peut-être pas à tous, mais nous savons que cette réflexion est partagée. Elle correspond au ressenti de nombreux Blancs des banlieues. Notre ton est politique, car nous sommes engagés depuis des années sur différents terrains, de différentes manières, mais avec la motivation de l’égalité, de la liberté et de la solidarité, et nos réflexions nous amènent à trouver des causes profondes à la situation du pays et ces discours racistes.
Nous accusons :
Nous accusons tout d’abord la gauche d’être complexée ! D’avoir capitulé ! Pour une partie d’entre elle, de marcher dans les pas de la réaction et de la chasse aux musulmans au nom du « laïcisme » et de la « République ».
Nous accusons l’État et la justice d’impunité à l’égard des policiers responsables de crimes racistes. Nous accusons l’État de s’agenouiller devant les syndicats de police !
Nous accusons la bourgeoisie, les faiseurs de profits et les gouvernements successifs d’être les premiers responsables de la délinquance et des situations d’insécurité par les situations de misère qu’ils ont entretenues et développées dans nos quartiers, par tous les reculs sociaux qu’ils ont actés depuis quarante ans, par la destruction des services publics notamment.
Nous accusons toute la classe politique d’avoir stigmatisé les musulmans et notamment les femmes portant le voile depuis trente ans, les exposant aux discriminations et aux violences. Nous ne voulons plus de pseudo-laïcité autoritaire, nous ne voulons pas de votre « neutralité » imposée aux usagers, mais que vous vous imposiez la neutralité, en arrêtant de classer et trier les bons et mauvais usagers ! Que l’on cesse d’exclure des gamines de l’école pour une abaya ou même pour un hijab, et pas davantage pour un turban sikh ou une kippa !
Nous accusons les discours présentant les musulmans, les immigrés comme étant par essence sexistes et homophobes, et qui présentent les quartiers populaires comme des terreaux de sexisme et d’homophobie ensauvagés, d’être de la part de l’État, des discours d’exonération de son propre patriarcat, un État qui ne fait pas grand-chose contre les violences faites aux femmes, ni contre les lgbtphobies, un État dont les politique précarisent les femmes, les mères célibataires notamment, nombreuses en banlieue.
Nous accusons les grands capitalistes qui possèdent les chaînes d’information, les médias, les journaux, tels Bouygues avec TF1 depuis 40 ans ou Bolloré avec CNews ces dernières années, de faire monter la peur de nos banlieues en les criminalisant, de donner la parole à des diffuseurs de haine tels Éric Zemmour, de faire monter la haine raciste et la xénophobie. Nous les accusons d’être des hypocrites politiques et des profiteurs de ces discours : quand l’un exploite les migrants sur ses chantiers, tout en contribuant à appauvrir l’Afrique aux côtés de l’autre qui a contrôlé durant des décennies un grand nombre de ports africains et s’est enrichi de la sueur des populations !
Nous accusons le système de préférence nationale (et sa nouvelle version la priorité nationale) d’avoir en fait toujours été officieusement en place : ce sont les discriminations racistes : les discriminations légales contre les étrangers, et les discriminations – illégales mais bien réelles – contre les Français issus de la colonisation ou plus largement non-blancs et/ou non-chrétiens. Les discriminations nous hiérarchisent et nous divisent, elles soumettent à la précarité et à l’exploitation, condamnent à l’ubérisation, au chômage et aux bas salaires… Et nous accusons la bourgeoisie d’en tirer profit !
Nous accusons les discours racistes d’autoriser notre pays à mener des guerres prétendument humanitaires mais meurtrières, qui ne peuvent conduire qu’à d’inévitables chocs en retour ! Nous accusons ces discours racistes de produire des lois comme la Loi sécurité globale et la Loi séparatisme !
Nous accusons la « guerre au terrorisme » d’être une doctrine chimérique légitimant l’islamophobie, permettant de faire reculer nos droits et libertés, et conduisant actuellement la France à être complice des crimes contre l’humanité et du génocide commis par l’État d’Israël à Gaza ! La déshumanisation des Palestiniens, des migrants, dans une rhétorique du « choc des civilisations » nous démontre que la République Française est toujours coloniale avec l’arrogance qui l’accompagne. La répression de la solidarité avec la Palestine et le refus de reconnaître l’Apartheid – et, depuis bientôt deux ans, le génocide à l’encontre de la population gazaouie – qui s’exerce contre les Palestiniens nous inquiète aussi quant à celui que certains voudraient installer entre nous ici. Les appels lancés très souvent par divers réactionnaires à appliquer à nos quartiers les méthodes israéliennes des territoires occupés nous inquiètent au plus haut point et à tous les niveaux !
Nous accusons la République d’avoir toujours un traitement colonial, diviseur des populations et raciste vis-à-vis des populations des Outre-mers, comme le démontre la répression récente des militants kanaks et de tous les mouvements sociaux qui y ont lieu depuis quinze ans.
Nous accusons toute l’élite « républicaine » de discriminer au nom d’un concept flou, celui de la Nation ! La Nation n’existe pas en soi matériellement, elle n’a aucune essence, ce n’est qu’un concept politique, une construction politique, une idée au départ émancipatrice surgie contre l’arbitraire de l’absolutisme lors de la Révolution française, émancipatrice lors des luttes de libération contre une occupation ou une colonisation, mais qui ici n’est plus qu’idéologie pour dresser un « nous » ethnique contre un « eux » tout aussi ethnique. Que des êtres humains aient des destins de vie miséreux et réprimés, soient exclus des droits politiques et économiques, soient surexploités, destinés à certaines tâches et emplois, et enfin certains enfermés en centres de rétention au prétexte qu’ils seraient extérieurs à un corps national, tout ceci est criminel !
Nous accusons la loi immigration récemment votée et les remises en cause du droit du sol de constituer une politique déshumanisante tout aussi criminelle, d’être un pas vers l’apartheid, d’être une insulte à nos histoires et à nos vies !
Nous vous accusons de collectivement nous étouffer socialement, de nous exploiter économiquement, de nous faire vivre la misère, ce contre quoi tout le pays s’est levé lors du mouvement des Gilets jaunes, et dernièrement contre la retraite à 64 ans, ou encore plus récemment lors du mouvement du 10 septembre : nous vous accusons de fabriquer des ennemis et des bouc-émissaires pour détourner notre colère !
Nous ne voulons plus entendre parler de grand-remplacement, si selon vous nos banlieues sont « grand-remplacées », alors acceptez qu’on le vive très bien. Car ce sont aussi nos enfants que vous désignez derrière ce « grand-remplacement » : nous ne le répéterons pas assez, vos discours mettent en danger nos enfants et cela rend notre colère incommensurable. Plutôt mille fois le grand-remplacement à travers nos enfants que de faire nation avec vous ! Il n’y a pas de grand-remplacement ! Nous serions africanisés ? Islamisés, hurlent même, horrifiés, certains ? Si c’est le cas nous le vivons bien, n’ayez pas peur…
Certains disent que nous nous créolisons, comme en parlait Edouard Glissant. C’est peut-être bien le cas. Cette idée a le mérite de dynamiter l’argument du « grand-remplacement », le constat de la créolisation le révélant comme un simple point de vue raciste et paranoïaque. Mais avant tout et en réalité, tous ensemble en banlieue, nous inventons autre chose, et rassurez-vous, comme l’a dit l’écrivaine Léonora Miano face à la sinistre Elisabeth Lévy un jour sur un plateau de télévision [4], on n’en meurt pas : nous vivons une mutation, c’est nous qui la vivons depuis longtemps, elle ne nous fait pas peur, nous la vivons très bien, alors foutez-nous la paix ! En banlieue nous sommes « le laboratoire du futur, les plus grands hybrides », comme le dit également la rappeuse Casey [5].
Non à l’assimilationnisme. Personne ne doit jamais renoncer à ce qu’il est au prétexte que certains imbéciles médiatiques et politiques fantasment une « certaine idée de la France ». C’est au turfu que nous conjuguons nos identités, et pas à travers votre rengaine passéiste, votre société inégalitaire. Nous voulons un universalisme « riche de tous les particuliers », comme le disait Aimé Césaire [6]. Nous voulons l’égalité et la justice pour tous, nous ne voulons pas que vous nous divisiez ! Nous faisons partie du peuple des banlieues populaires multiculturelles et créolisées, et fier.e.s de l’être ! « Avec ou sans la France, on ira de l’avant ! » [7].
P.-S.
Crédit photo : ©Paul Almassy. Le bidonville portugais de Champigny, 1963.
Notes
[1] « Banlieusard » de Kery James, 2008
[2] Victor Hugo (député de la Seine), discours du 14 janvier 1850 à l’Assemblée Nationale
[3] « La tour des miracles » Axiom, 2007
[4] “Ce soir ( ou jamais !)” du 8 novembre 2013
[5] « Je n’écris pas comme je parle » – Rencontre avec la rappeuse Casey | ENS-PSL (49ème minute) http://www.youtube.com/watch?v=jJsqvpG6Gfk&t=1s
[6] Aimé Césaire : « Lettre à Maurice Thorez » du 24 octobre 1956 « Je ne m’enterre pas dans un particularisme étroit. Mais je ne veux pas non plus me perdre dans un universalisme décharné. Il y a deux manières de se perdre, par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’Universel. Ma conception de l’Universel est celle d’un Universel riche de tout le particulier, de tous les particuliers, coexistence et approfondissement de tous les particuliers. »
[7] Axiom, op.cit.
https://lmsi.net/Nous-sommes-un-seul-et-meme-peuple-des-banlieues

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