
● Extrême droite● Islamophobie● Justice
Alors que la parole islamophobe n’en finit plus d’être banalisée sur les plateaux télé et dans la sphère politique, la justice s’invite dans le débat. Ce jeudi 16 octobre, l’eurodéputée d’extrême droite Marion Maréchal était jugée pour diffamation après avoir accusé une école musulmane de Valence de liens avec les Frères musulmans. Face à elle, l’association Valeurs et Réussite réclame réparation pour des propos qu’elle juge destructeurs et mensongers. Le procureur a quant à lui appelé à la relaxe, tout en traitant les avocats de la partie civile de « brochette d’associations de malfaisants ». Récit.
Jeudi 16 octobre, une nouvelle étape judiciaire s’est ouverte pour l’association Valeurs et Réussite, déjà au cœur d’une affaire suivie par Blast dans son long format Islamophobie : l’État en guerre contre une école musulmane.
Ce reportage revenait notamment sur la condamnation de Charlie Hebdo pour diffamation publique le 23 décembre 2023, avant que cette décision ne soit annulée par le tribunal de Grenoble quatre mois plus tard.
Les origines de l’affaire
Dans cette même enquête, Blast révélait comment Marion Maréchal, la nièce de Marine Le Pen, avait publiquement accusé le maire de Valence de complaisance envers les Frères musulmans, après la vente d’un terrain à l’association Valeurs et Réussite pour la construction d’une école privée musulmane.
Le 2 octobre 2023, sur CNews (groupe Bolloré), celle qui était alors la tête de liste et vice-présidente de Reconquête ! déclarait : « À Valence, vous avez un maire qui a tenté de vendre un terrain à une association des Frères musulmans, un courant islamiste qui a le même objectif qu’Al-Qaïda et Daech : imposer la charia dans le monde, sauf qu’il le fait par la non-violence et l’infiltration. »
Ces propos ont conduit le président de l’association, Mourad Jabri, à porter plainte pour diffamation. Selon lui, Marion Maréchal « a fait de l’islamophobie un véritable fonds de commerce politique ». Il déplore les conséquences graves de ces accusations : « Nous devons dénoncer ces propos avec fermeté. Ils portent atteinte à la cohésion nationale, à un moment où nous avons plus que jamais besoin de rassembler et d’unir toutes les composantes du pays. »
Un comité d’accueil pour Marion Maréchal

Image Hamza Chennaf / Blast
Une demi-heure avant l’audience, une foule se rassemblait devant le tribunal de Valence, à l’appel des collectifs DéterCités et Affronter l’Orage, pour dénoncer « un acharnement islamophobe et appeler à un soutien collectif face à la « fachosphère ».

À 13h30, le calme revenu, l’audience pouvait commencer.
Grande absente de ce procès, l’eurodéputée Maréchal n’avait semble-t-il pas jugé utile de faire le déplacement jusqu’à Valence pour répondre des accusations portées contre elle. C’est Maître Pierre-Vincent Lambert, avocat connu pour avoir défendu le groupuscule d’extrême droite Génération Identitaire, qui la représentait.
La partie civile, elle, était défendue par Maîtres Nabil Boudi, Jean-Yves Dupriez et Antoine Pastor.
Des témoignages accablants
Plusieurs témoins ont pris la parole, parmi eux le chercheur Olivier Esteves, coauteur de La France, tu l’aimes mais tu la quittes. Il a estimé que les propos de Marion Maréchal « ne reposent sur aucun élément sérieux » et participent d’une « stigmatisation préoccupante ». Il a rappelé le contexte sensible marqué par les attentats de 2015, la loi séparatisme et le rapport du ministère de l’Intérieur sur les Frères musulmans pointant ainsi « un entrisme islamiste est une menace pour la République et notre cohésion nationale». Des accusations qui rendent ce type d’affiliation particulièrement dommageable.

Image Hamza Chennaf / Blast
L’ancienne trésorière de Valeurs et Réussite a également témoigné, affirmant avoir quitté ses fonctions après avoir reçu des menaces : « J’ai eu peur pour ma sécurité. Nous subissons des menaces de mort depuis ces accusations. » Elle a ajouté que l’association avait subi de lourdes pertes financières et morales, plusieurs partenaires ayant cessé leur soutien.
À la barre, le président de l’association, Mourad Jabri, est revenu sur son parcours et les raisons de son engagement. Atteint de la maladie de Charcot-Marie-Tooth, il a raconté avoir souffert de moqueries à l’école et d’une précarité familiale qui l’a contraint à travailler durant ses études : « C’est pour cela que je me bats : pour créer une école ouverte à toutes et tous, capable de produire l’excellence scolaire de demain. »
Il souligne que les accusations de Marion Maréchal ont eu des répercussions réelles sur le personnel enseignant, précisant que « certains professeurs viennent désormais à l’école avec la boule au ventre ».

Image Hamza Chennaf / Blast
Des tensions et une audience suspendue
La partie civile réclame 15 000 € pour préjudice moral, 10 000 € de frais d’avocat et la suppression du post incriminé de Marion Maréchal.
La défense, représentée par Maître Lambert, a plaidé la relaxe, estimant que les propos de la députée européenne ne sont pas diffamatoires.
Selon l’avocat, l’association serait « imbriquée dans une galaxie d’organisations revendiquant des références aux Frères musulmans », un courant qui n’est pas interdit en France, et que les propos de la députée relèveraient du « débat politique ».
Le ministère public a abondé dans ce sens, estimant que Marion Maréchal « n’avait pas l’intention de diffamer » et que ses propos « ne concernaient pas directement » Valeurs et Réussite, mais relevaient d’un combat politique contre le maire de Valence, Nicolas Daragon (LR).
Mais le moment le plus sidérant du procès survient quand le procureur de la République, Laurent de Caigny, s’emporte et insulte les trois avocats de la partie civile, les qualifiant de « brochette d’associations de malfaisants ».
Stupeur dans la salle. Les avocats quittent l’audience, avant d’y revenir quelques minutes plus tard. Le président du tribunal est contraint de suspendre la séance. Maître Nabil Boudi déclare se sentir insulté, il se dit stupéfait et indigné après les propos tenus contre lui et ses confrères de la part du ministère public. « Sa déclaration est révélatrice d’un soutien envers Marion Maréchal alors qu’elle était sur le banc des prévenus. Laurent de Caigny est en totale contradiction avec le rôle du ministère public. » déplore-t-il.
Après sept heures et demie d’audience, le tribunal a mis l’affaire en délibéré.
La décision sera rendue le 14 novembre prochain.
Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret / Margaux Simon

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