Néofascistes condamnés, identitaires racistes : les petites mains de la campagne de Gérault Verny, député ciottiste

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07/10/2025

Il a aussi fait appel à une boîte liée au milliardaire Pierre-Édouard Stérin

Par Daphné Deschamps

Pendant les législatives 2024, le député ciottiste et actionnaire de « Frontières », Gérault Verny a bénéficié de l’apport de néofascistes et identitaires pour faire sa campagne. Certaines méthodes d’une de ces boîtes posent question.

À peine une semaine plus tôt, le 17 juin 2024, le téléphone de Benjamin Pamiseux vibre. Sur l’écran de ce leader du groupe identitaire Argos — récemment condamné pour l’affichage d’une banderole raciste contre Aya Nakamura (2) — s’affiche une notification Telegram : « OFFRE BOULOT / Législatives. » Le message est envoyé par l’ex-cadre du groupuscule néonazi Zouaves Paris, Édouard Michaud, actuel boss des Natifs — un ersatz de l’association Génération identitaire, créé après sa dissolution en 2021. La présentation du poste est laconique : « Boulot collage/porte à porte pour un candidat coalition des droites dans le sud vers Aix-en-Provence. Début mercredi, permis B obligatoire. MP si intéressé. »

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Le 17 juin 2024, un message est envoyé par Édouard Michaud à Benjamin Pamiseux. StreetPress a pu se le procurer. L’ex-cadre du groupuscule néonazi Zouaves Paris y détaille la proposition d’emploi pour la campagne de Gérault Verny. / Crédits : DR

Côté rémunération, Édouard Michaud promet un salaire de 100 euros par jour, que Benjamin Pamiseux aurait reçu en liquide avec une coquette prime de 1.000 euros « en cas de victoire ». Ces salaires ont également été distribués à un militant du groupe néofasciste de Tenesoun et à un identitaire de Défends Marseille, identifiés par StreetPress. Comme pour toute élection, Gérault Verny a dû déclarer le montant de ses dépenses à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), qui contrôle les dépenses et les remboursements des candidats. Ces factures ont été encaissées par la boîte Mistral Conseil.

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Créée en 2021, cette auto-entreprise est enregistrée au nom d’un certain Jérémy Palmieri. Cet ancien de l’Action française Marseille — il a le logo tatoué sur le bras — a également été coordinateur des sections d’Aix et Marseille du Bastion social, un groupe néofasciste sur lequel StreetPress a enquêté en 2018. Lors de notre rencontre dans leur local, l’intéressé sortait d’un séjour en prison pour « des violences en réunion ». L’affaire datait d’une session collage pour le Bastion social, où Jérémy Palmieri et un autre militant avaient passé à tabac un gendarme en civil et son ami guadeloupéen, qui avait eu l’audace de lui demander un briquet.

Des paiements qui posent question

Selon la facture éditée par Palmieri pour les comptes de campagne de Gérault Verny, les militants radicaux recrutés auraient effectué une quinzaine de « missions » en binôme, entre collage d’affiches, distribution de tracts dans les boîtes aux lettres ou porte-à-porte. Jérémy Palmieri a facturé le tout 6.100 euros, ce qui correspond aux 100 euros par jour de mission promis par Édouard Michaud. Une somme qui aurait été payée en billets de 50 dans le cas de Benjamin Pamiseux, qui a diffusé une liasse sur les réseaux sociaux à cette période, selon une photo que StreetPress s’est procurée. Du cash qui « pose la question de la traçabilité de l’argent », questionne un habitué des dépôts de comptes de campagne :

« D’où vient ce liquide ? »

Selon ce dernier, la facture éditée dans les comptes de campagne serait « plus qu’obscure, hallucinante même ». « Je suis surpris qu’elle n’ait pas fait l’objet de questions de la CNCCFP. Il manque énormément d’informations dessus », note-t-il. En effet, la commission, régie par un principe déclaratif, a toutefois des règles quant à la facturation de ce genre de prestations. Les tarifs doivent correspondre à ceux « habituellement pratiqués » pour ne pas être considérés comme des dons de campagne effectués par des personnes morales.

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La somme de la campagne du député aurait été payée en billets de 50 dans le cas de Benjamin Pamiseux, qui a diffusé une liasse sur les réseaux sociaux à cette période, selon cette photo que StreetPress s’est procurée. / Crédits : DR

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Si l’offre transmise parmi les militants parlait d’une prime à la victoire de 1.000 euros, la facture éditée dans les comptes de campagne n’en tient pas compte selon les calculs de StreetPress. / Crédits : DR

Or, la facture de Mistral Conseil ne donne aucune indication au sujet du tarif pratiqué pour chaque prestation. Et pour employer des militants en campagne, « il faut un contrat de travail et payer des cotisations sociales », explique cet expert des comptes. « S’ils ont bien été payés 100 euros par jour en liquide, la facture devrait correspondre à la totalité des sommes payées par l’employeur, y compris à l’État et l’Urssaf… Et donc plutôt avoisiner les 10.000 euros que les 6.000 euros. »

Par ailleurs, les documents et les factures envoyés par Gérault Verny et validés par la CNCCFP ne comportent aucune trace de la prime de 1.000 euros promise. « Il s’agit d’argent déboursé pour la campagne, il serait d’usage d’en faire mention, afin de respecter l’égalité entre les candidats », explique le connaisseur. Il poursuit :

« Sinon c’est trop facile, on met des centaines de milliers d’euros sans espérer qu’ils soient remboursés sur une campagne et on est sûrs de gagner face à ceux qui respectent les plafonds… »

Surtout que Gérault Verny a flirté avec le montant plafond de dépenses fixé par la CNCCFP : sur les 72.000 euros autorisés, il a déclaré avoir dépensé 66.744 euros, entièrement sortis de sa poche, sans prêt de son parti, de personnes ou d’organismes extérieurs. Ajouter les milliers d’euros de primes promises aux militants radicaux — StreetPress en a identifié au moins cinq — l’aurait amené au bord voire au-dessus du plafond autorisé. Dans tous les cas, la CNCCFP ne semble pas s’être interrogée sur ces détails et ne peut invalider a posteriori les comptes de campagne de Gérault Verny, selon le connaisseur :

« Une fois que c’est validé, c’est trop tard. » (1)

Une campagne bien plus chère que ses adversaires

La somme dépensée par Gérault Verny fait d’ailleurs jaser dans la circonscription face à ses adversaires de la triangulaire. La candidate Renaissance sortante, Anne-Laurence Petel, arrivée troisième, et le socialiste étiqueté Nouveau Front populaire, Jean-David Ciot, ont dépensé 43.000 euros et 13.000 euros pour leur campagne. Soit respectivement 24.000 euros et 53.000 euros de moins que le candidat d’extrême droite. « Même sur les campagnes précédentes, qui ont duré deux fois plus de temps et étaient bien mieux préparées, on avoisinait les mêmes sommes sur la circonscription », explique Jean-David Ciot (Parti socialiste). Celui qui a perdu l’élection à 850 voix près conclut :

« Presque 67.000 euros, c’est une somme extrême pour notre circonscription. »

L’immense majorité du budget de Gérault Verny est partie dans des frais d’impression et d’envoi, avec notamment 45.752 euros d’impressions « hors campagne officielle » — c’est-à-dire sans les bulletins de vote et les professions de foi officielles. Une somme impressionnante, déboursée dans une centaine de milliers de tracts et de courriers qui auraient été disséminés dans la circonscription. « Des chiffres élevés mais pas irrationnels » selon un professionnel de l’impression de propagande électorale.

Pourtant, les militants qui ont fait la campagne des concurrents de Gérault Verny disent n’avoir quasiment jamais vu ou reçu de flyers produits par le candidat d’extrême droite. « On les a croisés une fois sur un marché… On a rien reçu dans nos boîtes aux lettres, et on a quasi pas vu d’affiches », se souvient un militant socialiste. « Des candidats qui dépensent des fortunes pour des tracts, dont une bonne partie n’est pas distribuée, ça existe. Certains ont le budget… », souffle un imprimeur.

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L’immense majorité du budget de Gérault Verny est partie dans une centaine de milliers de tracts et de courriers. / Crédits : DR

Stérin et Génération identitaire derrière Gérault Verny

Cette propagande électorale a peut-être été diffusée seulement dans des « zones-clés » identifiées par un autre prestataire de la campagne de Gérault Verny : Data Realis. Selon les documents récoltés par StreetPress, ce cabinet de conseil basé dans les Yvelines a touché 2.200 euros de la part du candidat d’extrême droite. La société fournit des analyses de stratégie de campagne pour chaque tour des élections, basées sur une de ses spécialités, des cartes interactives des résultats électoraux et des bureaux de vote avec le plus de potentiel et de réserves de voix disponibles pour le commanditaire. L’entreprise, qui a prêté ses services à plusieurs candidats d’extrême droite aux législatives 2024, serait un des rouages du projet « Périclès », monté par le milliardaire d’extrême droite, Pierre-Édouard Stérin pour faire gagner l’extrême droite en France. L’objectif affiché, révélé par « L’Humanité », « 300 villes à gagner absolument par le RN ».

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À sa tête se trouve Thibault Tournier, ancien candidat Rassemblement national aux municipales 2020 et ex-cadre de Debout la France — le parti souverainiste et complotiste de Nicolas Dupont-Aignan (3). Selon La Lettre et Cash Investigation, Data Realis fait partie des entreprises mises au service des candidats ciottistes après que Stérin et Bolloré aient convaincu l’ancien boss des Républicains de se rallier au Rassemblement national. Des liens que la boîte nie, nous indiquant avoir démarché « tous les candidats du bloc patriote ». Le soutien du projet « Périclès » à la société se serait « limité à un coaching de management bénévole qui s’est terminé en janvier 2025 ».

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Avant les législatives 2024, Data Realis avait déjà travaillé, entre autres, pour des médias d’extrême droite comme le « Journal du Dimanche », Boulevard Voltaire ou encore « Frontières », magazine flirtant avec l’extrême droite la plus néonazie, et dont Gérault Verny est au capital. Un actionnariat à hauteur de 20 % dont le député de l’Union des droites pour la République (UDR) tente de se cacher, que ce soit auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ou du grand public.

Gérault Verny a fait appel à des militants radicaux pour la distribution de sa propagande, mais aussi pour leur conception. Pour écrire le courrier postal envoyé en 40.000 exemplaires aux habitants de sa circonscription, le député UDR a fait appel à Prémonition, une société de conseil fondée en 2023 par Clément Martin, un ancien porte-parole du groupuscule Génération identitaire, (4) qui a touché 1.200 euros de Gérault Verny pour la rédaction de ce courrier, travaille — entre autres — pour l’influenceur identitaire multicondamné et ex-candidat Reconquête, Damien Rieu, le sénateur marseillais Stéphane Ravier, Marion Maréchal-Le Pen… Mais aussi le site Internet pro-russe et islamophobe Riposte Laïque, dont Clément Martin a aidé, avec Prémonition, à lever une centaine de milliers d’euros pour payer ses frais judiciaires ou encore la revue de presse d’extrême droite FdeSouche.

Mise à jour le 7 octobre à 16h23 : Nous avions écrit que M. Martin avait été condamné en 2023 pour provocation publique à la haine Clément Martin a en réalité été relaxé en appel en juillet de la même année, selon l’arrêt de la cour d’appel de Lyon qu’il nous a transmis.

Contactés, Gérault Verny, Jérémy Palmieri, Édouard Michaud, Éric Ciotti et l’UDR n’ont pas donné suite à nos sollicitations. Benjamin Pamiseux nous a déclaré ne pas souhaiter répondre à nos questions.

(1) En cas de soupçons d’irrégularités dans une élection, le parquet peut décider de lancer une enquête. Si les soupçons sont avérés, l’élu concerné risque jusqu’à trois ans d’inéligibilité.

(2) Benjamin Pamiseux et les neuf autres Identitaires ont fait appel de la décision. Ils sont donc présumés innocents dans l’attente de ce procès.

(3) Thibault Tournier a démissionné de son poste au conseil municipal de Meulan-en-Yvelines (78) et nous a déclaré ne pas compter se représenter en 2026.

_(4) Modification du 7/10/25, à 16h23.

Illustration de Une par Caroline Varon.

https://www.streetpress.com/sujet/1759759247-neofascistes-condamnes-identitaires-racistes-petites-mains-campagne-geraultverny-ciottiste-frontieres-rassemblementnational-pierreedouardsterin

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