La Gen Z, une génération mondiale en révolte ?

La Gen Z, une génération mondiale en révolte ?

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Née avec le numérique, la Génération Z descend dans les rues de Katmandou, Lima ou Antananarivo. Reliés en temps réel, des milliers de jeunes refusent ainsi le statu quo et esquissent une politique transfrontalière, affranchie des hiérarchies. Ces révoltes, éclatées mais interconnectées, dénoncent la rupture d’un contrat social et la volonté de préserver un avenir espéré encore vivable.

La santé et l’éducation au Maroc, l’interdiction brutale de 26 réseaux sociaux au Népal, les coupures d’eau et d’électricité à Madagascar, l’avenir incertain, partout. Depuis plusieurs mois, les jeunesses des quatres coins du monde se mobilisent pour porter des mouvements contestataires endogènes, libres et autonomes, qui trouvent leur souffle dans les réseaux sociaux.

Au Népal, la jeunesse est descendue massivement dans les rues pour protester contre la corruption et l’interdiction des plateformes numériques. Des bâtiments officiels, comme le Parlement, ont été incendiés. « Nous nous sommes retrouvés dans une situation d’anarchie totale », expliquait mi-septembre Nirajan Thapaliya, directeur d’Amnesty International Népal. En seulement deux jours, le gouvernement est tombé. 51 personnes ont été tuées et plus de 1300 ont été blessées dans tout le pays. Le soulèvement népalais a montré une chose, selon le média indien Newslaundry : que « le pouvoir a mal compris Internet ». Et, avec lui, sa jeunesse.

Au Maroc, près de 250 personnes ont été arrêtées en trois jours de manifestations, selon les chiffres rapportés à l’AFP par l’Association marocaine des droits humains. Mobilisés suite aux appels sur des réseaux comme Discord du groupe GenZ 212, dont les fondateurs sont inconnus, les manifestants réclament des moyens plus importants pour la santé, l’éducation et la lutte contre la corruption. Ces protestations surviennent dans un climat tendu, marqué par le récent décès de huit femmes enceintes admises pour des césariennes dans un hôpital public d’Agadir.

À Madagascar, au moins vingt-deux personnes ont été tuées et plus d’une centaine blessées, d’après le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies. Les manifestants revendiquent l’influence du vent de changement venu notamment du Népal. Mais nous pourrions aussi citer les manifestations qui ont commencé cette semaine au Pérou, ou encore celles de l’été 2024 au Bangladesh ou celles de 2022 au Sri Lanka.

Partout, la Génération Z impulse ces mouvements.

Née entre la fin des années 1990 et le début des années 2010, façonnée par internet, elle représente aujourd’hui environ un quart de population mondiale, selon les données de la Banque mondiale. La chercheuse en sciences de gestion Élodie Gentina la décrit comme « connectée, agile et porteuse d’une nouvelle vision du monde ». Mais la notion de « Gen Z » fait aussi l’objet de controverses sociales et scientifiques, certains craignant qu’elle ne devienne « un concept fourre-tout ou une expression incantatoire à caractère idéologique ou mercatique » .

Une génération pour laquelle le contrat social semble rompu

Des Hautes Terres malgaches aux villages reculés du Népal, un fil rouge relie les contestations : « une défense proactive de principes fondamentaux jugés menacés », explique la sociologue spécialiste de la jeunesse Cécile Van de Velde dans un article publié en septembre sur son blog. « L’éducation y est souvent représentée comme un bien commun à protéger, la dette comme un instrument d’injustice intergénérationnelle, et la démocratie comme un idéal à revivifier » , développe-t-elle.

Tatiana Rahajason, représentante des étudiants de l’université publique d’Antananarivo, raconte à Blast : « Ma cause à moi, c’est vraiment par rapport à l’éducation. Si je te raconte tout ce que j’ai vécu pour avoir ma licence, c’est presque irréel. Tout est fait pour que les jeunes abandonnent les études. » Un autre manifestant, anonyme, dénonce « un appauvrissement programmé de la population ».

Pour Cécile Van de Velde, ces luttes incarnent un refus générationnel singulier : « Comparativement aux autres mouvements, ce refus ne vise pas à “renouveler“ un système démocratique à bout de souffle, mais à “sauver“ la démocratie représentative contre ce qui la menace, et à sauvegarder collectivement un avenir décent. » Les luttes de cette génération se présentent aussi comme un refus d’un héritage trop lourd à porter pour les « générations futures ».

Autre source de frustration : le regard des générations précédentes. « La jeunesse malgache en a marre de la génération d’avant, qui critique les réseaux sociaux, il y a plein de sentiments de frustration. C’est le moment pour nous de prouver que oui, on est la “génération réseaux sociaux“ mais on peut se réunir », poursuit Tatiana Rahajason.

Une contestation sans leaders

À Madagascar comme ailleurs, le mouvement s’organise sans hiérarchie, sans chefs, né des réseaux sociaux. « Les modes de protestation de ces jeunes rappellent le style “be water“ [“Soyez comme l’eau“], popularisé lors des mobilisations de Hong Kong en 2019 », analysait récemment le quotidien indonésien Kompat. À Madagascar, lorsque des pilleurs s’en sont pris aux commerçants, les jeunes étudiants se sont mobilisés le lendemain pour remettre de l’ordre.

Cette jeunesse redéfinit les contours de l’opposition politique, en dehors des partis, syndicats et ONG, estime auprès de Blast Pascale Dufour, professeure titulaire de science politique à l’Université de Montréal, spécialiste des mouvements sociaux. « La génération Z (autoproclamée) crée une offre politique qui n’existe pas et avec laquelle elle est en accord », explique-t-elle. « Je crois que cette jeunesse va faire naître une nouvelle forme de politique. Parce que la politique, on ne peut pas la fuir, on la vit tous les jours et il faudrait s’en réemparer », témoigne auprès de Blast un habitant d’Antananarivo, la capitale malgache, qui souhaite garder l’anonymat.

Une lutte transfrontalière

Ces mouvements « refondent la vie politique dans leur société et tissent des liens de solidarité transnationaux », souligne Pascale Dufour. Le fait que ces mouvements se déroulent dans plusieurs sociétés n’est pas nouveau (pensons aux printemps arabes de 2011), mais le laps de temps entre les mobilisations dans différents endroits est plus court, ajoute la sociologue.

Le quotidien indonésien Kompat parle, pour les mouvements de ces dernières semaines, d’un « schéma interconnecté, avec une résonance transnationale, affranchie des frontières, du nationalisme et des clivages culturels ». « La Gen Z se vit comme une communauté mondiale, soudée par les mêmes combats », continue l’article. Chacun semble puiser dans les expériences des mouvements étrangers afin de les adapter à sa propre réalité, donnant ainsi naissance à un soutien transfrontalier quasi-immédiat.

Un manifestant malgache le résume ainsi : « Que ce soit entre le Népal, le Pérou, ici, il y a un truc qu’aucun chef d’État ne pourra nous enlever, c’est qu’on est tous connectés et que d’une seconde à l’autre, on peut savoir ce qu’il se passe à l’autre bout du monde. Cette Gen Z peut changer le monde. »

Pour autant, Pascale Dufour tempère, même si elle reconnaît une « accélération » de ces mouvements. Lorsqu’on lui demande si elle pense qu’ils peuvent préfigurer une nouvelle façon de faire la politique à l’échelle mondiale, la chercheuse répond qu’elle aimerait être aussi optimiste : « il est très difficile de tabler sur la possibilité que ces mouvements perdurent dans le temps long » , conclut-elle.

Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret / Margaux Simon

https://www.blast-info.fr/articles/2025/la-gen-z-une-generation-mondiale-en-revolte-3tKbU5l5TqqUDX0j8tg_9Q

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