Aphatie, les nazis et la France du déni

Yazid Ben Hounet

paru dans lundimatin#466, le 11 mars 2025

« Nous avons fait des centaines d’Oradour-sur-Glane en Algérie » ; « Les nazis se sont comportés comme la France en Algérie » a osé dire publiquement, sur RTL, le journaliste Jean-Michel Aphatie (mardi 25 février 2025). En ce moment d’Algérophobie aigue, il n’en a fallu pas moins pour déclencher une vendetta médiatique au pays de la « liberté d’expression ».
Jugeons donc sur pièce en ne prenant, soyons pédagogue, qu’un seul des sanguinaires militaires – Saint Arnaud [1]

[1] Cf. François Maspero, 1993, L’Honneur de Saint-Arnaud,… – qui parmi bien d’autres (Bugeaud, Lamoricière, Cavaillac, Pélissier, etc.) ont mené une « guerre totale » en Algérie.

Je reprends ici le travail effectué par un excellent site collaboratif d’information alternatives, basé à Lyon : Rebellyon.info. Voici ce que nous pouvons lire dans un papier datant du 14 juin 2021 :

« Armand Jacques Leroy de Saint-Arnaud, qui devait finir maréchal de France, fit à peu près toute sa carrière en Algérie : il y était arrivé lieutenant en 1837, il en partit général de division en 1851. Durant ces quinze années, il ne cessa d’être en colonne, tantôt à l’ouest, tantôt à l’est ; pendant tout ce temps il écrivit régulièrement à son frère, le tenant presque jour par jour au courant de ses faits et gestes. Si ce témoignage est décisif, il est loin d’être unique, de nombreux officiers d’Afrique ayant reporté les évènements de manière similaire. Ces lettres ont été publiées. Nous en donnons ci-dessous des extraits, sans autre commentaire que l’indication de la date et du lieu. On peut trouver les lettres dont sont extraites ces citations dans Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome I, pages 141, 313, 325, 379,381, 390, 392, 1472, 474, 549, 556, et tome II, pages 83, 331, 340 ».

L’ouvrage est disponible en ligne ici.

« Le pillage exercé d’abord par les soldats, s’étendit ensuite aux officiers, et quand on évacua Constantine, il s’est trouvé comme toujours, que la part la plus riche et la plus abondante était échouée à la tête de l’armée et aux officiers de l’état-major. » (Prise de Constantine, octobre 1837.)

« Nous resterons jusqu’à la fin de juin à nous battre dans la province d’Oran, et à y ruiner toutes les villes, toutes les possessions de l’émir. Partout, il trouvera l’armée française, la flamme à la main. » (Mai 1841.)

« Mascara, ainsi que je l’ai déjà dit, a dû être une ville belle et importante. Brulée en partie et saccagée par le maréchal Clauzel en 1835. »

« Nous sommes dans le centre des montagnes entre Miliana et Cherchell. Nous tirons peu de coup de fusil, nous brûlons tous les douars, tous les villages, toutes les cahutes. L’ennemi fuit partout en emmenant ses troupeaux » (avril 1842)

« Le pays des Beni-Menasser est superbe et l’un des plus riches que j’ai vu en Afrique. Les villages et les habitants sont très rapprochés. Nous avons tout brûlé, tout détruit. Oh la guerre, la guerre ! Que de femmes et d’enfants, réfugiés dans les neiges de l’Atlas, y sont morts de froid et de misère !… Il n’y a pas dans l’armée cinq tués et quarante blessés. » (Région de Cherchell, avril 1842)

« Deux belles armées… se donnant la main fraternellement au milieu de l’Afrique, l’une partie de Mostaganem le 14, l’autre de Blidah le 22 mai, rasant, brûlant, chassant tout devant elles. » (mai 1842 ; de Mostaganem à Blidah il y a 250 kilomètres.)

« On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres. Des combats : peu ou pas. » (Région de Miliana, juin 1842)

« … Entouré d’ un horizon de flammes et de fumées qui me rappellent un petit Palatinat en miniature, je pense à vous tous et je t’écris. Tu m’a laissé chez les Brazes, je les ai brûlés et dévastés. Me voici chez les Sindgad, même répétition en grand, c’est un vrai grenier d’abondance… Quelques-uns sont venus pour m’amener le cheval de soumission. Je l’ai refusé parce que je voulais une soumission générale, et j’ai commencé à brûler. » (Ouarsenis, Octobre 1842)

« Le lendemain 4, je descendais à Haimda, je brûlais tout sur mon passage et détruisais ce beau village…Il était deux heures, le gouverneur (Bugeaud) était parti. Les feux qui brûlaient encore dans la montagne, m’indiquaient la marche de la colonne. » (Région de Miliana, février 1843.)

« Des tas de cadavres pressés les uns contre les autres et morts gelés pendant la nuit ! C’était la malheureuse population des Beni-Naâsseur, c’étaient ceux dont je brûlais les villages, les gourbis et que je chassais devant moi. » (Région de Miliana, février 1843.)

« Les beaux orangers que mon vandalisme va abattre !… je brûle aujourd’hui les propriétés et les villages de Ben-Salem et de Bel-Cassem-ou-Kassi. » (Région de Bougie, 2 octobre 1844.)

« J’ai brûlé plus de dix villages magnifiques. » (Kabylie, 28 octobre 1844.)

« II y avait encore des groupes nombreux d’ennemis sur les pitons, j’espérais un second combat. Ils ne sont pas descendus et j’ai commencé à couper de beaux vergers et à brûler de superbes villages sous les yeux de l’ennemi. » (Dahra, mars 1846.)

« J’ai laissé sur mon passage un vaste incendie. Tous les villages, environ deux cents, ont été brûlés, tous les jardins saccagés, les oliviers coupés. » (Petite Kabylie, mai 1851.)

« Nous leur avons fait bien du mal, brûlé plus de cent maisons couvertes en tuile, coupé plus de mille oliviers. » (Petite Kabylie, juin 1851.)

Les nazis se sont-ils comportés à Oradour sur Glane comme la France – les militaires français – en Algérie ? Les exactions commises par les Saint Arnaud et consorts à l’égard des populations civiles algériennes sont, en tout cas et de leur propres aveux, cruellement et cyniquement similaires à celles des nazis à Oradour-sur-Glane. Mais à ma connaissance aucun nazi n’a pu perpétrer ses massacres sur une aussi longue période – près de 15 ans pour Saint-Arnaud – et jouir aussi longtemps des honneurs de toute une nation – et même se voir devenir ministre de la guerre (Saint-Arnaud le fut de 1851 à 1854). Rarement un nazi n’a pu, par ailleurs (et c’est tant mieux), avoir le loisir d’écrire en toute quiétude les témoignages de ses exactions et se les voir publier (en 1864 pour Saint-Arnaud) avec moult hommages dans son propre pays, par un membre d’une prestigieuse académie (Sainte Beuve de l’académie française pour Saint-Arnaud) quelques années après sa mort (Saint-Arnaud est mort en 1854).

« Nous avons fait des centaines d’Oradour-sur-Glane en Algérie » à osé dire Jean-Michel Aphatie. « En toute impunité » aurait-il pu rajouter.

Yazid Ben Hounet, anthropologue
CNRS, Laboratoire d’anthropologie sociale, Paris

[1] Cf. François Maspero, 1993, L’Honneur de Saint-Arnaud, Paris, Seuil, « Points ».

https://lundi.am/Aphatie-les-nazis-et-la-France-du-deni

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