Aux États-Unis, les scientifiques manifestent contre une «censure sans précédent»

Reportage — Luttes

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Budgets coupés, licenciements, censure… Des manifestations ont eu lieu dans une trentaine de villes des États-Unis, le 7 mars, pour s’opposer aux attaques de Donald Trump contre la science.

Atlanta (États-Unis), correspondance

Kaitlin Piper a obtenu le Graal l’été dernier. Une embauche comme enseignante en Santé publique à la prestigieuse université Emory à Atlanta, sans avoir idée des difficultés qui allaient toucher sa profession. Elle se retrouve désormais à brandir une pancarte « Arrêtez la guerre contre la science », aux côtés de centaines de personnes venues manifester à Atlanta.

Plus d’une trentaine de rassemblements similaires ont eu lieu vendredi 7 mars aux États-Unis, répondant à l’appel du mouvement Stand Up for Science (Debout pour la science). Les scientifiques ont souhaité faire entendre leur colère face au président Donald Trump.

Le nouveau gouvernement multiplie les coupes dans le budget et les licenciements dans l’administration, et les plus importantes agences scientifiques ne sont pas épargnées. Des données scientifiques ont été effacées de sites gouvernementaux. Et certains mots, tels que « climat », « genre » ou « équité », sont dorénavant à proscrire dans les rapports et publications, victimes de cette guerre contre le « wokisme » [1].

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« Qu’on ne nous dise pas quels mots il faut employer », peste Kaitlin Piper, 31 ans. Elle a également fait une affiche, « Qu’Orwell redevienne une fiction », en référence au roman dystopique 1984 dans lequel « les scientifiques sont censurés ». « On dirait qu’on est en train de vivre dans ce livre, dit-elle. Cette censure contre les scientifiques aux États-Unis est sans précédent. »

«  Arrêtez la guerre contre la science.  » Kaitlin Piper, scientifique, témoigne de son impression de vivre dans une dystopie. © Edward Maille / Reporterre

Elle se réjouit tout de même, au milieu de la foule présente sur la pelouse devant le Capitole de Géorgie, de ne « pas être seule ». Des manifestations similaires avaient été organisées en 2017, quelques mois après la première arrivée de Donald Trump au pouvoir, révélant au monde sa théorie des « faits alternatifs ».

Bourses suspendues

Trois collègues, Jennifer Hurst-Kennedy, Diana Lancaster et Srebrenka Robic étaient déjà présentes il y a huit ans. Les biologistes à l’université Agnes Scott n’ont eu qu’à ressortir leurs pancartes. Elles évoquent les bourses suspendues pour des confrères, consœurs et étudiants s’ils faisaient référence au « D.E.I » (Diversité, équité et inclusion), devenu l’ennemi du gouvernement Trump.

« Des sites internet pour des bourses ont disparu », dit Srebrenka Robic, 49 ans. « L’ensemble de l’enseignement supérieur va être touché, ajoute Jennifer Hurst-Kennedy, 43 ans. Les bourses payent nos salaires. » Diana Lancaster, 41 ans, s’alarme : « Il ne s’agit pas d’attendre seulement quatre ans, la perte de ces formations aura des conséquences pour les prochaines générations. »

Des rassemblements du mouvement Stand Up for Science ont eu lieu dans 32 villes des États-Unis. Ici, ils sont devant le Capitole de Géorgie, à Atlanta. © Edward Maille / Reporterre

Des scientifiques prennent la parole devant la foule, avec des pauses musicales animées par un groupe de rock — le guitariste est vêtu d’une blouse blanche. « La science est politique », affirme l’une des oratrices. Dans la foule, Tara Wyman, 63 ans, écoute tout en gardant un œil sur ses élèves. La professeure de physique-chimie accompagne une douzaine de lycéens. « La science ne devrait pas être politique », regrette-t-elle. C’est effrayant de voir ces agences réduites au silence. »

« Il va falloir des années pour réparer tous les dégâts »

Une de ses élèves, 14 ans, tient une pancarte avec de la fumée grise qui s’infiltre dans des poumons. « La science est importante pour moi », explique celle qui a une maladie auto-immune. « Je suis souvent malade. Sans les vaccins, je le serais encore plus et j’aurais du mal à rester vivante », dit avec un rire doux-amer celle qui aurait dû passer son vendredi après-midi en cours d’espagnol.

Frank Bove, épidémiologiste à la retraite, est venu exprimer sa colère. © Edward Maille / Reporterre

Peu avant la manifestation, Frank Bove, 73 ans, distribuait des tracts. L’épidémiologiste environnemental a travaillé pour les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) — la principale agence fédérale des États-Unis en matière de protection de la santé publique. Désormais à la retraite, il est en « colère ». « Ils licencient les gens sans avoir un plan, des personnes qui viennent de démarrer leur carrière, celles qui étaient censées me remplacer. Ils sont en train de couper dans l’avenir de l’agence », dit-il. Sous couvert d’anonymat, une employée des CDC redoute les conséquences pour l’avenir : « Même si le gouvernement arrêtait maintenant, il va falloir des années pour réparer tous les dégâts provoqués. »

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