
● Extrême droite● Justice● Médias● Police● Rassemblement National
Poursuivi par la commune de Perpignan et son maire RN Louis Aliot pour avoir révélé les errements et les méthodes de sa police municipale, Blast était en procès dans la préfecture des Pyrénées-Orientales ce 13 février. Au même moment, pendant que nous défendions la légitimité de notre travail d’utilité publique, un nouveau scandale de violences impliquant la police municipale éclatait avec la garde-à-vue de 4 de ses agents. Récit d’audience et révélations.
Il paraît que l’actu repasse toujours les plats. Quand elle est plurielle, il lui arrive de se percuter. Comme ce jeudi à Perpignan.
C’était une belle après-midi d’hiver dans la capitale catalane, baignée de soleil sur la place Arago. A quelques dizaines de mètres, la police municipale et le palais de justice y cohabitent. 18 degrés au thermomètre, et à peine plus dans la salle d’audience où, un peu après 14 heures, le procès intenté à Blast par la municipalité de Louis Aliot a débuté. Devant des bancs clairsemés.
Dans ce dossier, la ville attaquait notre média et son directeur Denis Robert pour injure et diffamation envers un corps constitué. En l’espèce, la police municipale, pilier de la politique de l’ancien compagnon de Marine Le Pen qui, entre contrôles aux faciès, intimidations, harcèlement de commerçants maghrébins et violences, emploie des méthodes dures. Se comportant selon certains habitants comme une « milice municipale », comme l’avait révélé notre enquête de mai 2023, vidéos choc à l’appui.
« Ce n’est pas un article, c’est un pamphlet, un brûlot ! » Il n’a fallu que quelques minutes. Très vite, Me Harald Georges Knoepffler, avocat de la municipalité Rassemblement national, s’est emporté de son accent chantant. « Et quand on se réfère à la milice, on en appelle aux heures les plus sombres de notre histoire, ce n’est pas un détail. » « Parler des violences policières est un motif d’intérêt général. » La réplique est arrivée aussi sec, exprimée par Me Julien Kahn, le conseil de Blast venu défendre le sérieux et la rigueur de l’enquête avec des pièces.
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Image compte FB Police municipale Perpignan
La leçon de droit à Louis Aliot
Une audience classique : version contre version, parole contre parole. Après cette entrée plutôt tonique sur le ring, l’ennui n’a pas eu le temps de s’installer à l’heure de la sieste. Deux évènements inattendus se sont invités dans la salle d’audience et les dépendances du palais de justice, de Perpignan venant bousculer la suite de la journée comme deux éléphants dans un magasin de porcelaine. D’abord, puisqu’il s’agissait de droit, une… énormité juridique.
« Cette procédure méconnaît totalement le droit de la presse. » Sous le regard sévère des bustes de Montesquieu, Bignon et Montaigne, l’avocat de Blast a dû délivrer à la partie adverse une petite leçon de droit et de jurisprudence. En portant plainte pour injure et diffamation contre un corps constitué, la commune de Perpignan et son maire se sont tout bonnement fourvoyé. En effet, la commune n’était pas attaquée dans l’article poursuivi en tant que corps constitué, n’étant pas la représentante de la police municipale selon la Cour de cassation, plus haute juridiction française.
Par conséquent, pour s’économiser cette cinglante leçon, Louis Aliot (ou le chef de sa police) aurait dû lui-même porter plainte, en personne, et non pas en se dissimulant derrière son conseil municipal. Dès lors, a poursuivi Me Kahn, la plainte et toute la procédure sont irrecevables… Dans la salle A, cette démonstration implacable est reçue dans le silence par un président peu expressif et un représentant du ministère public hochant la tête. « Nous ne sommes pas à l’origine des poursuites », rappelle d’ailleurs le parquetier, devant un Me Knoepffler trépignant. « La Cour de cassation n’est pas parole d’évangile », ose l’avocat perpignanais, en s’agaçant. Étranges propos, prononcés par un homme de droit dans une enceinte de justice, dans la ligne d’une municipalité contrôlée par un parti connu pour son peu de respect pour l’État de droit et la justice en général.
Après 40 minutes de suspension, signe que l’argumentation et l’ombre de la Cour de cassation ont porté, la requête défendue par Me Kahn a finalement été jointe au fond. Le délibéré est fixé au 3 avril.
La « PM », encore dans ses exploits
Mais alors que l’affaire du jour venait de livrer sa vérité du moment, que nous nous apprêtions à quitter les lieux, la deuxième surprise massue de ce jeudi 13 février a surgi. Comme un train en chasse un autre. Pendant les débats consacrés à l’enquête de Blast, des jeunes gens, issus d’un quartier populaire de la ville, qui patientaient sur les bancs du public en attendant l’affaire suivante, et leur procès, avaient tendu l’oreille. Attentifs à ce qu’ils entendaient. A la sortie, ils avaient une histoire à raconter à Blast. Livrée sur les marches du Palais.
« Votre article raconte exactement ce qui se passe dans notre quartier : il y a quelques jours, un jeune s’est encore fait arrêter et il a déposé plainte pour viol. Il a une ITT de 8 jours. »
Dans un tel contexte, on entend évidemment, non sans douter : simple dénonciation, accusations en l’air de jeunes d’un quartier populaire, rumeurs de palais ? Non, rien de tout ça : une actualité de ce 13 février venue percuter le procès intenté à Blast par la municipalité RN. En effet, ce même jeudi, l’info a été révélée par France Bleu, 4 policiers municipaux de Perpignan ont été placés en garde-à-vue pendant plusieurs heures, avant que la mesure ne soit levée dans la soirée… À Perpignan, la nouvelle a provoqué quelques cris d’orfraie : ceux de la section locale Force ouvrière (FO), qui a immédiatement dénoncé une procédure « injuste et biaisée ».
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Image compte FB Louis Aliot
Les faits qui ont déclenché avant-hier ces interpellations surprises se sont déroulés cette semaine. Deux jours plus tôt : ce mardi 11 février, selon la plainte de la victime. Blast a pu consulter ces éléments. Nous l’avons également contactée. Elle a accepté de s’exprimer sur cette affaire.
Ce que décrit ce jeune Perpignanais ne résonne pas seulement avec les faits qui nous ont valu, à travers notre enquête de mai 2023, les poursuites de la municipalité Aliot et le procès de ce jeudi. Ils font également écho à une autre série de documents choc et nouvelles images vidéo, sidérantes de brutalité, rendues publiques début 2024 par Médiapart et Blast. Cette seconde vague de révélations ont valu à un fonctionnaire de la police de Perpignan une condamnation à six mois de prison, prononcée par la chambre correctionnelle en mai 2024.
Un système, des affaires et des scandales à répétition
« J’étais en train de fumer à Saint Mathieu (quartier médiéval de la veille ville, ndlr), quand une équipe de la police municipale, on l’appelle « le Ghost », m’a interpellé, en m’accusant de dealer, raconte posément l’auteur de cette nouvelle plainte. Ils m’ont amené à la police nationale et m’ont fouillé hors de la présence de l’OPJ (l’officier de police judiciaire, ndlr). » Le jeune homme marque un léger temps d’arrêt, puis reprend son récit. « C’est là que certains m’ont glissé un doigt dans l’anus soit-disant pour trouver de la cocaïne. J’ai hurlé au viol. »
Cette confusion qui s’est installée entre police nationale et municipale, cette dernière grignotant à Perpignan toujours plus de terrain sur les prérogatives qui ont toujours été celles de l’État (et ses propres forces de l’ordre), Blast l’a déjà pointée dans ses articles. Avec les discours portés par le RN et son premier vice-président, ce phénomène a encouragé les méthodes à l’œuvre, ces dérives et ces dérapages répétés, dont toutes ces affaires qui s’accumulent autour des policiers municipaux de Perpignan montre qu’il ne s’agit pas de cas isolés. En réalité, c’est bien d’un système dont il s’agit.
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Document Blast
Sur les faits de mardi, à la suite de la plainte déposée dans la foulée, une enquête a été ouverte pour agression sexuelle par personne dépositaire de l’autorité publique, a confirmé le parquet de Perpignan. De son côté, Louis Aliot a réservé sa réaction à son conseil municipal, citant un long communiqué de Force ouvrière, selon Ici. Il n’était pas présent au tribunal, à l’audience de Blast. Il avait mieux à faire, l’esprit sans doute tourné vers d’autres rendez-vous judiciaires.
A défaut, il lira, peut-être, ce nouvel article de Blast. Et criera au « brûlot ». Ce qu’on appelle du journalisme.
Crédits photo/illustration en haut de page :
Blast, le souffle de l’info
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