Cessez-le-feu à Gaza : « otages » d’un côté, « prisonniers » de l’autre… Vraiment ?

Cessez-le-feu à Gaza : « otages » d’un côté, « prisonniers » de l’autre… Vraiment ?

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Alors que le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas permet la libération d’Israéliens détenus à Gaza et de Palestiniens incarcérés par Israël, le traitement médiatique se focalise sur le sort des premiers, présentés comme des « otages », quand les seconds sont estampillés « prisonniers ». Au regard du droit international, la situation est pourtant plus complexe. Surtout, l’incarcération en masse des Palestiniens dans des prisons israéliennes, décrites par des ONG et d’anciens détenus comme des camps de torture, est largement passée sous silence.

Depuis l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, dans les grands médias occidentaux, les choses semblent claires : il y a d’un côté les « otages » israéliens, détenus par le Hamas, et de l’autre les « prisonniers » palestiniens, détenus par Israël. Les premiers ont droit à une attention médiatique toute particulière : on donne leurs noms, leurs âges, on fait leurs portraits, on montre leurs visages, on parle de l’angoisse de leurs familles qui attendent avec impatience leur libération. Les seconds ne sont généralement présentés que comme des chiffres, et leur libération est décrite comme un prix à payer par Israël pour obtenir le retour des captifs détenus par le Hamas. Tout écart par rapport à cette ligne dominante apparaît comme très vite sanctionné : un journaliste de Franceinfo ayant mentionné des « otages palestiniens » dans un bandeau de présentation a immédiatement été suspendu par sa hiérarchie, après avoir essuyé une attaque en règle de la députée macroniste Caroline Yadan.

Un terme acceptable pour décrire les captifs palestiniens, selon la doxa médiatique dominante, semble être celui de « terroristes ». C’est en tout cas ce que semble penser RMC et son émission Les Grandes Gueules, dont le concept consiste à réunir sur un plateau des gens prêts à parler avec assurance de sujets qu’ils ne maîtrisent absolument pas. Lors de son émission du 20 janvier, le talk show mentionnait en effet la libération de « 90 terroristes » par Israël. Il s’agissait pourtant, ce jour-là, en majorité de femmes et d’enfants, enfermés sans charges ni procès, sous le régime de la détention administrative.

Lors de l’émission du 20 janvier, les Grandes Gueules de RMC ont présenté les Palestiniens libérés comme des « terroristes ». Pourtant, il s’agissait ce jour-là en majorité de femmes et d’enfants, dont une bonne partie étaient incarcérés sans charges ni procès, sous le statut de détenus administratifs.
Image RMC

La distinction fondamentale entre civils et combattants

Malgré un narratif médiatique parfaitement rodé et rarement contesté, la distinction communément admise entre un groupe armé qui retient des otages, d’un côté, et un « État démocratique » qui emprisonne des « terroristes », de l’autre, doit être interrogé.

De même, sur la capture de 252 personnes sur le sol israélien par les groupes armés palestiniens de Gaza le 7 octobre 2023, le droit international pose une distinction : d’une part les civils, dont la détention est un crime de guerre, et les soldats, dont la capture est autorisée et encadrée par le droit international. Dans le contexte du conflit israélo-palestinien, « les personnes qui participent aux hostilités, ou sont armes à la main, peuvent être des cibles légitimes, et lorsqu’elles sont détenues, elles le sont en lien avec le conflit. Elles ont un statut très proche de celui du prisonnier de guerre. La capture de soldats israéliens par le Hamas est donc parfaitement légale au regard du droit international. Tout comme, de l’autre côté, Israël a le droit de détenir des combattants du Hamas », précise Ghislain Poissonnier, magistrat spécialiste du droit international et vice-président de l’association Juristes pour le respect du droit international. Il ajoute que, pour être considérées comme des combattants, ces personnes doivent avoir été capturées dans le cadre de combats ou de leur activité militaire. Cela signifie que, si un militaire est fait prisonnier alors qu’il se trouvait chez lui, avec sa famille, en dehors de ses activités de soldat, il est considéré comme un civil. Le droit international humanitaire impose, en outre, de traiter dignement les prisonniers. « La maltraitance est une violation du droit international, et si elle va jusqu’à la torture, elle peut être considérée comme un crime de guerre. Et ce peu importe le statut de la personne détenue, qu’il s’agisse d’un civil ou d’un combattant », précise le magistrat.

Le Hamas respecte-t-il l’obligation de traiter les prisonniers avec dignité ? En ne permettant pas au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) de leur rendre visite, le groupe armé viole le droit international. Ce droit de visite du CICR est en effet prévu par les conventions afin de permettre à cet organisme humanitaire de s’assurer des bonnes conditions de détention des personnes capturées dans le cadre de conflits armés. Parmi les Israéliens libérés dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu, certains semblaient être dans un bon état de santé physique selon les premières analyses médicales, quand d’autres sont apparus amaigris et affaiblis.

84 civils et 10 soldats

Parmi les 94 personnes qui étaient encore détenues par le Hamas avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, 84 étaient des civils, détenus en violation du droit international, et 10 étaient des soldats, capturés conformément aux conventions. Ces dix militaires faisaient partie, avant leur capture, de deux unités chargées de maintenir le blocus de Gaza, reconnu illégal au regard du droit international. Les soldats capturés dans « l’enveloppe de Gaza » étaient chargés de surveiller les alentours de la bande de ce territoire, afin d’empêcher les combattants palestiniens de briser le blocus qui l’étouffe depuis 2007.

Les autres soldats, principalement des femmes, ont été capturés dans la base militaire de Nahal Oz. Leur rôle était de surveiller la bande de Gaza au moyen de caméras et d’autres outils technologiques afin d’empêcher les Palestiniens de sortir de cette prison à ciel ouvert. Ce sont ces activités de surveillance des frontières, couplées à un contrôle de l’espace aérien et maritime de la bande de Gaza et à des restrictions de circulation pour les Palestiniens, qui ont permis à la Cour internationale de justice, plus haute juridiction de l’ONU, de déterminer que l’enclave palestinienne était encore sous une occupation israélienne illégale, même après le retrait des troupes de Tsahal en 2005.

10 221 prisonniers détenus par Israël

Alors que les groupes armés palestiniens détenaient, avant le début du cessez-le-feu, 94 Israéliens, les prisons de l’État hébreu abritaient au 1er janvier 2025, 10 221 personnes, en très grande majorité des Palestiniens, selon les données de l’ONG israélienne Hamoked, spécialisée dans la défense des droits des détenus en Israël, et qui tient ses chiffres de l’administration pénitentiaire de l’État hébreu. 80% d’entre eux sont enfermés sans avoir été jugés. Israël les détient sous différents statuts, dont deux en particulier permettent une détention arbitraire prolongée, sans charges ni procès. Le statut de « combattant illégal », institué par la législation israélienne depuis 2002, est largement utilisé contre les habitants de Gaza, y compris les civils. « Au regard du droit international, ce statut de “combattant illégal” n’existe pas. Selon Israël, ce sont des membres de groupes armés. Et, vu qu’Israël considère ces groupes armés comme illégaux, alors les autorités israéliennes les considèrent comme des “combattants illégaux”. Finalement, Israël a adopté une législation lui permettant de violer “légalement” le droit international. Sauf que, normalement, dans un État de droit, le droit national doit toujours être conforme au droit international. Or, ici, ce n’est manifestement pas le cas. C’est d’ailleurs un paradoxe qu’a rappelé la Cour internationale de justice dans son avis du 19 juillet 2024 », dénonce Ghislain Poissonnier.

Dans les faits, selon un article publié par Amnesty International en juillet 2024, ce statut de combattant illégal n’est pas seulement appliqué aux membres de groupes armés palestiniens, mais également à des civils, arrêtés à Gaza et détenus en masse après le 7 octobre 2023. Selon les données de Hamoked, au 1er janvier, 1886 Palestiniens étaient enfermés par Israël sous ce régime de détention. La première phase de l’accord de cessez-le-feu, qui prévoit la libération d’environ 1900 détenus palestiniens, inclut dans la liste 1167 Gazaouis arrêtés dans la bande de Gaza au cours de l’opération militaire israélienne. Ces détenus n’ont pas participé à l’offensive du 7 octobre 2023, précise l’État hébreu.

Le second statut régulièrement utilisé par Israël pour enfermer les Palestiniens est celui de détenu administratif. Touchant surtout les habitants de Cisjordanie, il permet d’incarcérer, sans charges ni procès, n’importe quel Palestinien. C’est ce qu’a vécu Hadeel Shatara pendant sept mois, avant d’être libérée dans le cadre du cessez-le-feu. Auprès de Blast, la jeune femme de 32 ans, originaire de Ramallah, en Cisjordanie, raconte avoir été arrêtée par les services de renseignement israéliens, alors qu’elle rentrait de Jordanie : « J’ai été arrêtée à un checkpoint à la frontière, on m’a conduit dans une première prison avant de m’envoyer vers une autre prison, à Haïfa, sans me dire ce qui m’était reproché. J’avais un avocat, mais les juges ont refusé de lui dire les raisons pour lesquelles j’étais en prison. Ils ont juste dit qu’il y avait un dossier secret, et qu’ils ne pouvaient pas en révéler le contenu. »

La détention administrative est prévue pour une durée de six mois, mais elle peut être renouvelée à l’infini. Au 1er janvier dernier, 3376 Palestiniens étaient incarcérés par Israël sous ce statut. Loin de concerner uniquement des combattants, ce régime de détention purement arbitraire touche également de nombreux civils, comme Hadeel, arrêtés dans les territoires occupés, alors qu’ils ne participaient pas aux hostilités. « Le fait de jeter une pierre sur un véhicule militaire, ce n’est pas participer aux hostilités. Tout comme les personnes qui sont arrêtées simplement pour avoir agité des drapeaux : ce sont des civils », dénonce Ghislain Poissonnier.

Statut des prisonniers enfermés par Israël.
Document Blast, construit à partir des données de l’ONG Hamoked

Cette politique carcérale participe à briser la société palestinienne

En plus des détenus administratifs et des « combattants illégaux », on retrouve au sein des prisons israéliennes des Palestiniens ayant fait l’objet d’un procès et d’une condamnation. Ils représentaient, au 1er janvier 2025, environ 20% des détenus selon les données de l’ONG Hamoked. Les procès n’ont cependant pas lieu devant des tribunaux civils. En effet, les Palestiniens sont généralement jugés par des juridictions militaires où les droits de la défense ne sont en aucun cas respectés. « Il n’y a pas de procès équitables. Il s’agit de procès dans lesquels la force d’occupation est à la fois l’accusation et le juge. Parfois, les Palestiniens ont accès à un avocat et un traducteur. Mais cela n’a pas réellement d’importance, car par définition ces procès ne peuvent pas être équitables. Israël n’est pas un État démocratique, c’est un régime d’apartheid », dénonce auprès de Blast Shai Parnes, porte-parole de B’Tselem, une ONG israélienne de défense des droits humains. Ces parodies de justice ont pour conséquence un taux de condamnation particulièrement élevé : dans 99% des cas, les Palestiniens jugés devant des tribunaux militaires finissent par être reconnus coupables.

La détention des Palestiniens, sous différents statuts, s’inscrit dans une logique d’incarcération de masse par Israël. Depuis 1967 et le début de l’occupation des territoires palestiniens, l’État hébreu a enfermé environ un million de Palestiniens de Jérusalem-Est, de Gaza ou de Cisjordanie, selon Francesca Albanese, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens occupés. Un chiffre qui n’inclut pas les Palestiniens ayant la nationalité israélienne. « Cette politique carcérale participe à briser la société palestinienne. L’objectif principal d’Israël est de prendre le plus de terre palestinienne possible, avec le moins de Palestiniens possible dessus. La prison est, dans cette perspective, un outil parmi d’autres », constate Shai Parnes. Hadeel Shatara abonde dans ce sens : « Israël capture des Palestiniens et les met en prison. Le but est d’envoyer un message aux autres : si vous luttez pour la libération de la Palestine, regardez ce qu’il vous arrivera. »

Dans ce contexte, le choix des lieux de détention n’est pas anodin, et contribue directement à séparer les prisonniers de leurs familles. De nombreux Palestiniens sont en effet détenus dans des centres pénitentiaires situés en territoire israélien, en violation du droit international, puisque l’article 49 de la quatrième convention de Genève interdit explicitement les transferts de populations : « Les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre État, occupé ou non, sont interdits, quel qu’en soit le motif. »

Carte des prisons israéliennes.
Image ONG Addameer, carte traduite en français par Blast

Torture, privations de nourriture et détention arbitraire : dans l’enfer des prisons israéliennes

Depuis le 7 octobre 2023, Israël a encore durci les conditions de détention des Palestiniens, et empêche désormais le CICR de visiter les établissements pénitentiaires du pays, en violation totale du droit international. L’État hébreu se justifie par le fait que le Hamas ne permet pas non plus au CICR de visiter les Israéliens détenus à Gaza. Un argument qui ne convainc pas Ghislain Poissonnier : « Lors d’un conflit, le fait que la partie adverse viole le droit international ne donne pas le droit de le violer soi-même. »

La conséquence de cette annulation du droit de visite du CICR dans les prisons israéliennes est la généralisation de mauvais traitements, pouvant dans de nombreux cas être considérés comme de la torture. Au cours de sa détention, Hadeel Shatara en a largement fait les frais. « Pendant sept mois, je n’ai eu accès à rien : pas de télévision, pas de radio, pas de visites de ma famille, pas de coups de téléphone. Au niveau de la nourriture, les portions étaient tellement faibles que j’ai perdu 22 kilos. Dans la cellule, nous étions onze femmes, mais il n’y avait que six lits, certaines dormaient donc par terre. Il y avait une vraie solidarité entre nous, mais Israël faisait tout pour la briser. Par exemple, ils nous disaient qu’il y avait une informatrice parmi nous. Nous étions enfermées 23 heures sur 24, et une heure par jour nous avions accès aux douches. Mais, certains jours, ils nous empêchaient d’y accéder. C’était une forme de punition collective. En plus de ces privations, nous avons été battues à plusieurs reprises, et les gardes de la prison nous infligeaient régulièrement des fouilles à nu », témoigne la jeune femme, encore marquée par cette épreuve.

Après sept mois passés dans une prison israélienne, Hadeel Shatara a pu être libérée dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu.
Image DR

Ces mauvais traitements ont largement été documentés dans un rapport produit par l’ONG B’Tselem. Son porte-parole Shai Parnes explique que ces conditions de détention sont systématiques dans toutes les prisons israéliennes : « Ce qui est vraiment choquant, c’est que nous avons eu des témoignages de la part de gens qui ne se connaissaient pas, qui sont originaires de différentes régions de Palestine, qui ont été détenus dans 13 prisons israéliennes différentes, et qui racontent tous la même chose. C’est pourquoi nous en avons conclu que les prisons israéliennes sont un réseau de camps de torture. »

Le rapport de B’Tselem, intitulé “Bienvenue en enfer, donne de nombreux exemples. Il y a Thaer Halahleh, 45 ans, qui a perdu 35 kilos derrière les barreaux, en raison des privations de nourriture. Il y a Muhammad Srur, 34 ans, qui raconte que les gardiens de la prison ont lâché des chiens sur lui et l’ont battu avec des matraques lors du transfert d’un établissement pénitentiaire à un autre. Il y a Sami Khalili, 41 ans, qui témoigne avoir été forcé de se mettre nu, avant d’être frappé aux parties intimes par des gardiens de la prison. Des témoignages de ce type, l’ONG en a récolté 55. La plupart émanent de Palestiniens détenus arbitrairement, sans charges.

L’état physique dans lequel les prisonniers palestiniens libérés dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu sortent des prisons israéliennes semble confirmer ces mauvais traitements généralisés. Plusieurs anciens détenus ont immédiatement été admis à l’hôpital après leur libération, compte tenu de leur mauvais état physique. « Beaucoup d’entre nous sommes sortis de prison avec de gros problèmes de santé. Moi-même, je suis des examens médicaux depuis ma libération », témoigne Hadeel Shatara. À titre d’exemple de ces mauvais traitements, le centre d’information Wadi Hilweh, plus connu sous le nom de Silwanic, et basé dans le quartier Silwan de Jérusalem-Est, a publié le 30 janvier des photos du détenu Mohammed Sabah après sa libération. Le jeune homme de 20 ans, emprisonné depuis son adolescence, apparaît squelettique et infecté par la gale.

Après avoir été libéré par Israël, le jeune Mohammed Sabah, 20 ans, apparaît squelettique et infecté par la gale.
Image Silwanic

Dans certains cas, les mauvais traitements vont jusqu’à entraîner la mort de prisonniers. Selon l’ONG palestinienne Addameer, spécialisée dans la défense des détenus palestiniens, au moins 58 d’entre eux ont perdu la vie derrière les barreaux des prisons israéliennes depuis le 7 octobre 2023. L’ONG précise qu’il s’agit de la période la plus meurtrière pour les prisonniers palestiniens.

Crédits photo/illustration en haut de page :
Margaux Simon

https://www.blast-info.fr/articles/2025/cessez-le-feu-a-gaza-otages-dun-cote-prisonniers-de-lautre-vraiment-q7HKONKzRy-qOVA9eV_low

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