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«La classe capitaliste a semé le vent, elle récoltera la tempête»
Lucy Parsons serait née en 1851 ou 1853 au Texas. Celle qui fut surnommée la “prêtresse de l’anarchie” a toujours soutenu : “Je n’appartiens pas aux autres. (…) Je lutte pour un principe”, et à ce titre refusé de préciser ses ascendances et rejeté les assignations raciales, prétendant parfois être fille de parents mexicains, d’autres fois d’origine autochtone ou aztèque.
Il est néanmoins probable qu’elle soit la fille d’une esclave noire et de son propriétaire blanc. Mais dans un pays fondé sur l’esclavage, et qui venait à peine de l’abolir, obsédé par la hiérarchie raciale et qui allait maintenir la ségrégation pendant des décennies, elle avait préféré maintenir le doute. Quelles que soient ses origines, elle se déclarait “anarchiste des pieds à la tête”.
Dans les années 1870, elle s’installe à Chicago avec son mari Albert Parsons, après avoir quitté le Texas où le statut de couple mixte était dangereux et illégal. À l’époque, le capitalisme transforme la ville, qui devient un centre industriel où s’entassent des centaines de milliers d’ouvrier-es. Chicago est un concentré de la modernité marchande : explosion urbaine nourrie par des vagues d’immigrant-es misérables venu-es tenter leur chance, concentration d’usines et d’abattoirs à perte de vue, pauvreté immense et richesse indécente se côtoyant, ville d’émergence du syndicalisme comme de la mafia… La lutte des classe dans toute sa netteté.
Lucy devient couturière, commence à écrire des pamphlets dans des journaux anarchistes comme The Alarm, créé par son époux, et fonde l’Union des femmes ouvrières de Chicago. Elle fait trembler les bourgeois avec ses appels à la violence, comme dans son article “Dynamite” où elle écrit “la voix de la dynamite est celle de la force, la seule que la tyrannie puisse comprendre”. Elle participe également, en 1883, à la fondation de l’IWPA (Internaional People’s Association), l’Internationale anarchiste. Lucy est partout. On imagine le scandale de l’époque de voir une femme noire haranguer les foules sur les piquets de grève ! Elle aime choquer la presse bourgeoise, à qui elle déclare : “J’ai bien l’intention d’agir moi-même si je peux les tuer tous”.
Son mari Albert Parsons fait partie des martyrs de Chicago, ces anarchistes assassinés pour l’exemple après l’explosion d’une bombe lors des manifestations monstres de mai 1883 pour les droits des travailleur-ses. Un crime d’État à l’origine de la fête internationale des travailleur-ses, célébrée chaque premier mai.
Elle déclare à ce propos : «Nos camarades ne seront pas assassinés par l’État parce qu’ils sont complices de l’attentat à la bombe, mais plutôt parce qu’ils travaillent à l’organisation des esclaves salariés d’Amérique. La classe capitaliste n’a cure de débusquer le lanceur de bombe. Elle croit bêtement qu’en mettant à mort les figures emblématiques du mouvement ouvrier, elle terrorisera les travailleurs, qui se résigneront à leur statut d’esclaves salariés».
Après la mort de son mari, elle est arrêtée alors qu’elle fait le tour de Chicago en carriole avec un portrait géant d’Albert pour distribuer son ouvrage, «Anarchism : Its Philosophy and Scientific Basis». La police de Chicago la décrit comme «plus dangereuse qu’un millier d’émeutiers».
Infatigable militante, elle voyage aux États-Unis et en Europe où elle donne des conférences et rencontre les anarchistes locaux comme Piotr Kropotkine et Louise Michel, dont elle fera l’éloge. Lucy n’est pas une théoricienne, mais ses écrits sont percutants, pragmatiques, afin d’être à la portée de toutes et tous. La lutte contre le capitalisme, c’est aujourd’hui et maintenant, avec ce qu’on a à portée de mains : «Apprenez l’usage des explosifs» écrit-elle dans The Alarm en 1884.
Lucy croit profondément à l’auto-organisation : «L’expérience a montré que l’être humain est un animal grégaire qui s’associe d’instinct à ses semblables pour coopérer, car il travaille mieux en groupe que seul. Cette tendance pourrait mener à la formation de communautés coopératives, dont les actuels syndicats sont les embryons».
Militante féministe, elle dénonce la condition des femmes qui sont selon elle «les esclaves des esclaves». Anarchiste convaincue, elle conspue le vote, «la plus colossale des mystifications modernes», affirme que «les anarchistes savent qu’une longue période d’éducation doit précéder tout grand changement fondamental dans la société, c’est pourquoi ils ne croient pas à la mendicité électorale, ni aux campagnes politiques, mais plutôt au développement d’individus réfléchis».
Syndicaliste révolutionnaire, elle pense que «le changement à venir ne pourra se produire que par une révolution, car les classes possédantes ne laisseront pas la société se transformer de façon pacifique». Lucy Parsons militera jusqu’à sa mort en 1942, à près de 90 ans, elle qui jusqu’au bout prêchait la violence contre les capitalistes : «Que chaque sale et mauvais vagabond s’arme d’un révolver ou d’un couteau, guette sur les marches des palais des riches et poignarde ou fusille les propriétaires à leur sortie. Tuons-les sans pitié et que ce soit une guerre d’extermination».
Cette femme a tellement fait trembler le gouvernement américain que le FBI s’est précipité pour confisquer tous ses écrits à son domicile à sa mort, afin qu’ils ne puissent être rendus publics. À ce jour, ils ne le sont toujours pas. Luigi Mangione aurait-il lu Lucy Parsons ? En tout cas, nous vous conseillons de faire connaître l’histoire de cette militante extraordinaire.
Pour aller plus loin :
- https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9782228935012-travailler-dans-ces-conditions-jamais-sur-le-capitalisme-les-femmes-et-l-anarchisme-lucy-parsons
- https://librairie-quilombo.org/je-m-appelle-revolution
- https://contre-attaque.net/2025/02/08/lucy-parsons-syndicaliste-revolutionnaire-noire-plus-dangereuse-quun-millier-demeutiers/
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