16 décembre 2024 par Dorian Guinard
Alors que des propositions de loi s’enchainent pour détricoter le droit de l’environnement, « les normes environnementales sont une garantie du revenu des paysans » défend le juriste Dorian Guinard.
Publié dans Débats
Les mobilisations des agriculteurs sont légion cette année sans que de véritables réponses au malaise agricole soient apportées. Les mesures gouvernementales ne s’attaquent pas au principal problème, pourtant facile à identifier pour qui écoute le monde paysan, si hétérogène : le revenu. Faire en sorte que les agriculteurs et agricultrices vivent décemment de leur métier suppose des réformes et des changements structurels, pour le moment non abordés.
En lieu et place, les derniers gouvernements ont systématiquement proposé de détricoter le droit de l’environnement, accusé par le poids de ses normes de contraindre les agriculteurs dans l’exercice de leurs métiers. Cette accusation contre les normes environnementales, spécialement celles relatives aux pesticides, doit être nuancée – au minimum – pour plusieurs raisons.
En premier lieu, la santé des écosystèmes, des oiseaux des champs aux insectes, est plus que fragile : alléger les normes ne ferait qu’aggraver les facteurs de pression sur la biodiversité, qui subit déjà le changement d’affectation des terres, le réchauffement climatique et les pollutions chimiques.
En second lieu, les normes protègent aussi la santé humaine, en particulier celle des agriculteurs. Les interdictions et les limites à la commercialisation de produits risqués ou dangereux, n’ont pas été le fait de parlementaires ou de gouvernements « s’étant fait plaisir » pour reprendre les mots de la ministre démissionnaire de l’Agriculture Annie Genevard. Elles sont bien issues de réflexions fondées scientifiquement.
Offensives législatives
Les offensives législatives contre les normes environnementales sont néanmoins importantes ces derniers mois. Parmi celles-ci, une récente proposition de loi dite Duplomb – du nom du sénateur qui l’a déposée – discutée à partir du 17 décembre prochain, retient particulièrement l’attention. Elle vise à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » en mettant notamment fin aux « surtranspositions et aux sur-réglementations en matière de produits phytosanitaires ».
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Passons rapidement sur le fait que les surtranspositions n’existent pas en matière de pesticides (lire cette tribune précédemment publiée sur Basta!). Cette proposition de loi introduirait quelques changements importants dans notre droit. Le premier modifierait le code de la santé publique en instaurant la possibilité pour le directeur général de l’ANSES (Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), concernant les autorisations et les retraits des produits phytopharmaceutiques, de « s’en remettre à la décision du ministre chargé de l’Agriculture ».
La version initiale, corrigée par la Commission des affaires économiques du Sénat en raison de très gros risques de violation du droit européen, permettait au Ministre de s’opposer à un retrait après « une mise en balance entre les risques sanitaires et environnementaux et les risques de distorsion de concurrence avec un autre État membre de l’Union européenne ». Cet élément économique – placé sur le même plan que les impératifs de protection des santés humaine et environnementale – est donc officiellement supprimé. Mais il signe une volonté politique de ne pas s’en remettre uniquement à la science pour autoriser ou pour retirer un produit du marché.
Réautorisation de néonicotinoïdes
La proposition de loi Duplomb entend aussi revenir sur l’interdiction législative de deux substances actives : le néonicotinoïde Acétamipride et un autre insecticide au mode d’action identique, la Flupyradifurone. Comment ? Par la suppression d’un article du code rural et de la pêche maritime qui interdit l’utilisation de ces deux substances, autorisées dans l’Union européenne, jusqu’en 2033 pour la première et jusqu’à fin 2025 pour la seconde.
Demandée principalement par les filières noisette et betterave, cette réintroduction du dernier néonicotinoïde autorisé en Europe serait une catastrophe environnementale tant les effets de l’acétamipride sur les faunes, notamment les pollinisateurs, et les vers de terre, sont documentés.
Sans même parler des effets cocktails des ces molécules dont les impacts sont documentés depuis 20 ans. L’utilisation de l’insecticide Flupyradifurone peut également constituer une menace majeure pour les insectes.
Pulvérisation de pesticides par drones
Cette proposition de loi en prolonge une autre, dite Fugit, du nom du député qui l’a déposée en octobre 2024 à l’Assemblée. Elle entend aussi revenir sur l’interdiction de pulvérisation par voie aérienne des produits phytopharmaceutiques, en autorisant celles par drones. Si cette interdiction souffre parfois de quelques dérogations, comme pour la bouillie bordelaise, ces deux propositions de loi souhaitent généraliser la pratique au nom de la protection de l’environnement !
Or, le rapport de l’ANSES publié en juillet 2022 conclut que « l’analyse des données ne permet pas, à ce stade, de dégager des conclusions générales robustes compte tenu des incertitudes observées ». Il conclut que « les performances des drones de pulvérisation apparaissent inférieures à celles de pulvérisateurs terrestres classiques ».
En l’occurrence, une directive européenne, supérieure à la loi française, dispose qu’il « convient d’interdire d’une manière générale la pulvérisation aérienne, avec possibilité de dérogation seulement lorsque cette méthode présente des avantages manifestes, du point de vue de son incidence limitée sur la santé et sur l’environnement par rapport à l’application terrestre des pesticides ou lorsqu’il n’existe pas d’autre solution viable, pourvu qu’il soit fait usage de la meilleure technologie disponible pour limiter la dérive ». Au-delà de la possible violation du droit européen ici, la protection de l’environnement n’est donc pas garantie.
Les normes environnementales, garantie de revenus
Ces reculs concernant le droit des pesticides n’amélioreront pas le revenu du monde paysan mais uniquement de certains agriculteurs, à court terme et au prix de la santé déjà fragilisée des écosystèmes. Le monde agricole, dont les externalités – notamment environnementales – nous concerne tous, ne pourra s’engager pleinement dans des transitions écologiques que si les revenus sont garantis, en rémunérant les services écosystémiques rendus par exemple. Et non en actant des reculs normatifs qui obèrent la capacité de la biodiversité à rendre lesdits services.
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Les normes environnementales sont une garantie du revenu à moyen et long terme des paysans. Elles le sont à condition, évidemment, de mener le combat des prix rémunérateurs proportionnés aux coûts de production. Ce combat est certes bien plus difficile que de proposer des réformes législatives qui enterrent des outils de protection de l’environnement.
Dorian Guinard, Maître de conférences en droit public à l’Université Grenoble Alpes (Sciences Po Grenoble)
Dessin : Allan Barte
https://basta.media/les-normes-environnementales-ne-sont-pas-la-cause-du-malaise-agricole
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