Amériques, Capitalisme, Inégalités, Santé, Solidarité
Le 4 décembre, le PDG de l’énorme compagnie privée d’assurance maladie United Healthcare, dont l’actif total est de 273,7 milliards de dollars, était abattu par balle dans le centre de New York, devant un hôtel de luxe., par Luigi Mangione.
Les images de vidéosurveillance montrent l’exécution du patron par un homme au visage masqué, calme et déterminé, qui repart en vélo électrique. Elles ont suscité un vif émoi aux USA et provoqué une vaste chasse à l’homme pour arrêter le responsable. Sur les balles retrouvées seraient marqués les mots « deny, defend, depose ». C’est-à-dire « refuser, défendre, déposer » : les formules types apposées par les compagnies d’assurance privées sur les dossiers rejetés, pour éviter de rembourser les soins de santé de leurs clients. Ces mots ont été immédiatement compris par des millions d’Étasuniens comme une revendication.
Lundi 9 décembre, en Pennsylvanie, Luigi Mangione, âgé de 26 ans, était arrêté dans le cadre de l’enquête. La police locale a vite reconnu que le suspect «a de la rancune envers la grande entreprise américaine». Il avait sur lui des faux papiers et un manifeste pour expliquer sa colère contre les assurances de santé privées : «Je m’excuse pour tout conflit ou traumatisme. Mais il fallait le faire. Ces parasites l’avaient bien mérité». Il y dénonce le système de santé «le plus coûteux du monde, alors que l’espérance de vie d’un Américain est classée au 42e rang mondial». Une espérance de vie qui est effectivement en baisse dans la première puissance économique mondiale.
Le jeune homme sportif, issu d’une bonne famille, séduisant et diplômé d’une université prestigieuse, avait tout pour réussir. Mais ses amis de lycées ont expliqué qu’il avait subi il y a quelques années une opération du dos qui a «tout changé» pour lui, et qui l’aurait rendu fou de colère. Une colère envers le système de santé, qui s’est trouvée renforcée par le traitement réservé à ses proches malades, selon le New York Post. Il a perdu sa grand-mère en 2013 et son grand-père en 2017.
Avant de passer à l’acte, Lugi Mangione a lu de nombreux ouvrages, notamment annoté le texte de Theodore Kaczynski, surnommé «Unabomber», terroriste anarchiste et anti-technologie qui avait commis des attentats contre les entreprises informatiques dans les années 1980. Particulièrement efficace, ce dernier avait longtemps échappé à la plus coûteuse chasse à l’homme de l’histoire du FBI, avant d’être arrêté.
Revenons à Luigi Mangione. Dans un pays surarmé et très violent, l’acte du jeune homme visant un grand patron apparaît comme un retour de l’action directe anticapitaliste, en plein cœur de l’Empire du capital. Et plutôt que d’être réprouvé unanimement aux USA, cet assassinat a provoqué une vague inattendue et immense de soutien en faveur du jeune homme. Sur les réseaux sociaux, des posts à la gloire de Luigi Mangione, ou dénonçant violemment le secteur privé de la santé, sont likés et partagés des dizaines de milliers de fois. Des pages de «fans» de Luigi Mangione ont même été créées. À tel point que la porte-parole de la Maison Blanche a déclaré : « La violence pour combattre la cupidité des entreprises est inacceptable ».
L’exécution commise à New York met en lumière la réalité crue de la société US, celle dont on ne parle quasiment jamais : ces familles qui s’endettent pour accéder à des soins, les compagnies d’assurance qui rackettent les patient-es, les inégalités insoutenable d’accès à la santé, les millions de personnes qui n’ont pas d’assurance santé. Cette thématique avait été abordée dans la série Breaking Bad : l’anti-héros, professeur de chimie, bascule dans la production de drogue pour financer sa chimiothérapie et les soins de son fils handicapé.
La réaction populaire à l’acte de Luigi Mangione révèle donc une colère généralisée contre le système d’assurance maladie privé et les géants de cette industrie. Le Wall Street Journal a publié en première page un article titré : «La chasse à l’homme du meurtrier du PDG de United Healthcare rencontre un obstacle inattendu : la sympathie pour le tireur», notant que «les autorités sont confrontées à un défi inattendu : une vague de sympathie populaire pour le tueur».
Chez nous, France Info s’alarme : «La vague de soutien à Luigi Mangione enflamme les États-Unis». Elle révèle surtout que dans un pays qui a créé une mythologie autour de la «réussite» et du «rêve américain», des millions de personnes haïssent le capitalisme.
Aux États-Unis, comme pour répondre à cette soudaine sympathie pour l’action directe, les médias dominants se sont soudains remplis de témoignages de victimes des compagnies d’assurance privées, évoquant les traitements médicaux retardés ou refusés par des sociétés comme United Healthcare.
Il y a le récit d’une femme qui dit s’être battue contre une compagnie d’assurance alors qu’elle était enceinte de neuf mois et que son enfant d’un an était hospitalisé pour une tumeur cérébrale. Un autre déclare : «Aujourd’hui, je pense à la fois où United Healthcare a soudainement décidé d’arrêter de payer ma chimiothérapie et n’a pas pris la peine de me le dire, de sorte que les infirmières ont dû me le dire lorsque je me suis présentée au centre de cancérologie pour mon prochain traitement».
Selon plusieurs reportages, les factures médicales sont la première cause de faillite personnelle aux États-Unis. En parallèle, les PDG des six principaux assureurs des USA ont perçu une rémunération totale de 122.970.614 de dollars en 2023. Andrew Witty, Directeur Général de United Health Group, a reçu à lui seul 23,5 millions de dollars l’année dernière.
La société la plus riche du monde a privatisé l’accès à la santé afin de permettre à des compagnies privées de maltraiter et de voler des milliers de patient-es, dans le but de réaliser plus de profits. Dans ces conditions, et alors que les dernières élections – opposant un vieillard sénile et génocidaire contre un autre vieillard néofasciste, tous deux néolibéraux – n’ont laissé aucun choix à la population, il n’est pas étonnant que des gestes anticapitalistes désespérés aient lieu. Et provoquent un engouement aussi massif qu’inattendu.
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