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C’est terminé. En 2011, des millions de syriens scandaient à l’unisson, dans les rues, le célèbre slogan «le peuple veut la chute du régime». Ce dimanche 8 décembre 2024, le régime est tombé.
La disparition : où est passé Bachar Al Assad ?
Pour la première fois depuis plus de 50 ans, la Syrie se réveille sans le clan Al Assad à sa tête. Ce matin, sur la télévision d’État syrienne, des rebelles annoncent la chute du dictateur. Au même moment, ils sont dans le palais présidentiel après avoir pris la capitale du pays, Damas, quasiment sans tirer de coup de feu.
Où se trouve Bachar Al Assad ? Personne ne le sait, il n’est pas réapparu depuis le début de l’offensive rebelle, il aurait fui en avion et aurait peut-être même été abattu en vol. En tout cas, son pouvoir a pris fin. C’est historique.
Après 13 ans de guerre civile Bachar Al Assad pensait avoir «gagné» : il avait anéanti la révolution avec une barbarie inimaginable, il croyait avoir traumatisé l’opposition pour des générations et se félicitait d’être le seul dictateur qui avait surmonté les «Printemps arabes». Il venait d’être ré-invité par la Ligue Arabe, comme s’il était redevenu un dirigeant normal du Proche-Orient. Même l’Union Européenne envisageait, cet automne, de renouer des relations avec le dictateur.
Finalement, en seulement deux semaines d’offensive éclair, l’intégralité de son régime s’est effondré sur lui-même : il a suffit de quelques milliers de combattants déterminés, dirigés par le groupe HTS à dominante islamiste, pour mettre en déroute tout un appareil militaire et répressif qui se présentait comme invincible. En réalité, Al Assad ne régnait plus que sur des ruines et une armée mal entraînée, mal équipée, fatiguée par une décennie de massacres de son propre peuple.
Le régime syrien, colosse aux pieds d’argile
Parmi les images folles de ces derniers jours, les statues d’Hafez Al Assad et de son fils Bachar, déboulonnées dans les villes libérées. Les lieux de pouvoir et les portraits du dictateur cassés. Notamment dans la ville de Hama qui avait subi une effroyable répression en 1982 comme en 2011. Il y a quelques jours encore, faire tomber un symbole de la dynastie au pouvoir exposait à la peine de mort. Aujourd’hui, des enfants se filment en train de faire pipi dessus en rigolant, et des syriens traînent des têtes de statues par terre.
Le régime disposait de dizaines de services de sécurité et de centres de torture, un véritable archipel de la terreur qui verrouillait totalement le pays, depuis des décennies jusque dans ses campagnes. Et il est tombé sans même combattre. Aucun régime n’est invulnérable.
Les forces rebelles et islamistes qui viennent de faire tomber le régime se sont battues ces derniers jours pour libérer la grande ville d’Alep, celle de Hama ou de Homs. Mais pour prendre la capitale, Damas, il n’y a même pas eu de combats. La nuit dernière, des habitant-es ont filmé les soldats du régime enlever leurs uniformes à la hâte dans les rues et s’enfuir pour se fondre au milieu des civils.
L’ouverture des portes de l’enfer
Près de Damas, la prison de Saydnaya est sans doute l’une des pires du monde. Elle a été libérée dans la nuit. Il s’agit d’un véritable camp de concentration, dont le seul nom faisait trembler les syriens. Saydnaya a été qualifié «d’abattoir humain» par Amnesty International, 30.000 détenu-es y ont été assassiné-es depuis 2011. Contestataires, organisateurs de manifestations, opposant-es politiques, insurgé-es et combattant-es rebelles, soldats ayant refusé les ordres, enfants, femmes et vieillards…
À propos de Saydnaya, les détenus qui ont survécu ont raconté l’enfer sur terre : torture constante, geôles couvertes de sang et de pus, remplies de corps agonisants, viols, famine, exécutions sommaires pour un regard, salles remplies de sel où étaient entassés les cadavres, mis à sécher. Dans les premières heures du 8 décembre, les combattants rebelles sont arrivés aux portes de Saydnaya, ont négocié la reddition de ses gardiens et ont immédiatement libéré les détenu-es.
Comme dans d’autres prisons ouvertes ces derniers jours, certains enfermés n’avaient pas vu la lumière du jour depuis des décennies. Par exemple ce soldat de l’aviation qui avait refusé de tirer sur le peuple dans les années 1980. Ou un jeune libanais disparu à l’age de 17 ans, que sa famille croyait mort. Il avait été enlevé par le régime il y a 40 ans, et vient d’être libéré. C’est un vieillard. La quantité de souffrance qu’a endurée la population syrienne est difficilement concevable depuis l’Europe, ce qui doit nous appeler à l’humilité quant à nos analyses sur la situation.
Tout ça pour ça
Toute cette violence exercée par un régime qui finalement, est tombé aussi facilement. En 2011, les forces du pouvoir chantaient le slogan : «Assad ou on brûle le pays». Soit le dictateur, soit le chaos. Depuis, Bachar Al Assad a détruit son pays, tué plus de 500.000 personnes, bombardé de nombreuses villes. 12 millions de syrien-nes ont été déplacé-es, la production d’énergie s’est effondrée, l’accès à l’eau potable est difficile, les services de santé ne fonctionnent plus, l’écrasante majorité des syrien-nes sont sous le seuil de pauvreté.
Bachar Al Assad aurait pu sauver la face après un an de révolution, en négociant avec les rebelles et en faisant des concessions. Mais il a cru qu’avec le soutien des russes et les iraniens, et en se présentant comme un rempart à l’islamisme, il ne risquait plus rien. Aujourd’hui, non seulement il tombe, mais il laisse le champ libre aux islamistes. L’hubris du régime a fait perdre 13 ans à la Syrie et traumatisé son peuple pour des générations.
On peut vivement regretter que ce ne soit pas la grande révolution populaire et démocratique de 2011 qui ait fait tomber le régime, mais des factions rebelles dominées par les islamistes, qui ont su saisir le bon moment. Pour autant, comment ne pas se réjouir de la chute d’un tel régime et l’ouverture de ses prisons ?
L’occident perd un allié
En occident, y compris à gauche, on s’inquiète du «saut dans l’inconnu» après Bachar Al Assad, et de «l’instabilité» de la Syrie. Mais cela fait 13 ans qu’il n’y a aucune stabilité, qu’une guerre civile est en cours, que des factions se disputent des morceaux de territoire, que l’Iran, la Russie, les États-Unis et les pétromonarchies du Golfe interviennent en Syrie. Laisser croire que cette dictature était un gage de «stabilité» est faux, indigne et criminel.
L’extrême droite française perd un ami : Thierry Mariani et Nicolas Bay, responsables du RN, se rendaient en 2019 à Damas pour soutenir ses dirigeants, et s’y photographiaient en train de boire du vin. Idem pour Julien Rochedy et Andréa Kotara, autres personnalités d’extrême droite, qui y sont allés en connaissant parfaitement l’usage d’armes chimiques du régime contre sa population. Gauthier Bouchet du RN de Loire-Atlantique, est un fervent soutien de Bachar Al Assad, de même que différents groupes fascistes comme Égalité et Réconciliation. Les identitaires s’inquiètent eux aussi du sort de la Syrie sans le dictateur. Le régime se revendiquait «social-nationaliste», ce qui plaisait beaucoup à ce petit monde. Bon débarras, que la honte les submerge.
Et maintenant ?
On voit des habitant-es danser et pleurer de joie dans les villes libérées, des manifestations reprendre dans le sud du pays, des familles chercher avec espoir et angoisse si leur proche est vivant à la sortie des prisons. Pour autant, l’inquiétude est grande. Le HTS, issu d’un groupe djihadiste, montre pour le moment qu’il veut diriger le pays et donc inclure la diversité de la population syrienne et ses différentes minorités religieuses. L’autre faction de combattants, l’ANS, est pilotée et armée par la Turquie et s’attaque au Rojava, le territoire administré par une coalition démocratique menée par les Kurdes au Nord du pays. Le but de l’ANS est d’asseoir l’influence turque dans la Syrie post-Al Assad.
La côte ouest du pays n’est pas encore reprise, c’est un bastion du clan Al Assad. Il est possible que la Syrie se retrouve à nouveau morcelée en différents micro-États rivaux et soutenus par des puissances étrangères adverses. En parallèle, les groupes djihadistes comme Daesh risquent de profiter de la situation pour se renforcer et reprendre leurs exactions.
Un horizon désirable pour la Syrie serait qu’il s’y diffuse le modèle expérimenté ces dernières années au Rojava : un projet social, démocratique, multiconfessionnel et émancipateur, où chacun-e trouverait sa place.
Mais une nation qui sort d’un tel cauchemar, où la société civile démocratique a été massacrée, un pays baigné si longtemps dans une telle brutalité, truffé d’armes, dominé par des seigneurs de guerre, et entouré de pays prédateurs, pourra-t-elle y parvenir ?
https://contre-attaque.net/2024/12/08/syrie-la-chute-de-la-dictature/
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