Syrie : le début de la fin pour le régime de Bachar al-Assad ?

­ Plus de 300 000 civils tués. 13 millions de déplacés et réfugiés, soit 60 % de la population, dont la moitié exilée hors du pays (en Turquie, au Liban, en Jordanie ou en Europe). Telle était la situation de la Syrie, après plus d’une décennie de guerre civile, laissant un pays divisé en trois zones : le sud, l’ouest et le centre aux mains du régime Assad et de son « Armée arabe syrienne » (AAS), soutenu par ses alliés russes et iraniens ; au nord-est de l’Euphrate, une zone contrôlée par les « Forces démocratiques syriennes » (FDS), à dominante kurde, occasionnellement appuyée par la coalition occidentale anti-État islamique ; l’enclave autour d’Idlib, au nord-ouest, accolée à la Turquie, où s’étaient repliés les groupes armés opposants au régime. Certains sont d’obédience islamiste, comme le principal d’entre eux, la milice Hayat Tahrir Al-Sham (Organisation de libération du Levant, HTS), d’autres ont été vassalisés par la Turquie d’Erdoğan pour contrer l’influence kurde, comme l’Armée nationale syrienne (ANS). Près de 3 millions de personnes survivaient dans cette « poche » d’Idlib, assiégée au sud par le régime depuis 2019 comme nous vous le racontions à l’époque. Ce conflit à bas bruit avait peu à peu disparu de nos écrans et des colonnes de nos journaux. Seul un lointain écho nous en parvenait encore par la présence et les récits des réfugiés syriens en Europe. Fin novembre, le brasier s’est rallumé. Les rebelles ont profité de l’affaiblissement du régime et de ses alliés – la dictature du clan Assad est au bord de la banqueroute, ne tenant que grâce au clientélisme et à la corruption, les expérimentées milices du Hezbollah sont retournées au Sud Liban combattre l’armée israélienne, les moyens de l’armée russe sont concentrés contre l’Ukraine, enfin, le régime iranien est occupé à réprimer la contestation en son sein. Et ont lancé une offensive surprise fin novembre. Alep, ville martyre qui avait été rasée par le régime et l’aviation de Poutine, a été reprise par la rébellion dès le 1er décembre. Les habitants qui avaient fui la répression du régime ont commencé à y revenir. Les regards se concentrent désormais plus au sud, sur la ville de Hama, que vient de capturer la milice HTS ce 5 décembre. Des combattants rebelles devant la citadelle médiévale d’Alep, le 30 novembre 2024 
© Dayan Junpaz (Enab Baladi)
Hama est à la fois stratégique et symbolique. Elle contrôle l’axe entre Alep, au nord, et Damas, la capitale, au sud. La ville constitue également un point de passage entre la façade méditerranéenne à l’ouest et la vallée de l’Euphrate à l’est. « Compte tenu de l’importance militaire, politique et symbolique de Hama, son contrôle par l’opposition représenterait “un facteur de démoralisation et de défaite psychologique” qui affecterait de manière significative le moral du régime et de ses troupes, marquant ainsi “le premier pas vers un effondrement total, qui pourrait être observé à Damas”, explique le chercheur syrien Abdul Rahman al-Haj dans le média indépendant Enab Baladi. Ce média en ligne a été créé en 2011 par un groupe de journalistes et d’activistes au moment du soulèvement pacifique contre la dictature Assad – soulèvement réprimé dans le sang qui s’est ensuite mué en guerre civile. « Hama revêt une importance symbolique, car elle a été le théâtre du « plus grand » massacre de l’histoire syrienne en 1982, qui a coûté la vie à environ 40 000 civils et a représenté un tournant dans la consolidation du pouvoir de la famille Assad », poursuit le média. Pendant que la rébellion progresse vers le sud, le régime Assad et son allié russe font ce qu’ils savent faire le mieux : bombarder et massacrer les civils. « Les forces de défense civile des casques blancs basées à Idlib, d’où les insurgés ont lancé leur attaque, ont déclaré que les frappes aériennes russes avaient touché cinq établissements de santé, dont une maternité. Au moins 18 personnes ont été tuées et 35 blessées, ont-ils déclaré, ajoutant qu’ils craignaient que ces chiffres n’augmentent », rapporte The Guardian. Preuve que le régime est aux abois, Assad vient de signer un décret augmentant de 50 % le salaire des militaires, décrit dans un autre article Enab Baladi (à titre indicatif, un fonctionnaire syrien perçoit entre 20 et 40 dollars par mois, la valeur de la monnaie nationale s’étant fortement dégradée). Une fois Hama dépassée, l’objectif des rebelles du HTS est désormais Homs, 3ème ville du pays et dernière grande étape avant Damas. Sa capture isolerait Damas de la zone littorale, et pourrait précipiter la chute du régime Assad. Ce retournement de la situation syrienne laisse plusieurs questions en suspens. Le régime parviendra-t-il à freiner l’offensive rebelle ? Celle-ci aura alors seulement redessiné la carte d’une Syrie divisée, la zone contrôlée par le régime se réduisant au littoral, la guerre civile larvée se poursuivant à bas bruit. Ou la dictature du clan Assad père et fils, au pouvoir depuis plus de 50 ans, s’effondrera-t-elle ? Dans ce cas, quelle nouvelle forme d’État la remplacera ? L’organisation HTS est la force rebelle dominante. Elle est dirigée par un Syrien, Abou Mohammed al-Joulani, ancien professeur d’arabe, ayant combattu l’armée états-unienne en Irak aux côtés d’Al-Qaïda. Le groupe islamiste ne prône pas un « djihad global » : il a rompu avec Al-Qaïda depuis 2016 et s’est opposé aux partisans de l’État islamique. Le groupe a conclu une sorte de pacte de non-agression avec les Forces démocratiques syriennes à dominante kurde – au contraire de l’ANS pilotée par la Turquie pour les combattre. Depuis le début de l’offensive rebelle, HTS multiplie les communiqués se voulant rassurants vis-à-vis de l’ensemble des communautés syriennes – Alaouites, Chrétiens, Ismaéliens, Chiites ou Druzes. « Vous avez le droit de vivre en liberté […]. Nous dénonçons les agissements de l’organisation État islamique contre les Kurdes, y compris l’esclavage des femmes […]. Nous sommes avec les Kurdes pour bâtir la Syrie de demain », a par exemple assuré HTS dans un message à destination des Kurdes. Reste qu’il demeure un groupe islamiste rigoriste, une version syrienne des talibans afghans – pour l’instant d’apparence plus tolérante. S’il renverse le régime, continuera-t-il de respecter la pluralité des opinions et des cultures ? Ses dirigeants s’engageront-ils sur le chemin d’une réconciliation nationale et d’une représentation démocratique de l’ensemble des courants politiques ? Restera-t-il imperméable aux pressions turques qui veulent isoler les Kurdes ? Qu’adviendra-t-il des minorités religieuses et culturelles, et, surtout, des femmes syriennes ? Seront-elles considérées comme des citoyennes à part entière ou progressivement effacées de l’espace public comme les Afghanes ? Le clan Assad a détruit son propre pays pour demeurer au pouvoir. Espérons que la rébellion ne se muera pas en nouvel oppresseur, un de plus dans un Proche-Orient martyrisé. 
Ivan du Roy

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