Catégories Territoires coloniaux français
Mathias Chauchat, Professeur des universités à l’Université de Nouvelle-Calédonie, agrégé de droit public, a été suspendu le 12 octobre 2024 pour quatre mois à titre conservatoire par la Présidente de l’UNC. Une procédure-bâillon inacceptable pour un ensemble de 75 signataires, chercheur·ses et enseignant·es spécialistes de la Nouvelle-Calédonie, du Pacifique ou des Outre-mers français.
Mathias Chauchat, Professeur des universités de classe exceptionnelle à l’Université de Nouvelle-Calédonie, agrégé de droit public, a été suspendu le 12 octobre 2024 pour quatre mois à titre conservatoire par la Présidente de l’UNC. Cela fait suite à sa décision, rendue publique par un communiqué de presse du 30 septembre, d’« entamer une procédure » en raison d’un message factuel posté sur le réseau social X (ex-twitter) par M. Chauchat le 27 septembre « Le démantèlement du point de mobilisation pacifique des jeunes des squats de Nouville au Sénat coutumier a été demandé par le maire de Nouméa aux forces de l’ordre. L’incendie à l’UNC a pris devant le bureau de notre collègue archéologue de l’Océanie, Louis Lagarde, son fils. L’Université, en tant qu’outil de développement et de rééquilibrage au service du pays, ne paraît pas visée directement. Il faut recréer du lien social et l’interpellation de 3000 jeunes Kanak, nombre démesuré représentant 3% de la population kanak totale, n’aide pas ». Rien dans ce texte ne contrevient aux principes de tolérance et d’objectivité qui s’imposent aux universitaires. Il lui a été reproché dans la foulée « de faire œuvre de propagande politique plutôt que d’enseigner sa discipline ».
Les annonces d’une procédure (le 30 septembre) et d’une suspension (le 12 octobre) ont donné lieu à des réactions politiques témoignant de pressions politiques inacceptables à l’encontre de cet enseignant-chercheur réputé pour son travail sur les institutions de la Nouvelle-Calédonie et sur le processus de décolonisation engagé par l’Accord de Nouméa (1998) – qui joua de plus un rôle central dans la mise en place et le développement de l’Université de Nouvelle-Calédonie.
Ainsi, de manière particulièrement surprenante en raison des fonctions qu’elle exerce, l’Ambassadrice représentante permanente de la France auprès de la communauté du Pacifique et du Programme régional océanien de l’environnement, basée à Nouméa, Véronique Roger-Lacan, écrivait sur le même réseau social le 30 septembre : « Il était temps de réagir contre l’obsession partisane & propagandiste de @ChauchatM pourtant enseignant & de ce fait tenu à la réserve », et évoquait dans un tweet en anglais « @ChauchatM’s use of his status at the university for propaganda & disinformation ». Et d’ajouter avec satisfaction le 18 octobre « Et voilà… @ChauchatM suspendu pour 4 mois ».
De même, « Les Loyalistes » et le « Rassemblement Nouvelle-Calédonie », partis extrêmement anti-indépendantistes ont publié un communiqué le 18 octobre et écrivaient « Nous nous étonnons que la gravité de ces faits n’ait pas conduit à une sanction plus exemplaire. La grande indulgence de l’Université de la Nouvelle-Calédonie envers un soutien politique de la première heure des indépendantistes radicaux nous interroge quant à la capacité de cette institution à préserver un environnement neutre et impartial pour la formation de la jeunesse calédonienne. »
Car c’est bien là le fond du problème pour les anti-indépendantistes : Mathias Chauchat a publié en 2020 avec sa fille avocate Louise Chauchat, un ouvrage Le sens du Oui. La sortie de l’Accord de Nouméa dans lequel ils expliquent leur engagement pour un destin commun dans un pays commun, dans l’esprit de l’accord de décolonisation qu’est l’Accord de Nouméa. Cela en fait depuis lors, et tout particulièrement depuis les troubles de mai 2024, des personnes que les anti-indépendantistes veulent réduire au silence. Or la liberté d’expression est un bien précieux, au fondement du débat démocratique.
Elle est particulièrement protégée pour les enseignants-chercheurs, que ce soit dans le cadre de leur enseignement : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité. Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s’exercent conformément au principe au caractère constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs ». (article L952-2 du code de l’éducation) – principes réaffirmés par le Conseil constitutionnel (20 janvier 1984, 10 janvier 1995, 6 août 2010) comme par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (23 juin 2009, 27 mai 2014, 19 janvier 2016) – ou dans le cadre de leur activité publique, comme le rappelle le Comité d’éthique du CNRS : « S’agissant des chercheurs et enseignants-chercheurs, il est établi qu’ils jouent un rôle particulier dans la sphère publique, propice au débat démocratique et à l’autoréflexion de nos sociétés. C’est pourquoi leur liberté d’expression est en général jugée plus étendue que celle du fonctionnaire ordinaire, comme en témoigne la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. […] Aux termes de la loi (article L121-2 du Code Général de la Fonction Publique) et de la jurisprudence, la notion de neutralité renvoie en réalité essentiellement aux fonctions que le chercheur est amené à assumer en tant qu’agent : quand il recrute telle personne plutôt que telle autre, il doit laisser de côté toute considération politique) (COMETS, avis n°2023-44).
Les présidences d’université doivent être les garantes du bon exercice des droits et des libertés, tout particulièrement de la liberté d’expression et des libertés académiques – plutôt que de céder à d’inacceptables pressions politiques visant à réduire les universitaires au silence, et le savoir à une opinion comme une autre. On doit pouvoir parler librement de la Nouvelle-Calédonie en Nouvelle-Calédonie, et singulièrement à l’Université. Nous soutenons Mathias Chauchat face à l’attaque injuste dont il est victime, et demandons que sa suspension soit levée pour qu’il puisse poursuivre l’animation du projet de recherche international « Inclusive Peace » dont il est le coordinateur scientifique auprès de l’Agence Nationale de la Recherche.
Les signataires :
Simon Batterbury, géographe, University of Melbourne, Australie
Olivier Beaud, juriste, Université de Paris Panthéon-Assas
Pascale Bonnemère, anthropologue, CNRS, Marseille
Christiane Bougerol, anthropologue CNRS, Paris
Dominik Bretteville, anthropologue, UCO, Angers
Isabelle Bril, linguiste, CNRS, Paris
Audrey Célestine, historienne, New York University, États-Unis
David Chappell, historien, University of Hawai’i at Mānoa, États-Unis
Kathryn Creely, bibliothécaire, University of California, San Diego, États-Unis
Jessica De Largy Healy, anthropologue, CNRS, Nanterre
Christine Demmer, anthropologue, CNRS, Marseille
Marcel Djama, anthropologue, CIRAD, Montpellier
Bronwen Douglas, historienne, Australian National University, Canberra, Australie
Anaïs Duong-Pedica, études de genre, Åbo Akademi University, Turku, Finlande
Dorothée Dussy, anthropologue, CNRS, Marseille
Elsa Faugère, anthropologue, INRAE, Montpellier
Myrtille Ferné, sociologue, EHESS, Paris
Jon Fraenkel, politiste, Victoria University of Wellington, Nouvelle-Zélande
Natacha Gagné, anthropologue, Université Laval, Québec, Canada
Matteo Gallo, anthropologue, Aix-Marseille Université
Nicole George, politiste, University of Queensland, Brisbane, Australie
Vincent Geronimi, économiste, Université de Versailles Saint-Quentin
Lorenz Gonschor, politiste, University of the South Pacific, Suva, Fidji
Nicole Gooch, politiste, chercheuse indépendante, Sydney, Australie
Stéphanie Guyon, politiste, Université de Picardie Jules Verne, Amiens
Jean-Louis Halpérin, historien du droit, Paris
Christine Hamelin, sociologue, Université de Versailles Saint-Quentin
Aurore Hamene, Littératures comparées, Université Paris-Est Créteil
Sue Heinrich, Pacific Studies, Te Herenga Waka Victoria University, Wellington, Nouvelle-Zélande
Stephen Henningham, historien, Australian National University, Canberra, Australie
Karin Louise Hermes, Pacific Islands Studies, chercheuse indépendante, Allemagne
Leah Horowitz, études environnementales, University of Wisconsin-Madison, États-Unis
Margaret Jolly, études de genre, Australian National University, Canberra, Australie
Karolina Kania, anthropologue, Prague University of Economics and Business, République Tchèque
Matthias Kowasch, géographe, Sorbonne Université, Paris
Silyane Larcher, politiste, études de genre, CNRS, Université Northwestern, Evanston, États-Unis
Élise Lemercier, sociologue, Université de Rouen
Pierre-Yves Le Meur, anthropologue, IRD, Nouméa
Clémence Léobal, sociologue, CNRS, Toulouse
Neophytos Loizides, politiste, University of Warwick, Royaume-Uni
Talei Luscia Mangioni, Pacific Studies, Australian National University, Canberra, Australie
Pascal Marichalar, sociologue, CNRS, Paris
Alexander Mawyer, Pacific Islands Studies, University of Hawai’i at Mānoa, États-Unis
Allison McCulloch, politiste, Brandon University, Canada
Isabelle Merle, historienne, CNRS, Marseille
Martino Miceli, anthropologue, EHESS, Paris
Hamid Mokaddem, philosophe, chercheur indépendant, Nouméa
Denis Monnerie, anthropologue, Université de Strasbourg
Yoram Mouchenik, psychologue, Université Sorbonne Paris Nord
Alain Moyrand, juriste, Université de la Polynésie française, Tahiti
Claire Moyse-Faurie, linguiste, CNRS, Montrouge
Adrian Muckle, historien, Victoria University of Wellington, Nouvelle-Zélande
Michel Naepels, anthropologue, CNRS-EHESS, Paris
Mélissa Nayral, anthropologue, Université Toulouse Jean Jaurès
Briony Neilson, historienne, University of New South Wales, Sydney, Australie
Hélène Nicolas, anthropologue, Université Paris-8, Saint-Denis
Pierre Odin, politiste, Université des Antilles, Pointe-à-Pitre, Guadeloupe
Nathalie Ortar, anthropologue, ENTPE, Vaulx-en-Velin
Anna Paini, anthropologue, Università di Verona, Italie
Élise Palomares, sociologue, Université de Rouen Normandie
Myriam Paris, sociologue, CNRS, Amiens
Fred Reno, politiste, Université des Antilles, Pointe-à-Pitre, Guadeloupe
Marie Salaün, anthropologue, Université Paris Cité
Christine Salomon, anthropologue, chercheuse indépendante, Paris
Nathanaëlle Soler, anthropologue, IRD, Montpellier
Éric Soriano, politiste, Université Paul-Valéry-Montpellier-3
Angélique Stastny, politiste, chercheuse indépendante, Paris
Serge Tcherkézoff, anthropologue, EHESS, Marseille
Nick Thieberger, linguiste, University of Melbourne, Australie
Benoît Trépied, anthropologue, CNRS, Paris
Yerri Urban, juriste, Université des Antilles, Schoelcher, Martinique
Eric Waddell, géographe, Université Laval, Québec, Canada
Camellia Webb-Gannon, sciences sociales, University of Wollongong, Australie
Vehia Wheeler, Pacific Studies, Australian National University, Canberra, Australie
Éric Wittersheim, anthropologue, EHESS, Paris
Commentaires récents