«Le temps viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui». August Spies
Les États-Unis n’ont pas toujours été le paradis du capitalisme que nous connaissons aujourd’hui. Le pays a longtemps été secoué par des révoltes ouvrières massives, qui ont été réprimées dans le sang et bien souvent effacées des livres d’histoire.
En ce 11 novembre, alors que d’autres célèbrent la fin de l’une des plus grandes boucheries nationalistes du XXème siècle, souvenons nous plutôt des anarchistes injustement condamnés à mort et pendus le 11 novembre 1887 : August Spies, aux côtés de ses camarades Albert Parsons, Adolph Fischer, George Engel. Quatre de leurs camarades inculpés avec eux ne sont pas exécutés, mais subiront eux aussi une terrible répression : Louis Lingg se suicide dans sa cellule, Samuel Fielden et Michael Schwab sont envoyés au bagne à perpétuité et Oscar Neebe écope de 15 ans de prison.
Au total, huit hommes accusés de «complot». Principaux leaders du mouvement anarchiste et syndicalistes américains, ils sont les victimes de la violence judiciaire au service de la bourgeoisie. Leur sort est aussi intimement lié à la date du 1er mai, journée internationale des travailleurs, célébrées dans le monde entier chaque année.
Une grève insurrectionnelle
L’histoire commence le 1er mai 1886, à Chicago, immense métropole industrielle où le syndicalisme et le mouvement anarchiste sont solidement implantés, qu’a lieu une grande manifestation pour réclamer la journée de travail de 8 heures. Une lutte engagée 2 ans plus tôt par des centaines de milliers d’ouvriers.
Certaines entreprises refusent de réduire le temps de travail de leurs salariés. C’est pourquoi de nouvelles mobilisations sont organisées pour accroître le rapport de force contre ces entreprises. L’une de ces firmes concernées est l’usine McCormick de Chicago, où un rassemblement est organisé le 3 mai. Alors que la foule se disperse après un discours d’August Spies, 200 policiers chargent et assassinent trois manifestants.
Dans le Journal des Travailleurs, rédigé par le militant anarchiste, paraît cet appel au rassemblement pour le lendemain à Haymarket Square, une place de la ville :
«Esclaves, debout !
La guerre de classes est commencée. Des ouvriers ont été fusillés hier devant l’établissement Mac Cormick. Leur sang crie vengeance. Le doute n’est plus possible. Les bêtes fauves qui nous gouvernent sont avides du sang des travailleurs, mais les travailleurs ne sont pas du bétail d’abattoir».
Ce 4 mai à Haymarket, alors que la police charge le rassemblement, une bombe est lancée, tuant un policier. 7 autres meurent dans le chaos créé, et la police tire sur la foule pour se venger. C’est un véritable bain de sang.
Pendus pour l’exemple
7 anarchistes sont arrêtés, un 8e se rend à la police, certain d’être acquitté. En fait, seuls trois des huit suspects étaient présents au Haymarket Square le soir de ce 4 mai fatal. Mais la justice des Etats-Unis a choisi : il faut en finir avec les agitateurs qui mettent en péril la machine capitaliste, faire des exemples.
À l’époque en effet, les syndicats ont des revendications bien plus révolutionnaires qu’aujourd’hui. Et le pays est déjà le laboratoire de politiques anti-sociales particulièrement sournoises, avec des agences privées payées par les patrons pour infiltrer, terroriser voire et détruire les organisations ouvrières. Les grèves finissent régulièrement en affrontements armés.
«ll n’y a qu’un pas de la République à l’anarchie. C’est la loi qui subit ici son procès en même temps que l’anarchisme. Ces huit hommes ont été choisis parce qu’ils sont des meneurs. Ils ne sont pas plus coupables que les milliers de personnes qui les suivent. Messieurs du jury : condamnez ces hommes, faites d’eux un exemple, faites-les pendre et vous sauverez nos institutions et notre société. C’est vous qui déciderez si nous allons faire ce pas vers l’anarchie, ou non», déclare le procureur lors du procès. Il scelle ainsi le sort des inculpés.
À l’origine du 1er mai
Le 13 novembre, un gigantesque cortège accompagne les funérailles de ceux qui sont devenus les Martyrs de Chicago.
Le 25 juin 1893 un gouverneur de l’Illinois, John Altgeld, démontrera l’innocence des accusés. Les morts seront alors réhabilités et Samuel Fielden, Michael Schwab et Oscar Neebe seront ensuite remis en liberté après sept ans de bagne.
La répression judiciaire sanglante des anarchistes aux Etats-Unis ne s’arrêtera pourtant pas là, puisque 40 ans plus tard c’est au tour de 2 anarchistes italiens, les célèbres Sacco et Vanzetti, d’être condamnés à mort sans preuve.
L’injustice de la mort des martyrs de Chicago connaît un écho retentissant à travers le monde. En 1889 lors de la IIe Internationale à Paris, c’est en hommage aux martyrs exécutés ainsi qu’aux ouvriers assassinés par la police qu’est fixée la date du 1er mai 1890 comme journée internationale de solidarité entre les travailleurs du monde entier.
Aujourd’hui, faisons vivre cette histoire : un hommage aux générations passées qui ont lutté pour arracher les droits qui bénéficient à toutes et tous, et un combat pour les générations à venir.
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