10 octobre 2024

JE M’APPELLE RÉVOLUTION

Recueil d’une quarantaine d’articles et de textes de conférence de Lucie Parson (1853-1942), anarchiste étasunienne quelque peu oubliée, y compris par l’histoire des mouvements ouvriers, membre fondatrice des Industrial Workers of the World (IWW), vraisemblablement descendante d’esclaves, veuve d’Albert Parson, un des cinq martyrs du massacre de Haymarket.
Très pédagogue dans ses interventions, elle présente souvent les principes et intérêts de l’anarchisme, expliquant notamment pourquoi tout gouvernement ne sera jamais qu’au service d’une minorité, au détriment du plus grand nombre, avant tout soucieux de se maintenir au pouvoir, en faisant taire toute opposition. Elle considère que « le changement à venir ne pourra se produire que par une révolution, car les classes possédantes ne laisseront pas la société se transformer de façon pacifique ». Aux septiques qui croient impossible de se passer d’une « autorité organisée », elle répond que « l’expérience a montré que l’être humain est un animal grégaire qui s’associe d’instinct à ses semblables pour coopérer, car il travaille mieux en groupe que seul. Cette tendance pourrait mener à la formation de communautés coopératives, dont les actuels syndicats sont les embryons ». Elle soutient que, très rapidement, « la propriété perdrait certains attributs qui lui valent aujourd’hui d’être sanctifiée. Sa primauté absolue (le “droit d’user et de disposer“ d’une chose) serait abolie ; seul subsisterait des droits d’usage. » Elle est profondément persuadée que l’humanité s’intéressera moins à « l’accumulation excessive de richesses » lorsqu’elle aura « rompu les chaînes de la faim, du besoin et de l’esclavage » : « Quand deux, trois ou quatre heures d’un travail facile et sain suffiront à produire tout le confort et le luxe dont on peut avoir besoin et que nul ne sera privé de possibilités d’emploi, les gens deviendront indifférents face a qui possèdera une richesse dont ils n’auront que faire. L’opulence fera l’objet de mépris, et l’on constatera que les hommes et les femmes n’accepteront plus qu’on les rémunère ou les achète en vue de leur faire accomplir des tâches qu’ils et elles n’effectueraient pas volontiers et naturellement. » C’est pourquoi elle préconise : « Ne faites pas la grève pour quelques cents de plus car le coût de la vie va augmenter encore plus vite ; faites là plutôt pour tout ce que vous pourriez gagner, ne vous contentez de rien de moins. »

Dans beaucoup d’interventions, elle revient sur les « martyrs de Chicago », le déroulement des événements du 4 mai 1886, la partialité des procédures judiciaires qui frappèrent son mari et ses camarades, les agents de Pinkerton qui « pourraient bien avoir fait le sale boulot ».

Elles s’adressent directement aux déshérités qu’elle invite à ne plus se laisser dépouiller du fruit de leur labeur, à aller « se promener dans les avenues habitées par les riches » : « Exprimez leurs vos doléances en les forçant à les lire à la lueur ardente de la destruction. » « Apprenez à utiliser des explosifs ! » Elle  n’a de cesse de leur montrer les multiples injustices dont ils sont victimes pour éveiller leur colère. Elle dénonce l’hypocrisie de « la civilisation chrétienne », le despotisme du gouvernement des états-Unis, qui se présente sous les apparences d’une république et d’une démocratie, mais agit « contre la volonté du peuple, dans l’intérêt des gens qui la contrôlent », « l’esclavage salarié ».

Le discours qu’elle prononça au congrès fondateur des IWW, en juin 1905, est intégralement retranscrit. Elle y prend la défense des femmes : « Nous sommes les esclaves des esclaves. », et prône la révolution « qui remettra toutes ces choses à leur place, soit entre les mains des producteurs », déclenchée par la grève générale.

Elle dénonce le vote comme « la plus colossale […] de toutes des mystifications modernes ». Si elle se montre soucieuse des questions féministes, soulignons qu’elle critique vertement la « variété » des partenaires et défend « l’exclusivité sexuelle ».

Ce copieux échantillon de textes de Lucie Parsons, savamment annotés par Francis Dupui-Déri, donne un large aperçu de ses prises de position et contribuera certainement à sa (re)découverte.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

JE M’APPELLE RÉVOLUTION
Écrits et paroles d’une éternelle agitatrice
Lucie Parson
Textes réunis et présentés par Francis Dupuis-Déri
Traduit de l’anglais par Nicolas Calvé
288 pages – 20 euros
Éditions Lux – Collection « Instincts de liberté » – Montréal – Septembre 2024
luxediteur.com/catalogue/je-mappelle-revolution/

http://bibliothequefahrenheit.blogspot.com/2024/10/je-mappelle-revolution.html

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