Cyrille Martinez
paru dans lundimatin#447, le 14 octobre 2024
La sécurité est l’inverse de la paix. La sécurité c’est la guerre. Rien de plus guerrier que la doctrine sécuritaire. Netanyahou qui connaît l’importance du vocabulaire se garde bien de dire qu’il veut la paix. Quand on ne veut pas d’une idée, on commence par retirer de son vocabulaire le mot qui la désigne. En Israël le mot « paix » est en prison, avec Marwan Barghouti.
J’exagère à propos de Netanyahou, il a utilisé récemment le mot « paix » dans une phrase. Il a déclaré aux Libanaises et Libanais, « vous méritez de ramener le Liban aux jours de paix » après leur avoir promis « destruction et souffrance semblables à ce que nous voyons à Gaza. » Tour de force rhétorique, que j’essaie de comprendre. Est-ce que ça veut dire : « vous méritez la paix mais, tant pis pour vous, vous aurez la guerre. » Ou bien : « puisque vous méritez la paix, vous aurez la guerre ». Netanyahou dit qu’il veut « garantir la sécurité d’Israël » pour que tout le monde entende que ce qu’il veut dire, c’est « je vous promets la guerre. » Sécurité n’est pas le mot qui justifie l’acte guerrier, c’est très exactement le mot actuel pour dire la guerre. Netanyahou réalise ce que les tenants des doctrines sécuritaires ont rêvé avant lui, établir un état de guerre permanente au nom de la sécurité de « son » peuple. Si Netanyahou disait « je vais bombarder le Liban pour garantir la paix en Israël », le contre-sens sauterait aux yeux. Alors que déclarer « je vais bombarder le Liban pour garantir la sécurité d’Israël », ça marche, on voit clairement où il veut en venir. La paix implique qu’on pose les armes, alors que la sécurité exige qu’on les prenne. Garantir la sécurité veut dire qu’on passe à l’offensive, la sécurité est une agression. Les ennemis de la sécurité doivent être éliminés sur le champ, sans quoi on va devoir faire sortir le mot « paix » de prison. Les préoccupations sécuritaires d’Israël font que le pays ressemble de plus en plus à une gated community – une communauté fermée-, un paradis artificiel bardé de dispositifs de contrôle réservé à une population culturellement homogène, unie par la peur de l’autre, indifférente ou hostile aux formes de vie derrière le mur de protection. Voici comment le mot « sécurité » a transformé un territoire. Il serait bon, si ce n’est pas déjà fait, de tirer un trait définitif sur le mot sécurité.
Cyrille Martinez
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