Révolution Zapatiste : une solidarité bien ancrée en Languedoc

Social Reportage

Le Poing Publié le 21 août 2024 à 19:42

Membres de l’armée zapatiste de libération nationale dans une communauté indigène du Chiapas, en 1994. (Photo de Marianita)

Le soulèvement néo-zapatiste au Chiapas mexicain fête ses trente ans. Trois décennies d’expérimentations sociales, désormais en butte à une flambée de violence inédite, et trois décennies de solidarités bien ancrées dans notre région

Article initialement paru dans le journal papier numéro 41 du Poing, consacré aux questions internationales, paru en mai 2024 et toujours disponible sur notre boutique en ligne.

Le 1er janvier 1994, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) prend cinq villes de l’État mexicain du Chiapas, le plus pauvre du pays, peuplé de nombreux indigènes Mayas. Le mouvement annonce clairement son hostilité au capitalisme. Geronimo, montpelliérain travaillant dans le milieu médical, se sent vite solidaire. Au point de se consacrer au réseau de solidarité internationale dans l’Hérault, et de faire un séjour sur place en 2017.

« En 1983, à ses débuts, l’EZLN,  c’est une poignée de militant·es léninistes qui adoptent la stratégie classique des guérillas sud-américaines, le foco. [NDLR : théorie de la révolution formulée par Che Guevara, basée sur l’action de guérillas en milieu rural défavorisé]. », explique-t-il.

Les combattant·es finissent par nouer des liens avec les communautés indigènes. « Cette rencontre a des effets profonds sur l’EZLN, le zapatisme s’écarte de son léninisme originel, s’inspire de l’organisation traditionnelle maya. Commander en obéissant. », explique Géronimo.

La date du 1er janvier n’est pas retenue au hasard par les insurgé·es. C’est le jour de la prise d’effet de l’ALENA, un traité de libre-échange entre le Mexique et les USA. Les combats font rage, et un formidable mouvement social se déclenche dans tout le pays, contraignant le président Carlos Sandinas de Gortari à un cessez-le-feu, toujours en vigueur. Les rebelles se replient dans les montagnes, où vivent les communautés indigènes. Des haciendas, de grandes exploitations agricoles où les travailleurs.euses sont presque esclaves, sont expropriées. Une économie coopérative se met en place.

Pour pallier les carences de l’État mexicain en matière de santé, d’éducation et de justice, les zapatistes et les indigènes des zones qu’ils contrôlent décident de faire par eux-même. Géronimo l’assure, « la prison est réservée au cas les plus graves, la nouvelle justice cherche plutôt la réparation. »

Une nouvelle démocratie émerge. « Les institutions zapatistes sont centrées autour d’assemblées de village, pour décider le plus possible à un échelon local et ensuite assurer une coordination entre les différentes communautés », témoigne Géronimo.

Du soutien indigène à l’EZLN au soutien de l’EZLN aux indigènes

Marianita vit au Vigan, dans le Sud des Cévennes. « Mes premiers séjours au Chiapas m’ont emmenée dans les communautés zapatistes en 1996 et 1997 pour plusieurs mois », raconte-t-elle. « J’y étais observatrice internationale, il s’agissait de prendre des images et de surveiller les groupes paramilitaires qui harcelaient les communautés. » Elle fera en 2017 et 2018 d’autres séjours à San Cristobal de Las Casas, une ville du Chiapas, sans retourner dans les communautés, mais en multipliant les contacts avec leurs soutiens.

« Les relations entre l’EZLN et les villages indigènes ont évolué. A la fin des années 90 l’EZLN prenait beaucoup de décisions, les communautés étaient en soutien. Ça a commencé à s’inverser à partir de 2005, après des protestations de villageois. », constate-t-elle.

Le Languedoc solidaire

Le séjour de Géronimo fait suite à un appel des insurgé·es aux artistes et scientifiques du monde entier à venir leur « montrer de quoi demain sera fait ». «Je leur ai montré comment fabriquer du gel hydroalcoolique, en assurant la formation des promoteurs de santé à la protection contre les microbactéries », résume-t-il.

Sur Montpellier, il anime le collectif Mut Vitz 34. « On distribue le café produit dans la coopérative Yatchil, forte de 700 producteurs », explique-t-il. « Iels nous disent le nombre de sacs qu’iels pensent nous envoyer, on paie, on distribue aux adhérents de Mut Vitz 34. On leur laisse 30% du prix de vente, le reste passe dans le transport et la torréfaction qu’on fait ici, on ne garde rien. On les laisse faire ce qu’iels veulent avec l’argent. » Une solidarité qui se retrouve aussi dans le département voisin : Tous les ans, les membres du collectif Mut Vitz de l’Aude organisent en septembre un festival des luttes à Armissan.

Petit à petit, les liens se renforcent. En 2021, des délégations zapatistes débarquent en Europe pour le « Voyage pour la Vie », en opposition à la mort que promet le néolibéralisme aux peuples, pour aller voir comment on lutte sur les cinq continents. Dans la région, c’est la Caravane de convergences pour les Autonomies et Résistances en Languedoc (Caracol) qui assure l’accueil. Marianita et Géronimo s’y investissent. Au bilan, un vivifiant partage d’expérience.

Depuis la Caracol est en stand-by. « On nous sollicite parfois pour un événement en particulier. », nuance Marianita. Elle a pu exposer ses photos ramenées du Chiapas dans différents lieux du sud des Cévennes, comme la P’tite Base au Vigan ou l’Étuve à Pont-l’Hérault.

Une révolution menacée

Aujourd’hui l’expérience zapatiste fait face à de nombreuses difficultés. « Le nouveau président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, d’une gauche centriste, a lancé de grands projets, comme la ligne de train Cancun-Palenque, qui traverse les territoires zapatistes », explique Géronimo.

Les groupes paramilitaires qui recrutent notamment parmi des producteurs de café qui veulent récupérer les terres zapatistes ont donc toujours pignon sur rue pour leurs exactions. Géronimo en voit les effets jusqu’à Montpellier : « La coopérative Yatchil a perdu des participant·es intimidé·es par les violences, on reçoit moins de café. »

Le Chiapas est aussi en proie à de nouvelles menaces. Les cartels se livrent une guerre sans merci pour le contrôle de la région, attirés par la frontière guatémaltèque. « Il y a encore des observateur·rices internationaux malgré les cartels. », souligne Marianita. « Mais pour les trente ans du soulèvement les zapatistes ont prévenu qu’iels n’étaient pas en mesure d’assurer la sécurité d’éventuels visiteurs. » De quoi freiner de nouveaux déplacements, mais pas la solidarité sur place, qui elle, continue par divers événements.

Julien Servent

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