La désintox du jour

Fake news, Inégalités


Décryptage d’une nouvelle opération mensongère contre le droit au logement


la désintox du jour - Droit au logement

Encore une fake news réactionnaire montée en épingle par les médias dominants en cette fin d’été. Cette fois, c’est sur le thème des pauvres propriétaires victimes d’horribles squatteurs, qui seraient protégés par l’État. L’affaire du moment, c’est une propriétaire de Carcassonne qui risquerait, soi-disant, d’aller en prison pour avoir délogé des squatteurs.

Déchaînement médiatique

Le quotidien La Dépêche publie le 17 août un article qui fait grand bruit, titré : «Elle expulse ses squatteurs, fait disparaître tous leurs effets personnels et risque désormais la prison». Le journal explique que «Maria», la propriétaire, «pourrait être condamnée à une peine de 7 ans de prison et à une amende de 100.000€ pour avoir expulsé elle-même les squatteurs de sa maison. Ces derniers auraient “déposé plainte” contre la propriétaire».

Dans la foulée, la chaîne d’extrême droite Cnews titre : «la propriétaire d’une maison squattée expulse elle-même les occupants». L’horrible émission «Les Grandes Gueules» sur BFM, y consacre un débat le 19 août, intitulé : «”On peut comprendre ce qu’elle a fait”: une femme ayant délogé ses squatteurs risque la prison». Les animateurs ne passent à l’antenne que des témoignages favorable aux expulsions. Une chroniqueuse d’extrême droite s’exclame en plateau : «Si la justice fonctionnait, si les lois étaient effectives et rapides, les gens n’auraient pas besoin d’en arriver à ces extrémités». Le journal Marie Claire avait déjà écrit à propos de cette affaire il y a deux ans : «une dame se retrouve pieds et poings liés car elle ne peut rien contre ceux qui squattent son bien».

Les faits

La réalité est très différente du traitement médiatique et des titres qui ont circulé massivement sur les réseaux sociaux. En fait, il n’y a jamais eu de «squatteurs» chez Maria, mais une famille de locataires. Les époux Dard et leurs deux enfants, qui louaient ce bien à une propriétaire qui vit la plupart du temps hors de France. En 2022, la famille a rencontré un différend avec la propriétaire, à propos du montant des loyers. Dans l’attente d’une décision judiciaire, la famille a continué à verser les loyers, mais auprès d’une banque qui les bloquait dans l’attente du délibéré. À l’époque, la famille Dard avait expliqué dans la presse que «les mois d’impayés vont être régularisés» et «nous ne sommes pas des mauvais payeurs». Une situation très éloignée du récit que renvoient les titres de presse, qui font croire qu’une pauvre femme aurait été dépossédée par surprise de sa maison et serait en plus menacée.

Mais comment Maria s’est-elle retrouvée à son tour poursuivie ? Tout simplement parce qu’elle a attendu que ses locataires partent en vacances pour vider la maison de toutes les affaires de la famille, et les a jeté dans la rue, sans attendre la décision de justice. Elle a aussi fait changer les serrures en toute illégalité. Le contenu de la maison, laissé en pleine rue, a été récupéré par des passants. Dans un article consacré à cette affaire, Maria reconnaissait en 2022 : «J’ai tout mis sur le trottoir, les gens sont venus se servir, le bruit d’un vide-grenier s’est vite répandu jusqu’aux quartiers voisins, quant aux voitures, elles sont chez des épavistes, dont la police a les numéros».

Une propriétaire s’est donc vengée d’une famille en faisant disparaître tous ses biens par surprise. Voitures, meubles, jouets des enfants… Voilà la réalité. Et voilà pourquoi Maria s’est retrouvée poursuivie pour «vol», car la famille, qui a tout perdu, a porté plainte. Contrairement à ce que prétendent les médias, Maria n’ira pas «en prison», elle aura probablement une amende.

Et la propriétaire le reconnaît elle même dans La Dépêche : «J’étais excédée, ce que j’ai fait, c’est innommable, c’est vrai qu’ils n’ont absolument plus rien». Malheureusement, à l’ère des réseaux sociaux, la plupart des gens n’ont lu que les titres, et ont retenu que «les squatteurs ont tous les droits dans ce pays».

La dernière intox d’une longue liste

Cette affaire en rappelle une autre. Le 8 juin 2022, le journal Parisien titrait «Ce couple achète une maison squattée par une famille sans le savoir». C’était à Ollainville, en lointaine banlieue parisienne, devant un petit pavillon situé au bord d’une route. On y voyait un couple qui expliquait «passer du rêve au cauchemar» après avoir «découvert» que la maison qu’ils avaient acheté était squattée par une famille. Ils disaient avoir été choqués et surpris que leur «projet de vie» tombe à l’eau, et qu’ils se retrouvaient à payer à la fois cette maison dans laquelle ils ne peuvent emménager en plus de leur actuel logement. Leur interview avait été vue des millions de fois, le couple invité sur Cnews, chez Hanouna… Un véritable emballement. Darmanin avait même fait un tweet, et réclamé l’expulsion des squatteurs.

En réalité, cette maison avait été vendue très en-dessous du prix du marché, bradée par une agence immobilière peu scrupuleuse parce qu’elle est habitée. Et le couple d’acheteurs le savaient. Dans une vidéo révélée par la suite, ont voyait l’agente immobilière rire avec le couple en disant que c’est «une vente un peu particulière, une vente sans remettre de clé, juste l’attestation» car «le bien est déjà occupé, il va falloir, pfft, faire partir entre guillemets les gens qui sont dedans, récupérer le bien et refaire les clés».

Les deux acquéreurs n’avaient pas «découvert» leur maison squattée, mais l’avaient achetée à bas prix précisément parce qu’elle était occupée. En fait, l’idée était d’acheter pour une bouchée de pain, d’expulser les occupants sans passer par la justice, et donc de faire monter le prix du bien rapidement. Et la famille qui occupait les lieux ? De nationalité tunisienne, elle avait assuré qu’elle avait elle aussi, acheté la maison, et possédait une promesse de vente. Les enfants étaient même scolarisés à côté. Les «squatters» étaient en fait les victimes d’une escroquerie. Mais l’emballement médiatique avait poussé la famille à faire ses bagages et quitter la maison, après avoir été agressée par un groupe d’hommes cagoulés. Et des affaires de «propriété squattées » montées en épingle ou carrément inventées, il y en a beaucoup d’autres.

Détruire le droit au logement

A quoi servent ces intox médiatiques ? A renforcer le pouvoir des propriétaires en France, c’est à dire des plus riches, et fragiliser encore plus le droit au logement.

La vérité, c’est que les affaires de squat ne concernent que 0,005% des logements recensés dans ce pays, 170 affaires par an. Et jamais des logements principaux. L’habitant «chassé de chez lui» par des squatteurs après être parti en week-end, ça n’existe tout simplement pas. C’est un mythe fabriqué par les médias, auquel quasiment tout le monde croit.

La vérité, c’est qu’il y a 300.000 personnes considérées comme sans domiciles, 4 millions de mal logées et 2,2 millions de demandes de HLM en attente en France. La vérité, c’est que le nombre de personnes en précarité immobilière augmente, et que le gouvernement a fait voter l’une des lois les plus répressives de l’histoire sur le logement. La loi Kasbarian dite «anti-squat», qui est entrée en vigueur ces derniers mois, permet au propriétaire, de manière unilatérale, de résilier le bail d’un locataire sans même avoir à engager une action en justice. Les associations d’aide aux SDF ont vivement dénoncé cette loi, qui selon elles, va «fabriquer des sans-abris».


La vérité pour finir, c’est que la France compte 3,1 millions de logements vides. C’est donc bien la crise du logement qu’il faut combattre, et non ses victimes, en inventant des fake news.

https://contre-attaque.net/2024/08/20/la-desintox-du-jour/

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