Reportage — Pollutions

Comment Israël a délocalisé ses activités polluantes en Palestine

Comment Israël a délocalisé ses activités polluantes en Palestine

Les zones industrielles israéliennes se dressent un peu partout en Cisjordanie occupée. Les communautés palestiniennes étouffent sous la pollution et la colonisation de leurs terres.

Tulkarem (Cisjordanie), reportage

La ville palestinienne de Tulkarem est connue pour ses agrumes, son université et pour les affrontements qui ont lieu régulièrement entre de jeunes combattants palestiniens et l’armée israélienne. Pourtant, une autre guerre s’y déroule en silence : les habitants de Tulkarem meurent cinq fois plus du cancer que les autres Palestiniens. La faute à la zone industrielle israélienne nommée ironiquement Nitzanei Shalom (« germes de la paix »), installée sur des terres confisquées à la ville depuis les années 1980 — et connue des Palestiniens comme « Geshuri », du nom de l’entreprise d’herbicides qui s’est installée la première dans le parc industriel. Onze usines chimiques l’ont rejoint au fil des années. Elles se dressent, grises, entre des murs ceints de barbelés et des tours de surveillance. Une présence oppressante pour les 90 000 habitants de Tulkarem.

« Ici, nous avons deux problèmes : l’occupation israélienne et Geshuri, dit en soupirant Ahed Zanabet, responsable local de l’ONG environnementale palestinienne Parc. Les déchets chimiques provenant des usines du parc industriel s’écoulent dans les zones agricoles palestiniennes sans traitement. » Production de peinture, pesticides, gaz naturel liquéfié (GNL), nettoyage des conduites de gaz avec de l’eau sous pression… Les industries sont toutes plus toxiques les unes que les autres.

La zone industrielle israélienne de Nitzanei Shalom, aussi connue sous le nom de l’entreprise chimique Geshuri, pollue la ville palestinienne de Tulkarem, dont elle occupe les terres. © Philippe Pernot / Reporterre

« Nous avons une incidence élevée de cancers du poumon dus à la pollution de l’air et de maladies de la peau dues aux résidus présents dans les gaz. Nos sources sont également polluées par les eaux usées des colonies », explique Ahed Zanabet. Les agriculteurs sont forcés d’utiliser des serres pour protéger leurs fruits et légumes, mais celles-ci sont vite recouvertes d’une couche de poussière toxique. « Nous ne pouvons rien faire pour stopper Geshuri, si ce n’est aider les agriculteurs dont les terres sont contaminées », dit-il avec résignation.

Dumping social et environnemental

L’usine Geshuri a été déplacée de la ville israélienne de Netanya vers Tulkarem en 1982, à la suite de plaintes d’habitants israéliens à cause de la pollution — un exemple suivi par de nombreuses autres entreprises dangereuses, relocalisées en Cisjordanie. Aux Palestiniens d’en souffrir, alors. Comme le parc industriel de Nitzanei Shalom est situé le long de la « ligne verte », à la frontière, ses rejets toxiques peuvent vite être poussés par le vent vers Israël… « Mais lorsque le vent souffle d’est vers l’ouest, les industries cessent de fonctionner pour ne pas polluer les Israéliens », s’exclame Abeer al-Butmeh, ingénieure environnementale et coordinatrice de l’association écologiste palestinienne Pengon-Amis de la Terre.

Ce sont donc les Palestiniens qui souffrent de la pollution dans l’indifférence générale. « Nous avons essayé de nous mobiliser à plusieurs reprises, en organisant des campagnes, des manifestations, des visites sur le terrain pour les missions internationales et des activistes, explique-t-elle. Rien n’a changé. »

La rivière Ein al-Matwi, régulièrement polluée par les colonies israéliennes industrielles Burkan et Ariel, vue à Farkha. © Philippe Pernot / Reporterre

Les ouvriers qui travaillent dans ces usines, majoritairement palestiniens, sont en première ligne. « Ils constituent une main-d’œuvre bon marché, et souffrent de nombreux accidents du travail, en particulier à Geshuri pendant les incendies liés au gaz naturel, et de maladies respiratoires », explique Abeer al-Butmeh. Au terme d’une longue grève, ils ont réussi à obtenir le salaire minimum israélien en 2016, mais leurs conditions de travail n’ont pas changé pour autant.

Des « zones sacrifiées »

Nitzanei Shalom fait partie de la soixantaine de zones industrielles israéliennes implantées en Cisjordanie occupée, selon Abeer al-Butmeh (Human Rights Watch en recense vingt). Elles profitent parfois à des multinationales étrangères — allant à l’encontre du droit international, qui considère les colonies comme illégales.

« En Israël, les entreprises doivent respecter des normes environnementales et sociales, ce qui leur coûte de l’argent. Elles transfèrent donc leurs usines polluantes en Cisjordanie, où elles ne respectent que des normes minimales, voire aucune », explique l’activiste.

Mostafa Hamad, maire de Farkha, montre du doigt la colonie industrielle israélienne de Burkan, qui pollue l’eau et les terres palestiniennes. © Philippe Pernot / Reporterre

L’organisation des droits de l’homme israélienne B’Tselem nomme ces aires industrielles des « zones sacrifiées », sortes de mini-paradis règlementaires où règne l’arbitraire. « Israël exploite la Cisjordanie à son profit, en ignorant presque totalement les besoins des Palestiniens et leur nuit, ainsi qu’à leur environnement », note leur rapport. C’est donc d’une guerre économique invisible que souffrent les Palestiniens, en parallèle aux raids de l’armée et des colons, qui ont fait plus de 560 morts en Cisjordanie depuis le 7 octobre.


19 millions de m3 d’eaux usées

Ce dumping social et environnemental se répète à l’échelle de toute la Cisjordanie, polluée par 145 colonies israéliennes industrielles ou résidentielles. En 2017, ces dernières rejetaient ainsi 19 millions de m3 d’eaux usées vers les terres palestiniennes. Reporterre a ainsi observé des rejets d’eaux usées et de déchets par des colons dans les communautés palestiniennes à Wadi Fukin (près de Bethléem), à Bil’in (à l’ouest de Ramallah), ainsi que dans la région de Selfit, encerclée par l’immense bloc de colonies d’Ariel.

Presque 40 000 colons se sont implantés sur plus de 120 000 km2 de terres palestiniennes confisquées, ainsi qu’une zone industrielle nommée Barkan, qui abrite pas moins de 120 usines. Selon les calculs de la municipalité de Selfit, rien qu’Ariel produit 900 000 m3 d’eaux usées par jour. Une grande partie — ou la totalité — s’écoule à quelques mètres de la source al-Matwi. Des études de la municipalité et d’universités révèlent des traces de matière fécale, mais aussi des nitrates issus des eaux usagées des colonies. Moustiques et sangliers prolifèrent, propageant des maladies et détruisant des écosystèmes anciens.

Si l’absence de déchetteries et de stations d’épuration palestiniennes contribue à la pollution, le problème principal reste l’occupation israélienne, qui refuse plus de la moitié des projets de traitement de déchets en Cisjordanie.

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