Le sabotage : une pratique historique habituelle des luttes sociales
Un sabotage de plus : «Des actes de vandalisme ont visé des installations des opérateurs téléphoniques SFR et Bouygues dans plusieurs départements» explique le journal Le Parisien ce lundi 29 juillet.
L’action a été coordonnée la nuit dernière dans toute la France : des câbles ont été sectionnés dans des armoires électriques des opérateurs internet dans l’Hérault, les Bouches-du-Rhône, l’Oise, la Meuse, la Drôme et l’Aude. Un responsable de la firme numérique Netalis, explique que «depuis 2h15 du matin, notre réseau national connaît un ralentissement important» et qu’il y a des répercussions à Montpellier et à Marseille, ainsi que sur les liaisons Lyon-Paris et Paris-Strasbourg.
Dans la nuit du 25 au 26 juillet, dans la commune de Saint Orens de Gameville près de Toulouse, une antenne relais et un nœud de raccordement de fibre optique avait été incendié et l’acte avait été accompagné d’un tag «No J.O.» sur la tour à proximité. Un communiqué de revendication expliquait : «Il n’y a pas de trêve olympique. Le mitraillage rhétorique du gouvernement sur l’apaisement par le sport, aux niveaux géopolitique comme parlementaire, s’accompagne du bombardement militaire de par le monde et d’une guerre contre les populations. Quelle trêve, aussi, pour les prisonniers kanaks déportés dans les geôles françaises, et dont on refuse l’autonomie politique pour que nos compagnies minières puissent continuer à se gaver de nickel là-bas ?»
Dans un système qui repose sur des échanges de flux d’informations constants, instantanés et mondialisés, le sabotage du réseau internet semble se développer. Le 27 avril 2022 déjà, une série de coupures sur plusieurs câbles de fibre optique avaient provoqué des perturbations importantes, notamment en Ile-de-France.
Ces actions contre des câbles internet ont lieu après d’autres sabotages visant le réseau SNCF. Dans la nuit précédent la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, plusieurs incendies coordonnés de câbles du réseau ferré avaient en partie paralysé les lignes TGV, et bloqué 800.000 passager. Depuis, un communiqué de revendication a depuis été envoyé à la presse, signé «une délégation inattendue», le texte explique : «Ils appellent cela une fête ? Nous y voyons une célébration du nationalisme, une gigantesque mise en scène de l’assujettissement des populations par les État». Cependant, ce communiqué est à prendre avec des pincettes, car même les enquêteurs chargés de l’affaire mettent en doute son authenticité.
Enfin, la presse explique ce lundi qu’un «militant d’ultragauche» aurait été arrêté sur un site SNCF de Seine-Maritime, en possession de «clés d’accès à des locaux techniques de la SNCF» et de «pinces coupantes», sans plus de précisions.
Les sabotages se multiplient depuis deux ans et inquiètent les autorités. Dès la fin de 2022, Le Figaro recensait «pas moins de 104 actions» entre le 1er janvier et le 30 octobre de cette année, notamment des «incendies volontaires de boîtiers électriques d’antennes 3G/4G et d’antennes relais en Savoie, armoires de fibres incendiées par des pneus dans le Finistère, câbles sectionnés dans le Var ou en Isère, sabotages de sites protégés au nom de la «justice sociale». Ces actions ne viennent pas que des milieux révolutionnaires et anticapitalistes : deux moines ont été arrêtés après avoir incendié des pylônes et des antennes relais en 2021, près de Lyon.
Le mot «sabotage» vient du français et est utilisé tel quel dans la plupart des langues. Il viendrait des ouvriers qui jetaient leurs sabots dans les machines pour les empêcher de fonctionner. À la fin du XIXème siècle, le syndicalisme révolutionnaire popularise le sabotage. L’anarchiste Émile Pouget fait l’éloge de cette pratique contre les patrons. Pour lui, «à mauvaise paie, mauvais travail», tant que les riches ne rendent pas l’argent, les pauvres se doivent de protester en abîmant les machines et en travaillant moins, c’est-à-dire en sabotant la production.
On rapproche cette pratique du «luddisme», mot tiré du nom de Ned Ludd, un ouvrier anglais qui avait brisé des métiers à tisser dans l’Angleterre du début de la révolution industrielle. Le Luddisme s’opposait à la mécanisation du travail en sabotant les machines.
La pratique du sabotage a été massivement utilisée sous l’occupation, pour combattre les fascistes et les collabos. La France Libre envoyait même des saboteurs spécialement formés en France occupée, pour former les résistants et ainsi gêner l’économie de guerre et l’armée allemande. Le sabotage a ensuite été employé lors des décolonisations. Enfin, le sabotage a été remis au goût du jour des dernières années par les mouvements écologistes, qui appellent à «désarmer» les entreprises qui détruisent la planète.
Alors que le régime en place n’écoute plus ni la rue, ni les associations ou syndicats, ni même le vote, et ne gouverne que par la répression, comment s’étonner du retour de tels modes d’action ?
D’un point de vue historique, le sabotage n’est pas un gros mot : il fait partie depuis 200 ans du répertoire habituel des luttes sociales. C’est un geste non violent, qui vise uniquement le matériel et non les humains, dans le but provoquer des dégâts économiques. C’est l’arme des faibles contre les forts, de ceux qui n’ont pas de moyens, face à des États policiers et armés.
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