24 avril 2024 par Margot Hemmerich
L’Observatoire international des prisons (OIP) plaide pour la lutte contre la surpopulation et milite pour une transformation des orientations en matière de politique pénale. Entretien avec Prune Missoffe, responsable du plaidoyer à l’OIP.
Publié dans La prison, une indignité française
Basta! : Malgré le nouveau record de personnes détenues en France, l’Observatoire international des prisons (OIP) soutient que la surpopulation n’est pas une fatalité. Pourquoi ?
Prune Missoffe : Ce n’est pas une fatalité, car l’expérience de la crise sanitaire a prouvé qu’on pouvait descendre en dessous des 100 % d’occupation carcérale à l’échelle nationale. Ce n’est pas une fatalité non plus quand on regarde la dynamique en cours dans l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe : le nombre moyen de personnes détenues pour 100 000 habitants a baissé de plus de 20 points en dix ans. Il ne s’agit donc pas d’une utopie ni d’un cas unique en Europe. Pour autant, la France est vraiment à contre-courant de ces évolutions et semble s’enliser dans une situation qui s’aggrave de façon vertigineuse, mois après mois. Pour lutter contre la surpopulation, il faut donc s’intéresser aux causes et pas seulement aux conséquences.
Quelles sont les causes de cette surpopulation carcérale ?
Ce sont avant tout des politiques pénales de plus en plus répressives. Lors du dernier quinquennat d’Emmanuel Macron, 120 infractions punies d’emprisonnement ont été créées ou renforcées. Puis sur les seuls six premiers mois de 2023, l’OIP a comptabilisé plus de 200 propositions de modification législative qui visaient à créer ou durcir les peines de prison encourues.
« La durée moyenne d’incarcération a doublé en 40 ans »
Plus précisément, l’une des causes principales de la surpopulation relève du recours toujours plus important aux comparutions immédiates et aux procédures de jugement rapide dont on sait qu’elles sont particulièrement pourvoyeuses d’incarcération. La comparution immédiate est par exemple utilisée dans le cadre des violences conjugales, que le gouvernement veut ériger en priorité politique, mais sans aucune réflexion sur la nature et les conséquences des peines prononcées. Aujourd’hui, plus encore qu’une augmentation du nombre d’entrées en prison, on constate une augmentation très nette de la durée moyenne d’incarcération : celle-ci a doublé en 40 ans, pour passer de six mois en moyenne dans les années 1980 à douze mois aujourd’hui.
Le gouvernement répond qu’il lutte contre la surpopulation en construisant 15 000 nouvelles places de prison.
Il s’agit d’une démarche très électoraliste qui est menée depuis 30 ou 40 ans par les gouvernements successifs. À la faveur d’une alliance entre la majorité et Les Républicains, 3000 nouvelles places de prison ont même été ajoutées au « plan 15 000 » prévu à l’horizon 2027. Or on observe bien que plus on construit, plus on incarcère. Ce n’est pas un lien direct de causalité, mais ce sont des tendances qui suivent des courbes parfaitement symétriques. C’est surtout la preuve que la prison reste la peine de référence en France. Elle continue d’être présentée politiquement comme la seule sanction valable, et la seule qui fasse preuve de sévérité. C’est un cercle vicieux : si l’on écoute le discours des responsables politiques, l’opinion publique serait réticente à l’idée de moins incarcérer. Or ce sont ces mêmes politiques, de pair avec le discours médiatique, qui façonnent l’opinion publique au quotidien, en proposant un durcissement des politiques pénales et en jouant sur le sentiment d’insécurité. Et ce, alors que les politiques pénales et pénitentiaires menées ces 40 dernières années ont fait la preuve de leur inefficacité.
Ce n’est pas donc pas uniquement une question de budget ?
Disons qu’il s’agit avant tout d’un problème d’orientation du budget. Actuellement la politique immobilière s’intensifie alors même qu’elle occupe déjà la première place dans le budget de l’administration pénitentiaire, hors dépenses liées au personnel. En 2024, 634 millions d’euros doivent être consacrés à la construction de nouvelles places de prison, contre 52 millions pour le développement des alternatives et les aménagements de peine – dont les trois quarts vont à la surveillance électronique, centrée sur le contrôle plutôt que l’accompagnement. C’est autant d’argent public qui n’est pas investi pour véritablement lutter contre la surpopulation et améliorer les conditions de détention.
Si l’on s’en tient au taux de récidive, la prison ne fait pas ses preuves…
De une, la prison ne fait pas ses preuves en termes de récidive, puisqu’en France, d’après le ministère de la Justice, 31 % des sortants récidivent dans les douze mois – et d’après des chiffres un peu plus anciens, 63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont à nouveau condamnées dans les cinq ans. De deux, la prison coûte extrêmement cher. En 2019, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) estimait que le coût d’une journée de détention s’élevait entre 64 et 140 euros en fonction de l’établissement – les prisons sécuritaires étant plus chères. Ce sont vraiment des coûts a minima qui ne prennent pas en compte les investissements ni les travaux de maintien et de rénovation. En face, la semi-liberté coûte en moyenne 60 euros par jour, et le placement extérieur 30 euros.
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Nous sommes donc dans un système assez paradoxal, où les juges sont souvent frileux à l’idée de prononcer des peines alternatives faute de garantie d’efficacité et de moyens de prise en charge, de suivi et de contrôle de ces peines. Sauf que s’il y a bien une peine sur laquelle on ne se pose jamais cette question, c’est la prison. Nous n’avons pas les places nécessaires ? On enferme quand même. Nous n’avons pas de preuve d’efficacité ? On enferme quand même. Il y a une véritable banalisation de la peine de prison.
Fin 2021, Emmaüs France et le Secours catholique publiaient un rapport qui dénonçait la « criminalisation de la pauvreté ». En quoi nos prisons sont-elles le symptôme d’une politique pénale ?
Ce que montrait ce rapport, c’est que la prison fonctionne à la fois comme sanction de la pauvreté, source de paupérisation et entrave à la réinsertion. À l’OIP, on pense qu’il est important de rappeler que personne n’est à l’abri de commettre un acte de délinquance et peut se retrouver un jour en prison. Pour autant, les populations qui ont eu un parcours de vie marqué par la précarité et la violence ont effectivement davantage de probabilité d’être incarcérées. Plusieurs raisons l’expliquent. Les délits commis par les personnes issues de classes défavorisées, comme les infractions aux biens, sont plus durement sanctionnés. De plus, les inégalités sont cumulatives. En prison, 10 % des personnes détenues sont en situation d’illettrisme. On note enfin une surreprésentation des personnes ayant des addictions et des problèmes psychiatriques.
« La prison fonctionne comme sanction de la pauvreté »
D’une certaine manière, la prison est perçue comme l’opportunité de bannir certaines personnes de la société pendant un temps. Mais c’est faire preuve de déni, car il va falloir les réintégrer à leur sortie, et on aura très probablement aggravé la situation parce que la peine de prison est une peine de rupture sociale. Les difficultés d’insertion socioprofessionnelle sont accrues par un séjour en détention : perte d’emploi, accès à l’emploi plus difficile, interruption des minima sociaux, perte de logement… Aujourd’hui encore, la sortie de prison est un impensé des politiques pénales et pénitentiaires.
Plusieurs instances (dont l’OIP) et la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) militent pour l’introduction d’un mécanisme de régulation carcérale. En quoi consiste-t-il ?
La régulation carcérale est un mécanisme qui vise à maintenir les établissements pénitentiaires sous une densité carcérale de 100 %. Il s’agit d’un mécanisme qui joue sur le nombre de sorties, pas sur les entrées. La régulation carcérale a notamment été défendue par les députées Caroline Abadie (Renaissance) et Elsa Faucillon (Nupes) dans leur rapport sur « les alternatives à la détention » en juillet 2023. Trois formes de régulation ont été identifiées : la libération prise par voie d’ordonnance par le gouvernement, la libération par « conventionnement entre autorité judiciaire et administration pénitentiaire », et des libérations sous contrainte prises de façon quasi automatique. Pour l’OIP, ce mécanisme doit absolument être contraignant pour être efficace et pensé au niveau national. Surtout, nous le préconisons en tant que mesure d’urgence, étant donnée la situation dans laquelle se trouvent les prisons françaises, pour susciter un électrochoc, mais cela ne doit absolument pas dispenser d’un véritable changement de paradigme sur le sens de la prison, et d’actions à mener sur les causes de la surpopulation.
Justement, quelles solutions préconisez-vous ?
En plus du mécanisme de régulation carcérale, nous avons formulé un ensemble de recommandations pour réorienter les politiques publiques. Il faut faire de la détention provisoire une vraie exception, en renforçant les possibilités de recours et en diminuant les possibilités pénales de la prononcer. Actuellement, près de 20 000 personnes sont détenues dans l’attente de leur jugement.
« L’enjeu est de favoriser le recours à des peines véritablement alternatives à l’emprisonnement »
Une autre piste de réflexion pourrait être d’interdire le prononcé de peines de prison dans le cadre des comparutions immédiates. Puisqu’il n’y a pas le temps d’individualiser la peine lors de ces procédures expéditives, ce serait a minima reconnaître qu’on ne peut pas jouer avec la vie des gens en quinze minutes. Enfin, il faut agir sur l’échelle des peines et repenser la référence permanente à la prison. À l’heure actuelle, même les mesures alternatives mordent sur la liberté et non sur l’emprisonnement, car elles touchent des personnes qui, jugées pour des faits similaires dans les années 1970, seraient restées libres, tandis que les prisons continuent de se remplir. L’enjeu est donc de favoriser le recours à des peines véritablement alternatives à l’emprisonnement. Cela peut passer par l’instauration d’une peine de probation unique et autonome, c’est-à-dire détachée de toute référence à la prison, qui regrouperait l’ensemble des peines alternatives existantes [comme des « peines interdictions » ou des peines à des travaux d’intérêt général, ndlr], sauf l’amende. La peine de probation deviendrait l’unique peine prononçable pour certains délits « de faible intensité ».
Propos recueillis par Margot Hemmerich
Photo : Le centre pénitentiaire de Perpignan, le 11 mars 2024 – © JC Milhet / Hans Lucas
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