«Un palais pour Poutine»: voici la version française

Navalny, l’anti-Poutine Vidéo

Avec plus de 110 millions de vues, ce documentaire réalisé par l’équipe de l’opposant russe Alexeï Navalny est un événement qui menace le règne de Poutine. Mediapart vous propose un sous-titrage en français pour prendre la mesure de la corruption du régime et comprendre la violence de sa réaction.

© Équipe d’Alexeï Navalny

François Bonnet

9 février 2021 à 18h4

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Mediapart

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9 févr. 2021 — Avec plus de 110 millions de vues, ce documentaire réalisé par l’équipe de l’opposant russe Alexeï Navalny est un événement qui menace le .

Lien pour visionner le documentaire :

https://youtu.be/Y3tqLF5zgfw

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(Si les sous-titres français ne s’affichent pas, vous pouvez les activer en cliquant sur le bouton situé sur la barre de lecture)

C’est un document exceptionnel. Par ce qu’il révèle. Et par l’impact énorme qu’il a en Russie, obligeant pour la première fois le Kremlin à faire feu de tout bois pour contenir la vague de protestations que ce documentaire vidéo a provoquée. Un palais pour Poutine n’est pas qu’une enquête people sur la folie de l’argent et du luxe, les extravagances de Vladimir Poutine et d’une poignée d’oligarques.

C’est une bombe politique et le récit très informé d’une vie politique, celle du président russe, commencée il y a plus de 30 ans, lorsqu’il était simple agent du KGB en Allemagne de l’Est. Réalisé durant l’automne par l’équipe d’Alexeï Navalny et de son Fonds de lutte contre la corruption, mis en ligne sur YouTube le 19 janvier, deux jours après le retour et l’arrestation de l’opposant, Un palais pour Poutine a été un déclencheur des deux journées de manifestations qui ont secoué la Russie les 23 et 31 janvier.

C’est pour cette raison que Mediapart vous propose la version intégrale de ce documentaire sous-titré en français. Non pas parce que nous serions pro-Navalny, mais pour que celles et ceux qui nous lisent et nous regardent puissent pleinement comprendre ce qui constitue aujourd’hui un véritable tournant dans le long règne de Vladimir Poutine.

Les fins connaisseurs de la Russie trouveront dans ce documentaire peu d’informations qu’ils ne savaient déjà (lire, par exemple, l’enquête de notre collègue Agathe Duparc sur les milliards de Poutine). Des détails peuvent être discutés et interrogés. Dans le récit des schémas de corruption et des systèmes de détournements financiers mis en place, des erreurs ont peut-être été commises. Mais – et l’équipe de Navalny le reconnaît – ce documentaire s’appuie largement sur les enquêtes journalistiques les plus fouillées et les plus fiables qui ont été publiées depuis 20 ans sur Vladimir Poutine.

Or l’immense majorité des Russes n’ont jamais eu connaissance de ces enquêtes. Parce qu’elles ont été faites par de nombreux médias étrangers, dont Mediapart, ignorés en Russie. Ou parce qu’elles ont été publiées dans des médias russes confidentiels s’adressant à des publics extrêmement limités. Dès 2000 et son accession à la présidence, Vladimir Poutine a pu en quelques années verrouiller totalement le système médiatique.

Enfin, bon nombre des enquêtes publiées ces 20 dernières années sont, de fait, complexes. Décortiquer des schémas de corruption, remonter des cascades de sociétés offshore, expliquer des réseaux d’amitiés et d’affaires, éplucher des bilans de groupes et filiales, tout cela donne souvent des articles arides et techniques qui ne constituent qu’une partie de la photographie d’ensemble.

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Le palais sur les bords de la Mer noire, une principauté pour Vladimir Poutine. © FBK

La force de ce documentaire est de s’adresser à toutes et tous, même si c’est au prix de quelques simplifications. Elle est de rassembler la quasi-totalité des pièces du puzzle. Elle est aussi de briser un tabou : Poutine, ses femmes, ses familles et leur financement. La réalisation soignée, la force des images et la révélation de documents nouveaux expliquent son succès fulgurant. Les premiers temps de sa diffusion, la vidéo a comptabilisé plus de dix millions de vues chaque jour. Elle a aujourd’hui passé le cap des 110 millions de vues.

Même si elle a été beaucoup regardée à l’étranger, une large partie de la population russe (qui est de 145 millions) en a eu connaissance, au moins d’extraits. Deux semaines seulement après sa mise en ligne, 26 % de la population adulte déclarait avoir vu le documentaire, 10 % disaient connaître son contenu sans l’avoir vu et 32 % en avoir entendu parler, selon le Centre Levada, seul institut de sondages à peu près fiable en Russie.

Une majorité des spectateurs se dit convaincue de la véracité des informations, à tout le moins de leur crédibilité, un tiers n’y croit pas. Parmi les convaincus, les jeunes sont fortement représentés. Cela signifie que bon nombre de Russes ont compris que ce documentaire ne se résume pas à l’histoire d’un palais pharaonique sur les bords de la mer Noire, à 1,3 milliard de dollars. Il n’est que le point de départ d’un autre récit qui expose comment a été construit un système criminel par une trentaine d’hommes placés dans les lieux stratégiques du pouvoir et des affaires.

Ce récit de la face cachée du régime russe réduit en poussière l’image longuement construite par la propagande d’État et ses médias de masse : Vladimir Poutine en dirigeant fort mais juste ; l’homme qui a sauvé le pays du désastre des années 1990 ; celui qui ne mélange pas vie privée et vie publique ; qui combat la corruption ; qui connaît la vie quotidienne des Russes ; qui se moque de l’argent parce qu’il est un bon patriote.

Toutes ces images sont aujourd’hui déchirées. Elles le sont d’autant plus que le pouvoir russe a actionné une brigade de tueurs – une équipe secrète du FSB – pour tenter d’éliminer Alexeï Navalny, devenu la principale figure de l’opposition. Ce qui se disait jusqu’alors sans pouvoir être prouvé, au vu de la très longue liste d’opposants et de journalistes assassinés depuis 20 ans, est désormais sur la place publique. La corruption et la violence sont au cœur même de ce régime et non pas dans ses marges lointaines, comme cela pouvait être concédé, par exemple par les diplomaties européennes.

Les manifestations des 23 et 31 janvier dans plus de 100 villes du pays sont le signe d’une prise de conscience, d’un réveil de la société russe. Vladimir Poutine et les siens l’ont bien compris, qui ont déployé une riposte à la mesure de l’enjeu. 10 000 personnes ont été arrêtées lors de ces journées. Un millier restaient détenues et visées par des procédures judiciaires samedi 6 février, (lire le reportage de notre correspondante à Moscou). Les centres-ville de Moscou, de Saint-Pétersbourg et de Vladivostok étaient ce jour-là de nouveau bouclés par la police.

De nombreux responsables des équipes locales de Navalny ont été emprisonnés pour quelques jours, sur simple décision administrative, ou assignés à domicile. D’autres ont dû fuir à l’étranger. Navalny a de nouveau comparu devant un tribunal, vendredi 5 février, poursuivi cette fois pour injure à un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, un délit passible de deux ans de prison en Russie. Sur les réseaux sociaux, les témoignages de violences policières se sont multipliés.

Alors que le pouvoir avait jusqu’alors comme stratégie d’ignorer superbement Alexeï Navalny, l’impact de ce documentaire l’a contraint à multiplier les déclarations. Dès le 25 janvier, Vladimir Poutine a fait organiser une rencontre avec des étudiants pour démentir catégoriquement être le propriétaire de ce fameux palais. « Je n’ai pas vu ce film, faute de temps. Rien de ce qui est montré dedans comme étant mes biens ne m’appartient à moi ou à mes proches », a affirmé le président russe.

Il a comparé les manifestations à une forme de « terrorisme domestique », dénoncé les agissements des services américains. « Ils ont décidé de laver le cerveau de nos citoyens avec tout ce matériel. » L’argumentaire a aussitôt été repris en boucle par les autres responsables et, depuis, les télévisions d’État s’en donnent à cœur joie contre Navalny « l’escroc », l’« agent américain », le « fasciste », un « malade » ou un « drogué ».

Le Kremlin a aussi pris soin de désamorcer le scandale du palais. Dimitri Peskov, porte-parole de Poutine, a longuement expliqué, le 26 janvier, qu’il s’agissait « d’une propriété privée appartenant à plusieurs hommes d’affaires ». Deux jours plus tard, l’un d’eux se dévoilait miraculeusement.

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Arkady Rotenberg, au centre, entre Igor Setchine et Alexeï Miller, trois puissants amis de Poutine. © FBK

Arkady Rotenberg déclarait à des journalistes en être le « propriétaire depuis quelque temps », sans en apporter la moindre preuve. « C’est un endroit magnifique et nous voulons en faire un appartement-hôtel. Revenez dans quelques années et vous verrez comme c’est splendide. » La déclaration n’a pas trompé grand monde. Rotenberg est un ami d’enfance de Poutine, ils se sont connus à 12 ans, il est son partenaire de judo de toujours.

Dans l’ombre de Poutine, il a constitué une fortune évaluée par Forbes à 2,7 milliards de dollars, avec des groupes de travaux publics fonctionnant à la commande d’État. Il a réalisé plusieurs des grandes infrastructures des JO de Sotchi et l’immense pont qui relie la Crimée à la Russie en traversant le détroit de Kertch. Il est surtout au cœur des montages financiers justement construits pour le financement du palais et de la cascade de sociétés visant à dissimuler la vraie identité du propriétaire final.

Comme en 2011, lorsque l’affaire du palais était pour la première fois révélée dans la presse russe, le Kremlin invente un propriétaire qui se révèle être un pilier du clan Poutine. Et comme en 2011, il espère ainsi faire oublier le scandale et discréditer Navalny.

Mais les manifestations des 23 et 31 janvier n’ont pas été seulement de soutien à l’opposant. Un mécontentement beaucoup plus large s’est exprimé (lire ici le billet de blog de Karine Clément). Après les manifestations de 2017, après celles de l’été 2019, après celles de l’été 2020 dans l’Extrême-Orient russe, le risque pour le Kremlin est de voir prospérer au printemps et durant l’été une contestation multiforme et grandissante.

Le risque est d’autant plus sérieux que des élections législatives doivent se tenir en septembre. Jusqu’alors, ce processus était parfaitement sous contrôle : une loi électorale drastique permet d’autoriser ou non candidats et partis à concourir ; la fraude fait le reste. La représentation des oppositions au Parlement est ainsi parfaitement maîtrisée par le pouvoir.

La dénonciation bruyante et efficace de la corruption et de la fraude par Navalny rendra l’exercice beaucoup plus complexe. Et le coup porté à l’image de Poutine risque, à terme, de contrarier ses projets. Son régime ne sera certainement pas renversé par des manifestations de rue ou une révolution citoyenne, estiment la plupart des politologues et observateurs russes (lire, en anglais, les analyses de plusieurs d’entre eux).

Ce qui est en jeu, c’est la possibilité pour Poutine, 68 ans, de se représenter encore une fois à la présidence en 2024 pour un, voire deux mandats de six ans. La Constitution vient d’être révisée pour l’y autoriser. Poutine est aujourd’hui la résultante de forces puissantes : défense, services de sécurité, nomenclature politique, oligarques et milieux d’affaires. Son rôle est d’arbitrer entre elles et de les protéger.

Ces forces voudront-elles encore en 2024 d’un président vieilli, usé et devenu impopulaire, au risque d’être emportées avec lui ? Les réponses vont commencer à pointer dans les mois qui viennent.

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