Quelles revendications mettre en avant quant à la scolarité des élèves en situation de handicap ? Le renforcement des moyens des institutions du médico-social, ou l’entrée de tous les enfants dans une école publique inclusive ? Loin de faire l’unanimité, la réponse à cette question divise. Une manifestation de Force Ouvrière, jeudi 25 janvier, contre l’ « inclusion systématique », suscite les critiques des militants antivalidistes mais aussi d’autres syndicats.
Une manifestation contre « l’inclusion systématique et forcée » des élèves en situation de handicap dans l’école publique aura lieu jeudi 25 janvier. L’appel a été lancé par la FNEC FP-FO, la fédération enseignante du syndicat Force Ouvrière, ainsi que par la FNAS-FO, celle de l’action sociale.
Cette journée vise à faire entendre leurs critiques de l’Acte II de l’école inclusive, lancé à l’occasion de la Conférence nationale du handicap en avril 2023. Le gouvernement avait annoncé, entre autres mesures, le déploiement de 100 projets pilotes d’intégration physique d’IME (instituts médico-éducatifs) au sein des écoles ordinaires, d’ici 2027. Depuis, un groupe de travail est dédié à ce vaste chantier de l’inclusion scolaire. Sa dernière réunion a eu lieu fin novembre.
Les autres syndicats enseignants émettent eux aussi des critiques vis-à-vis de cet Acte II. Pour autant, Force Ouvrière fait cavalier seul sur la date du 25. Si les quatre principales organisations syndicales enseignantes (FSU, FNEC-FP FO, CGT Éduc’action et SUD éducation) seront réunies par une journée de grève commune, le 1er février, la manifestation du 25, elle, divise. Elle soulève l’incompréhension chez d’autres syndicats, pour qui l’inclusion de tous les enfants dans l’école est une nécessité. Et la colère des militants anti-validistes.
« Nous pensons que l’inclusion est importante, mais que l’institution a aussi un intérêt »
« Nous avons une divergence avec FO. Leurs termes utilisés sont violents. Ce sont des termes qui mettent à l’écart les élèves avec un handicap », fustige Virginie Schmitt, co-animatrice du pôle national AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap) au sein de la CGT Éduc’action. « Cela revient à une idée d’avant-guerre, lorsque l’on préférait parquer ces enfants loin de la vue des autres ». Son syndicat défend l’inclusion de tous les enfants, quel que soit leur handicap, dans l’école publique.
Pascal Corbex, secrétaire général de la FNAS-FO, maintient à l’inverse sa position contre ce principe d’inclusion « systématique ». « Certains enfants en situation de handicap ne pourront jamais aller à l’école, on est à des années-lumière de ça ! Il ne s’agit pas de défendre obligatoirement notre secteur du médico-social… Mais il n’y a pas deux enfants en situation de handicap qui se ressemblent. Formuler un principe pour tous, pour mieux se désengager des moyens à mettre pour les personnes concernées, c’est contraire à l’intérêt des gens », soutient-il.
« Nous pensons que l’inclusion est importante, mais que l’institution a aussi un intérêt », résume le responsable syndical. « L’avantage des structures spécialisées, c’est qu’elles permettent aux parents de se dégager du temps pour eux. Les institutions ont servi aussi à ça : accompagner des familles dans leur prise en charge, offrir des solutions selon la volonté des parents », argumente-t-il.
Les positions de FO qualifiées de « validistes et réactionnaires »
Le secrétaire général de la FNAS-FO réfute l’idée qu’il existerait des oppositions entre syndicats. Ou même l’existence d’un vif débat sur le sujet. Mais alors, pourquoi FO fait donc cavalier seul, selon lui ? Parce que « les divisions syndicales aboutissent à ça », balaie-t-il.
Signe de la sensibilité de la séquence, tout de même : la Confédération a apporté son « total soutien » à l’initiative, sous la plume de son secrétaire général, Frédéric Souillot, qui s’est fendu d’un communiqué le 17 janvier.
Reste que les critiques n’émanent pas que du champ syndical. Le Collectif pour une seule école qualifie les orientations de FO de « validistes et réactionnaires », dans un communiqué paru mardi 23 janvier. Parmi ses membres : des personnes handicapées, leurs proches, ainsi que des professionnels du médico-social et de l’Éducation nationale « FO travaille à la mise à l’écart d’enfants en raison de leur écart à la norme valide », défendent ces citoyens. « Nous l’affirmons avec force : les moyens dédiés aux établissements spécialisés doivent maintenant être consacrés à la scolarisation dans les classes ordinaires avec tous les accompagnements nécessaires ».
Une « scolarisation ségréguée, contraire au droit international »
En 2005, la France a voté une loi fondatrice pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Celle-ci consacre, entre autres, le droit pour tout enfant ou adolescent à être scolarisé dans le milieu ordinaire. En un mot : c’est à l’école publique de s’adapter aux besoins particuliers. Et à l’État de lui en donner les moyens.
« La persistance d’une scolarisation ségréguée dans des établissements et classes spécialisés est contraire aux droits humains, aux principes d’égalité en droit et en dignité de notre Constitution et au droit international rappelé par l’ONU », rappelle le Collectif pour une seule école. Cette position, la rapporteuse de l’ONU, Catalina Devandas-Aguilar l’a réaffirmée en 2019 après sa visite en France : « la société inclusive passe par la fermeture des établissements où viennent les personnes handicapées ».
Le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU est ferme sur la question. Depuis 2017, il prône la nécessité de fermer les institutions réservées aux personnes en situation de handicap , y compris les « classes spécialisées au sein de l’école ordinaire ». Dans la même logique, ce Comité demande la fermeture « progressivement et rapidement » des ESAT, ces ateliers de travail spécialisés pour les personnes en situation de handicap (voir sa dernière observation parue en septembre 2022). Avec un droit du travail au rabais, ces ESAT constituent des « structures de travail ségrégué » estimait la militante anti-validiste Lili Guigueno interrogée sur le sujet par Rapports de Force.
Mais Force Ouvrière assume. Le syndicat écrit noir sur blanc, dans un communiqué d’octobre, son opposition à l’horizon posé par l’ONU. « Aujourd’hui, vous avez un courant qui voudrait mettre tous les enfants en situation de handicap à l’école ; et tous les adultes en ESAT dehors également. C’est le point de vue historique de l’ONU, bon… Ils n’ont sans doute pas assez visité de structures spécialisées », avance Pascal Corbex. Pour lui, les établissements du médico-social, comme les IME ou les ITEP (instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques), sont capables de « naviguer entre scolarisation en interne, ou adaptée en extérieur », et ne doivent pas être caricaturés.
Après la loi de finances, la vigilance
Près de 20 ans après la loi de 2005, les actions des gouvernements successifs sur l’inclusion scolaire « sont bien en-deça de ce qu’il faudrait, et de ce qui se fait chez nos voisins. Pour un pays comme la France, c’est honteux », qualifie Virginie Schmitt de la CGT Éduc’action. Face aux exigences onusiennes, l’inclusion a été le grand mot des quinquennats Macron. Dans les faits, « on crée une priorité gouvernementale, mais sans aucun statut ni reconnaissance pour les accompagnants » mettait déjà en garde, en 2021 auprès de Rapports de Force, Maud Valegeas, co-secrétaire fédéral à Sud Éducation. Où en est-on aujourd’hui ?
L’Acte II de l’école inclusive renforce, selon la CGT Éduc’action, « la collaboration dangereuse entre Éducation nationale et secteur médico-social libéral ». Les premières mesures avancées par le gouvernement viseraient l’« optimisation des ressources et non un bien-être des élèves ou une qualité de travail des personnels », soutient encore le syndicat. Sur ce dernier point, celui-ci s’accorde avec FO.
L’article 53 du projet de loi finances 2024 visait à mettre en place des PAS, pour « pôles d’appui à la scolarité ». Une mesure majeure de l’Acte II de l’école inclusive. Ces PAS redonnent la main à l’Éducation nationale et non plus aux MDPH (maisons départementales des personnes en situation de handicap) pour définir le nombre d’heures d’accompagnement par élève en situation de handicap. L’idée est de remplacer l’actuel système des PIAL, déjà critiqué par les syndicats du secteur, parce qu’il accélère la mutualisation des moyens. Avec ces PAS, « il s’agit toujours de faire des économies sur le dos des élèves en situation de handicap, en décidant des « notifications » en interne de l’Education Nationale, sans les avis des équipes pluri-professionnel.les de la MDPH et en éloignant encore plus les parents des recours et instances de décisions », s’inquiète encore plus la FSU-SNUipp.
Pour une école inclusive : recruter des personnels, aménager les écoles
Heureusement pour les syndicats, le Conseil Constitutionnel a censuré cet article, après examen de la loi de finances. Les Sages ont également censuré une autre mesure budgétaire : celle qui aurait financé la fusion des métiers d’AESH et AED en une fonction unique, ARE (accompagnant à la réussite éducative). « On s’en félicite, car ce sont des métiers diamétralement opposés. Les AESH se battent déjà pour leur formation… Il faut être déconnecté de la réalité du terrain pour avoir avancé un tel projet », commente Virginie Schmitt.
Les syndicats restent vigilants, néanmoins. Car ces mesures pourraient bien réapparaître par une autre fenêtre législative. Ou être imposées par décrets.
D’ici là, les organisations syndicales continuent de soutenir d’autres mesures pour progresser vers l’école inclusive. Par exemple : aménager dans les écoles une salle spéciale permettant aux élèves en situation de handicap de pouvoir prendre une pause, « avec du matériel adapté, du personnel adapté. Il faut respecter leur rythme », souligne l’AESH Virginie Schmitt. « Aujourd’hui, quand on fait entrer un enfant avec un handicap lourd, le premier problème, c’est l’emploi du temps. Rien n’est aménageable : donc on lui enlève des heures, il reste à la maison… Mais alors, ce n’est pas de l’inclusion ». Autre priorité, conclut la responsable syndicale : avoir un « vrai statut de fonctionnaires pour les AESH ». Ainsi que « des recrutements, des moyens humains à la hauteur des besoins ».
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