Gérald le versatile

Si prompt à qualifier les opposants aux mégabassines de « terroristes », le ministre de l’Intérieur sait aussi contenir son ardeur langagière quand une mosquée est attaquée. Certains citoyens vaudraient-ils moins que les biens ?

Sébastien Fontenelle • 16 janvier 2024

Article paru
dans l’hebdo N° 1793

Gérald le versatile

Manifestation contre les violences policières, le 23 septembre, à Paris.
© Maxime Sirvins

Au mois d’octobre 2022, plusieurs milliers de personnes s’étaient rassemblées à Sainte-Soline, dans le département des Deux-Sèvres, pour protester contre la construction de l’une de ces mégabassines que l’agro-industrie et les pouvoirs publics présentent comme des merveilles d’adaptation au dérèglement climatique, mais dont quiconque a pris le temps de se pencher neuf secondes sur la question sait qu’elles sont en réalité catastrophiques pour l’environnement.

Quelques heures plus tard : Géraldarmanin (1), ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron, avait décrété que ces manifestant·es étaient « des gens qui veulent par la violence, par la terreur, et donc par le terrorisme, empêcher l’État de droit de fonctionner, n’ayons pas peur des mots ». (Puis d’insister : « Il y a eu effectivement un certain nombre d’actes qui s’apparentent à de l’écoterrorisme. »)

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Je l’écris comme ça pour gagner un peu de place, de la même façon (et pour la même raison) que la nouvelle ministre macroniste de la Culture sera ici Rachi2dati.

Comme l’avaient alors relevé nombre de juristes, ces accusations étaient quelque peu outrancières : fausses et mensongères, elles n’avaient, par surcroît, aucune base juridique ou légale. Mais, au mois d’octobre 2023, Darmanin, décidément très remonté contre le militantisme écologiste, en avait rajouté une louche en soutenant devant les membres d’une commission d’enquête parlementaire sur les groupuscules violents que « les biens » étaient « aussi importants que les personnes » et que, lorsque des activistes environnementaux s’en prenaient aux premiers, ce n’était donc pas moins répréhensible que de s’attaquer aux secondes.

On en viendrait à se demander si, dans son esprit, certains citoyens ne vaudraient pas moins que certains biens.

Mais la vérité oblige à reconnaître qu’il peut aussi arriver que ce ministre se montre plus contenu – et qu’il passe de l’ardeur langagière dont il a fait étalage en ces quelques occasions à une très contrastante pondération verbale. Samedi dernier, 13 janvier, un homme qui était filmé par une caméra de surveillance a tenté, pendant la prière, d’incendier la porte de la mosquée de Saint-Martin-des-Champs, près de Morlaix, dans le Finistère. Un tel agissement porte un nom : c’est un attentat.

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Mais, très curieusement, le même Darmanin, que l’on avait vu si prompt à détecter quelques mois plus tôt du terrorisme dans des mobilisations écologistes, a jugé, cette fois-ci, sur X, qu’il s’agissait plutôt d’une « déprédation ». C’est-à-dire, en somme, d’une atteinte à un bien plutôt qu’à un groupe de personnes.

De sorte qu’on en viendrait presque à se demander si, dans l’esprit du ministre de l’Intérieur, certains citoyens ne vaudraient pas moins que certains biens. Car, si l’on se fie à ses propres déclarations, lui-même donne un peu l’impression de n’être pas loin de considérer qu’il serait plus grave – et en tout cas plus « terroriste » – de s’attaquer à une mégabassine, constituée pour l’essentiel d’un remblai de terre percé de quelques tuyaux, que d’attenter aux vies de fidèles musulmans en essayant d’incendier la mosquée où ces derniers sont en train de faire leur prière.

https://www.politis.fr/articles/2024/01/gerald-le-versatile/

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