15 janvier 2024 par Guy Pichard
Cette année s’annonce saturée de grands évènements sportifs internationaux. Mais l’organisation de ces fêtes de moins en moins populaires suscitent des oppositions, tant pour ses conséquences écologiques qu’humaines.
Publié dans Écologie
« L’olympisme qui est principalement une culture enracinée dans la nature doit être au premier rang du combat pour préserver notre planète. » Qu’elle paraît lointaine cette phrase prononcée par le septième président du Comité international olympique, Juan Antonio Samaranch, en 1992 ! À moins de 200 jours des JO de Paris, largement décriés d’un point de vue écologique, les futures compétitions sportives internationales semblent toujours plus nocives pour la planète.
Toutes ont pourtant un point commun : des promesses de neutralité carbone ou de jeux « verts ». Ces annonces ont tout du greenwashing. Anne Hidalgo, la maire de Paris, avait promis que les Jeux olympiques allaient « accélérer la transition écologique de Paris ». La Fifa avait promu une Coupe du monde de football 2022 au Qatar « neutre en carbone ». Chaque compétition implique dorénavant ce type de mensonges, de plus en plus grossiers avec les nouvelles Coupes du monde à venir, toujours plus polluantes, ou les JO asiatiques d’hiver en Arabie saoudite.
Face à cela, six organisations européennes [1] sont allées en 2023 faire reconnaître le greenwashing de la Fifa – dont le siège est à Zurich – au sujet de la Coupe du monde qatarie devant la Commission suisse pour la loyauté, un organisme chargé du contrôle de la publicité. Avant la Coupe du monde 2022, la Fifa avait annoncé que 3,6 millions de tonnes de CO2 seraient émises. Mais d’après les calculs de Greenly, société spécialisée dans les bilans carbone, ce serait le double, entre 6 et 7 millions (soit l’équivalent de ce qu’émettent 800 000 Français pendant un an).
« Le bilan carbone de l’événement n’incluait pas les navettes aériennes entre les stades et les hôtels des spectateurs. Beaucoup d’enceintes construites sont aujourd’hui inutilisées ou sous-exploitées », détaille Khaled Diab, directeur de la communication de Carbon Market Watch. « Il y avait là un fossé entre la conception théorique et la réalité », poursuit-il.
Meilleur exemple de la tromperie : le Stadium 974 à Doha. L’enceinte sportive devait être l’emblème de « l’héritage et du développement durable » de la compétition, selon le site de la Fifa. Ce stade aurait dû être démantelé et déplacé vers un pays « dans le besoin » après la Coupe du monde. Plus d’un an après, nos confrères du quotidien sportif L’Équipe ont pu constater que l’enceinte de 40 000 places n’avait pas bougé et prenait même la poussière. Son seul usage depuis la Coupe aurait été un défilé de mode le 18 décembre 2022.
Mensonge sur le bilan carbone
« C’était illégitime de promouvoir cette compétition via son prétendu bon bilan en carbone », explique à basta! Jérémie Suissa, délégué général de Notre affaire à tous, une des ONG à l’initiative de la plainte. En juin, la Commission suisse pour la loyauté a jugé que la Fifa avait bel et bien pratiqué le greenwashing. Et qu’elle « avait menti sur l’impact de l’événement dans ses communications », précise Jérémie Suissa.
Cette condamnation par les pairs ne donne pas lieu à des menaces pénales ni à des amendes. La Fifa a simplement dû « renoncer à l’avenir aux allégations contestées, en particulier que la Coupe du monde de football organisée en 2022 au Qatar serait neutre pour le climat et en C02 ». De quoi initier un mouvement de contestation plus général ? « Si ces décisions paraissent symboliques et sans grand effet, elles jouent au moins leur rôle dans la discussion mondiale autour de l’écologie de ce type d’événements », estime le responsable de Notre affaire à tous.
La dernière Coupe du monde s’est révélée désastreuse d’un point de vue des émissions de carbone en plus d’être terriblement meurtrière pour les ouvriers sur place – 6500 morts sur les chantiers selon The Guardian, entre 500 et 600 selon les autorités qataries. Les prochaines éditions de la reine des compétitions de football n’ont pas l’ambition de devenir plus sobres. Le nombre d’équipes participantes va augmenter : 48 équipes contre 32 actuellement. Autre nouveauté, elles auront lieu dans plusieurs pays à la fois. L’édition 2026 sera organisée sur toute l’Amérique du Nord, conjointement par les États-Unis, le Canada et le Mexique. Celle de 2030 sur trois continents : Afrique, Amérique du Sud et Europe.
Cette multiplication des destinations et des matchs obligera les joueurs, le reste des équipes et surtout les spectateurs à se déplacer d’un continent à l’autre. Avec à la clef une explosion des émissions carbone et… aussi des revenus pour la Fifa : plus il y a de matchs et d’équipes, plus cela génère des recettes pour la fédération (vente de billets et, surtout, de droits de retransmission). En résumé, plus l’événement de la Fifa est polluant, plus celle-ci gagne de l’argent.
Au contraire des prochaines éditions de la Coupe du monde, la proximité géographique des stades au Qatar était pourtant l’un des arguments forts de la Fifa dans un document daté du 1er mars 2023, envoyé à la Commission suisse pour la loyauté et que basta! a pu consulter. La Fifa vantait la précédente compétition dans ces termes : « En ce qui concerne les déplacements au Qatar, le caractère compact de la Coupe du monde 2022, avec des stades à une distance maximale de 75 km, a été déterminant pour favoriser l’usage des transports en commun. »
Un an plus tard, la Fifa prépare une Coupe du monde dont les matchs se dérouleront de Guadalajara à Vancouver, soit sur plus de 4400 km de distance… Les matchs de celle de 2030 auront même lieu à plus de 9000 km, du Paraguay à l’Espagne, en passant par le Maroc. « Toutes les institutions doivent prendre conscience de leur bilan carbone, regrette Sofie Junge Pedersen, footballeuse internationale danoise. J’ai l’espoir que des joueurs et des joueuses des associations sportives professionnelles ou des fans poussent la Fifa à réfléchir à cela. »
Une coupe du monde 2034 en Arabie saoudite
La joueuse du club italien de l’Inter Milan n’est pas seulement connue pour ses performances sportives, mais aussi pour ses prises de position en faveur de l’écologie. Elle a notamment lancé une campagne rassemblant 44 joueuses participantes à la dernière Coupe du monde féminine de football de l’été 2023 pour atténuer l’impact environnemental de leurs vols aériens vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande, où se tenait la compétition. « Concrètement, les joueuses avaient le choix entre trois organisations caritatives afin de donner pour compenser leurs déplacements aériens, explique Sofie Junge Pedersen. C’est très important que chacun d’entre nous tente d’agir pour le climat à son échelle. Je sais que nous ne réglerons pas tous les problèmes en un jour, mais c’est ma petite part pour cette cause . »
Après les Coupes du monde footballistiques de 2026 et 2030, l’édition 2034 devrait normalement atterrir… en Arabie Saoudite. La désignation définitive du pays d’accueil devrait être annoncée fin 2024. Mais le dénouement ne fait guère de doute : le royaume régi par Mohammed Ben Salman est l’unique pays candidat, non sans polémique. L’Arabie saoudite ne cesse d’accueillir toute une série de grands événements sportifs : supercoupe d’Espagne de football l’année dernière, Masters de tennis en novembre, Coupe du monde des clubs de football en décembre, rallye-raid Dakar automobile depuis 2020, Grand Prix de formule 1 cette année, jeux asiatiques d’été en 2034…
« En organisant des événements sportifs internationaux, en particulier des événements de haut niveau tels que la Coupe du monde, Mohammed Ben Salman cherche à projeter une image de progrès et d’ouverture au monde », nous explique Nada, responsable de plaidoyer de l’Organisation européenne saoudienne pour les droits humains.
Une autre compétition à venir dans la monarchie pétrolière cristallise toutes les critiques : les jeux d’hiver asiatiques en 2029.
La question des droits humains
Bien moins médiatique que des JO, cette compétition devrait prendre place au milieu du désert dans une mégapole saoudienne en construction baptisée Neom. La ville, édifiée au prix de 500 milliards de dollars, s’étendra sur 170 kilomètres de long pour 200 mètres de large et devra accueillir neuf millions d’habitants… C’est d’abord par le prisme des droits humains que l’accueil des Jeux d’hiver inquiète.
« Malgré les promesses de limiter la peine capitale dans le pays, rappelons que l’Arabie saoudite a exécuté au moins 172 personnes en 2023 », situe Nada. « Dans les régimes autoritaires, ces grands événements sportifs s’accompagnent souvent d’une intensification de la répression, car les dirigeants cherchent à détourner l’attention des problèmes internes en se présentant comme des pacificateurs, ajoute-t-il. Cela suscite donc des inquiétudes quant au potentiel d’augmentation des violations des droits de l’homme dans les semaines qui précèdent et pendant les Jeux asiatiques d’hiver. »
Peut-on espérer une meilleure prise en compte des respects des droits des personnes sur ce chantier saoudien, après le scandale mondial des milliers d’ouvriers morts sur les chantiers au Qatar ? « Les groupes de défense des droits humains, les organisations de la société civile et les individus concernés peuvent tirer parti des connaissances acquises lors des expériences passées pour mobiliser l’opinion publique, exercer une pression sur les instances dirigeantes et exiger la responsabilité des nations hôtes », défend Marta Hurtado, porte-parole du Haut-Commissariat des droits humains aux Nations unies. Le chemin s’annonce encore long.
Car en Arabie Saoudite, la justice peut par exemple condamner une femme à 27 ans de prison pour des tweets, comme c’est arrivé il y a un an, ou commanditer des assassinats, y compris à l’étranger, comme pour le journaliste Jamal Khashoggi, torturé puis tué au sein du consulat saoudien d’Istanbul. Tout cela ne semble aucunement empêcher l’Arabie saoudite d’être choisie pour accueillir des événements majeurs, en particulier les JO asiatiques d’hiver. « Une approche basée sur les droits humains est essentielle dans la planification et la mise en œuvre de l’événement, en abordant aussi les éventuels impacts environnementaux et climatiques », répond prudemment à basta! Marta Hurtado, des Nations unies.
L’âge de la fin de la glace
L’année 2023 est la plus chaude enregistrée depuis 1850. La montagne et les sports d’hiver sont en première ligne face aux conséquences de l’envolée des températures. Les glaciers fondent. S’ils devaient encore exister en 2050 dans les Alpes, leur masse sera réduite d’un quart, voire de moitié, selon une étude récente publiée dans la revue scientifique Geophysical Research Letters.
Pourtant, les fédérations sportives et certains politiques semblent toujours ignorer cette réalité. Et s’obstinent à organiser des compétitions à tout prix dans une montagne en souffrance. En novembre 2023, la commune suisse de Zermatt et sa voisine italienne Cervinia ont coorganisé une épreuve de la Coupe du monde de ski alpin. Pour cela, elles ont dû « aménager » le glacier du Théodule, dans les Alpes. Une piste a été dessinée à même le glacier. Il a donc fallu égaliser le terrain et combler les crevasses à coups de pelleteuse.
L’image des bulldozers creusant une montagne de glace a choqué et fait le tour de la toile. Les travaux ont continué malgré tout pour au final voir l’épreuve annulée en raison des « fortes rafales de vent » selon la Fédération internationale de ski.
« Il faut arrêter les conneries, on ne peut plus accepter ce genre de choses et la société n’en veut plus », s’emporte Vincent Neirinck, expert protection de la montagne à l’ONG Mountain Wilderness France. « Ce qui s’est passé en Suisse est la norme, tout le monde fait ça depuis longtemps », poursuit-il.
C’est de moins en moins accepté. Après la compétition suisse, plus de 140 skieurs, dont nombre de stars de la discipline, ont demandé via une lettre publique à la Fédération internationale de ski d’aménager ses calendriers d’épreuves face aux annulations par manque de neige.« Des compétitions sportives comme les JO d’hiver de Pékin et sa bande de neige artificielle au milieu du désert ou la désignation de l’Arabie saoudite pour les Jeux d’hiver asiatiques scandalisent même jusqu’aux instances du ski français, souligne Vincent Neirinck. Techniquement, à partir du moment où vous vous fichez de l’environnement, vous pouvez faire de la neige partout, même à Dubaï. »
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Avec la désignation de la France pour organiser les Jeux olympiques d’hiver de 2030, le problème de l’enneigement va vite revenir dans les débats, malgré l’enthousiasme d’Emmanuel Macron et des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui accueilleront les Jeux.
« Pour toutes les grandes compétitions internationales, il faut mettre en balance quelques semaines de fête avec des dettes et des installations obsolètes, regrette Vincent Neirinck. De quel rêve olympique parle-t-on ? Il s’agit plutôt la fin d’un règne », tranche-t-il.
Guy Pichard
Photo de une : Un canon à neige/©Antoine Van Limbourg-Mountain Wilderness France
Notes
[1] Notre affaire à tous (France), l’Alliance climatique suisse, Carbon Market Watch (Belgique), le New Weather Institute (Grande-Bretagne), Fossil Free Football et Reclame Fossietvrij (Pays-Bas).
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