12 janvier 2024 par Rédaction
Après l’attentat de la tour Eiffel, un débat parlementaire sur la psychiatrie doit se tenir sous l’impulsion d’élus LR. Le psychiatre Mathieu Bellahsen craint que le pouvoir réponde à un drame par un tour de vis sécuritaire plutôt que par le soin.
Publié dans Débats
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Après l’attentat terroriste de la tour Eiffel début décembre et l’annonce d’un « ratage psychiatrique » par Gérald Darmanin, le drame de Meaux (un homme a tué ses quatre enfants et leur mère) a donné l’occasion à Jean-François Copé, maire de cette commune, de s’émouvoir des problèmes psychiatriques dans une tribune intitulée « Maladie mentale : nous sommes tous concernés » et publiée dans l’Express le 3 janvier. Un débat parlementaire devrait se tenir mi-janvier sous l’impulsion des élus Les Républicains.
Ces derniers temps, à chaque histoire dramatique, le traitement médiatique de la psychiatrie renoue avec le sensationnalisme morbide. Il est utile de rappeler que pour des faits similaires, lors des soulèvements intervenus dans les hôpitaux psychiatriques en 2018 et 2019, les médias mettaient d’abord en avant la catastrophe psychiatrique organisée par les pouvoirs publics et les politiques successives. Aux côtés de certains drames inévitables, la croissance des tragédies évitables s’élucidait alors par la destruction du service public psychiatrique, l’abandon des usagers-patients-psychiatrisés et des équipes de soins.
L’explication simpliste du « schizophrène dangereux » à enfermer était moins prégnante. Cette parenthèse débutée sous le quinquennat Hollande s’est refermée avec la circulaire Colomb en mai 2019. Cette dernière coagulait de nouveau les personnes hospitalisées sans leur consentement et les fichés S pour terrorisme.
Dans l’après-Covid, le populisme pénal poursuit son grand retour et la figure du malade dangereux est remise au goût du jour pour contenter les bas instincts des médias bollorisés. La loi immigration a démontré que les politiques macronistes, sous les ors de « La République », se marient à celles d’extrême droite. Pour créer un tel « arc républicain » intégrant des éléments fascistes « respectables », il est donc important de spectaculariser les faits divers et de jeter la faute sur la psychiatrie.
Résoudre la crise profonde de la psychiatrie publique
L’été dernier, nous publiions une tribune collective dans Le Parisien après un drame survenu à Annecy où la santé psychique vacillante de la personne était pointée.
Nous rappelions ce simple fait d’expérience : quand la folie n’est ni soignée ni accompagnée, elle peut se transformer en furie. Incriminer le seul déni de la personne, voire de ses proches, est profondément simpliste. Comment faire avec le déni sociétal sciemment entretenu depuis des années, celui des politiques publiques qui refusent de traiter humainement la problématique de soin psychique pour les personnes les plus vulnérables ?
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À la fin de l’automne, le ministre de l’Intérieur a évoqué « un ratage psychiatrique » dans l’affaire de l’attentat terroriste de la tour Eiffel. Ces déclarations ont pu à bon compte éluder le ratage des services de renseignement et de l’arsenal juridique qu’ils ont déjà pour contraindre une personne suspecte. Dans cette séquence, les chantres de la macronie ont presque réussi à faire croire au grand public qu’il n’était pas possible d’interner une personne ayant des troubles psychiques et menaçant l’ordre public…
Les contre-vérités, l’incompétence ou la méconnaissance (si ce n’est un cocktail des trois ?) ont permis la tenue de tels propos sur les plateaux télévisés. Il serait impossible pour le pouvoir administratif et policier de contraindre à une hospitalisation quand il y a des troubles psychiques avérés. Cela est faux. Quand la contrainte n’est pas possible, c’est qu’en réalité les troubles psychiques ne sont pas avérés.
Si ratage psychiatrique il y a, l’analyse des causes systémiques est un préalable. Raisonner (voire gouverner) à partir de faits divers soumet trop souvent la raison aux émotions brutes auxquelles répondra une brutalité des solutions. Le ratage systémique, c’est celui des politiques publiques criminelles que nous dénoncions avec le Collectif Inter Urgences en 2019.
Résoudre la crise profonde traversée par la psychiatrie publique serait de ne pas se contenter de réponses de surface comme celles des assises gouvernementales de la santé mentale (septembre 2021) ou des contre-remèdes qui aggravent sans cesse la catastrophe gestionnaire. Par exemple, la mutation des pratiques qui se présentent comme du soin, mais qui ne sont en réalité qu’un succédané de mesure de contrôle, de soumission, voire d’avilissement des premiers concernés. Non seulement ces gadgets santé-mentalistes ne résolvent rien, mais, de surcroît, ils aggravent le niveau de défiance des citoyens vis-à-vis des soins psychiques.
Les élus locaux éprouvent la catastrophe psychiatrique
Est-ce une solution de médicamenter de façon massive et de façon quasi incontrôlée des pans de plus en plus larges de la population (prescriptions d’amphétamines chez les enfants, d’anxiolytiques et d’antidépresseurs chez les ados et les étudiants, d’hypnotiques et autres psychotropes dans la population adulte) ? Est-ce là la seule forme de soin possible ? En réalité, ces politiques de santé nourrissent le nihilisme thérapeutique et les pulsions de contrôle et d’emprise des personnes troublées psychiquement. Les solutions simplistes restreignent notre capacité collective à penser un changement profond des affres de nos sociétés.
Dans ce contexte, comment croire qu’un débat parlementaire sur la psychiatrie peut-il être autre chose qu’une farce macabre destinée à faire endosser aux plus malades, aux plus pauvres, aux plus exclus les heurts des politiques publiques et des pratiques de soins délétères de ces dernières années ?
Faudrait-il rappeler à mesdames et messieurs les parlementaires que la psychiatrie est revenue par trois fois à l’Assemblée nationale ces dernières années (2020, 2021, 2022) par le biais de questions prioritaires de constitutionnalité ? Il s’agissait alors de légiférer sur les inconstitutionnalités dans les mesures légales d’encadrement des mesures d’isolement et de contention dans les services de psychiatrie. Aucun débat d’ampleur n’a jamais eu lieu lors de ces trois séquences, les penchants majoritaires de l’Assemblée ne montrant que peu d’intérêt sur de telles mesures considérées comme « thérapeutiques » par le ministre de la Santé d’alors.
Rien à cirer non plus de créer de réels débouchés politiques aux mobilisations des collectifs de soin partout sur le territoire qui ont créé le Printemps de la psychiatrie. Le plan santé mentale d’Agnès Buzyn et du délégué ministériel à la psychiatrie n’a été qu’un plan de communication pour plateau télé. Il est évident que de plus en plus d’élus locaux, quel que soit leur bord politique, éprouvent réellement la catastrophe psychiatrique sur le terrain. Peut-être sont-ils choqués par les réalités racontées par leurs administrés ?
Peut-être avaient-ils tendance à les ignorer jusque-là : la catastrophe organisée des services publics de santé, dont la psychiatrie publique, l’inflation des déserts médicaux, l’accroissement sans précédent de mesures violentes de soins (surmédicamentation, inflation des contentions et des isolements psychiatriques, délais d’attente insupportables, impossibilité d’être tout simplement soigné quand on est consentant aux soins, impossibilité d’être soigné dignement quand le consentement n’est pas possible…).
Faire avancer collectivement une psychiatrie digne
Peut-être que le pragmatisme de terrain impose à ces élus un pragmatisme dans les pratiques : faire que les personnes avec des troubles psychiques soient prises en charge humainement ? Peut-être est-ce à ce titre que certaines des propositions du Printemps de la Psychiatrie sont reprises dans la tribune du maire de Meaux ? Si tel est le cas, nous devons faire avancer collectivement, avec toute la complexité requise, une psychiatrie digne et accueillante.
Pour autant, nous devons nous interroger sur leur instrumentalisation possible et sur leur détournement au profit de logiques de renfermement. La suite nous dira dans quel sens penche la balance. Rappelons tout de même que l’entourage du président Sarkozy était aux affaires quand le collectif des 39 se mobilisait contre la nuit sécuritaire à partir du 2 décembre 2008 et du discours d’Antony.
Que des choix politiques ont été faits alors : entre autres choses débloquer en urgence 70 millions d’euros pour relever la hauteur des murs, construire de nouvelles chambres d’isolement et augmenter le nombre d’unités pour malades difficiles. Rien n’a été résolu, beaucoup de choses se sont aggravées depuis. Le débat parlementaire du 17 janvier 2024 avec Éric Ciotti comme coorganisateur et Marine Le Pen en embuscade, est à haut risque pour les personnes les plus malades, pour les libertés fondamentales, pour l’éthique et le secret médical.
Le précédent de l’odieuse loi immigration précise le cadre parlementaire dans lequel risque de se trouver exposés les malades psys. La vindicte populaire n’est pas loin. Et espérons que nos parlementaires ne se tournent pas vers l’autre côté de l’Atlantique… En Argentine des dispositions du décret omnibus du nouveau président Milei concernent la psychiatrie. Au programme : toujours plus de contraintes aux soins, d’institutions asilaires, de cliniques privées et de psychotropes.
Accueillir plutôt qu’exclure
Débattre sur la psychiatrie sans débattre à partir des pratiques concrètes et des droits des usagers est voué à l’échec et aux impasses dans lesquelles nous sommes collectivement empêtrées. Dans Abolir la contention, j’aborde les sangles psychiatriques de la culture de l’entrave qui sont sources de défiance dans le grand public, parmi les professionnels, au sein de la classe politique et pour les premiers concernés.
Dans le dernier chapitre se trouvent des propositions à différents échelons (local, national et international), elles pourraient servir la cause d’une loi soutenant une psychiatrie réellement soignante et qui ne se limiterait pas à l’accroissement sans fin des logiques sécuritaires.
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Car un tel accroissement nourrit le nihilisme thérapeutique. Ce nihilisme « concerne tout le monde ». Nihilisme des politiques qui pensent qu’on ne peut rien faire pour les malades mentaux les plus en difficulté si ce n’est les exclure et les faire disparaître du regard. Nihilisme du corps psychiatrique incapable de soutenir des soins psychiques réels (dans notre définition, le corps psychiatrique va des tutelles qui mettent en application les politiques de santé : agences régionales de santé, directions des hôpitaux psychiatriques aux professionnels du soin à tous les niveaux de la hiérarchie). Nihilisme du corps social à composer avec le tragique de l’existence humaine.
Défaire ce nihilisme, c’est défaire un « ratage » collectif. Et pour le défaire pas d’autre choix que de penser comment accueillir les personnes en grande difficulté psychique. Nos parlementaires auront-ils le courage de faire un tel virage politique à 180 degrés ? Accueillir plutôt qu’exclure ?
Mathieu Bellahsen, psychiatre, est l’auteur du livre Abolir la contention (Libertalia, 2023)
Photo : ©Serge D’ignazio
https://basta.media/psychiatrie-debattre-sans-partir-droits-usagers-voue-echec-Matthieu-Bellahsen
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