Article mis en ligne le 14 août 2023
par F.G.
■ L’historienne Nicole Racine (1937-2012) fut sans doute, parmi les analystes de son temps, l’une des plus subtiles expertes de la gauche intellectuelle française de la première moitié du XXe siècle, de ses revues, de ses cénacles, des compagnons de route qui la fréquentèrent et des dissidences qui l’animèrent. Très engagée, par ailleurs, auprès de l’équipe de Jean Maitron et de ses successeurs dans l’aventure éditoriale du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, elle en fut une contributrice inlassable. Initialement publiée dans le numéro 8 – 1990, pp. 73-97 – de Mil neuf cent, « revue d’histoire intellectuelle », sous le titre « Victor Serge : correspondance d’URSS (1920-1936) », cette étude atteste largement, nous semble-t-il, de ses qualités premières : la rigueur méthodologique, la finesse analytique et la passion pour l’histoire.
Arrêté en mars 1933, relégué sans jugement à Orenbourg dans l’Oural, cinq ans après avoir été exclu comme membre de l’Opposition de gauche du parti communiste où il militait depuis son arrivée en Russie révolutionnaire en 1919, Victor Serge, écrivain de langue française (il était né en Belgique en 1890 d’un couple d’exilés russes), de nationalité soviétique, dut à sa notoriété de militant et d’écrivain dans les milieux français de la gauche et de l’extrême gauche d’être sauvé de l’oubli et de la mort. Après une campagne d’opinion qui dura trois ans, il fut libéré en avril 1936, expulsé d’URSS et privé de sa nationalité soviétique. Les liens qu’il avait pu maintenir avec des militants et des intellectuels français permirent à ces derniers, grâce à l’appui d’André Gide, de poser le « cas Serge » sur le devant de la scène, notamment lors du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture, tenu à Paris en juin 1935. Ce fut grâce à ses correspondants que Serge dut de ne pas devenir un mort vivant, comme tant d’autres déportés.
Si aucune des lettres reçues par Victor Serge durant sa période soviétique ne nous est parvenue (les archives personnelles de Serge lui furent confisquées à sa sortie d’URSS), nous disposons de cent dix lettres ou cartes postales qu’il envoya à Marcel Martinet, de soixante-huit lettres ou cartes postales à Henry Poulaille et de deux lettres à Jean-Richard Bloch. La correspondance de Serge à Romain Rolland semble avoir été perdue ou peut-être détruite.
Les correspondances qui ont été conservées permettent d’éclairer une des fonctions qu’elles remplissent lorsqu’elles sont le seul moyen de faire entendre des voix interdites.
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