Les JO 2024, médaille d’or de la surveillance de masse

Libertés

Les <span class="caps">JO</span> 2024, médaille d'or de la surveillance de masse

Les Jeux olympiques de 2024 consacreront des centaines de millions d’euros aux caméras, drones et policiers pour surveiller Paris. Des mesures d’exception qui risquent de perdurer longtemps après la compétition.

Dans les rues, des dizaines de milliers de policiers, de gendarmes, d’agents de sécurité privés. Sur les façades des immeubles, au creux des réverbères, entre les pales de drones, des caméras de vidéosurveillance, captant des images analysées en temps réel par des intelligences artificielles sommées de détecter tout comportement « suspect ».

Ce n’est pas le scénario d’un film de science-fiction, mais l’univers dans lequel pourraient évoluer les Parisiens d’ici le début des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, le 26 juillet prochain. À moins d’un an du méga-évènement sportif, des défenseurs des libertés s’inquiètent de l’ampleur du dispositif sécuritaire imaginé pour les Jeux. Et craignent que ces mesures d’exception s’installent durablement dans le paysage.

Le gouvernement prévoir d’utiliser des drones équipés de caméras durant les Jeux olympiques. CC BY-SA 4.0 / Marica Massaro / Wikimedia Commons

Pour assurer la sécurité de ces trente-troisièmes olympiades, où 15 millions de visiteurs sont attendus, les autorités françaises ont vu grand : un budget minimum de 419 millions d’euros, dont 50 millions prévus pour le seul déploiement de 900 nouvelles caméras dans la capitale et ses environs.

Sont également annoncés la création — pour 25 millions d’euros — d’un « commissariat du futur » truffé de drones à Élancourt (Yvelines), la construction d’un nouveau centre de vidéosurveillance à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) pouvant constater « jusqu’à 500 infractions par jour »

« On va saturer l’espace public de policiers »

« Plus on va s’approcher des JO, plus on va saturer l’espace public de policiers », prévenait en avril le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, dans les colonnes du Parisien. L’objectif affiché : faire de Paris un territoire « zéro délinquance », et minimiser le risque d’un mouvement de foule ou d’un attentat meurtrier, comme ce fut le cas aux Jeux de Munich de 1972.

Pour ce faire, 30 000 policiers et gendarmes seront mobilisés quotidiennement, avec l’appui de 15 000 agents de sécurité que Pôle Emploi doit dénicher en urgence, comme l’ont révélé nos confrères de Mediapart.

Le ministère de l’Intérieur prévoit également d’installer des commissariats au sein des gares afin de « faciliter la prise de plainte », et de doubler le nombre de patrouilles dans les transports en commun.

Des missiles sur les toits

« On l’a constaté à chaque édition : les Jeux olympiques et paralympiques entraînent une militarisation de l’espace public », déplore Thomas [*], du collectif Saccage 2024. L’activiste cite en exemple l’installation de missiles sur les toits à Londres, en 2012 : « Paris 2024 ne fera pas exception. »

« Les Jeux olympiques et paralympiques sont avant tout un spectacle sécuritaire, observe l’anthropologue Matheus Viegas Ferrari, qui rédige sa thèse sur les Jeux de Paris 2024. Après les guerres, c’est là qu’est dépensé le plus gros budget sécuritaire. »

En 2012, des batteries de missiles avaient été disposées sur des toits d’immeubles durant les Jeux de Londres (ici lors d’un exercice avant ces Jeux). OGL v1.0 / Richard Watt / Defence Imagery via Wikimedia Commons

Le gouvernement français s’est également affairé dans l’arène législative. Deux dispositions de la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques, parue le 20 mai dernier au Journal officiel, sont particulièrement décriées par les défenseurs des libertés.

La première, dans l’article 17, prévoit de punir de 7 500 euros d’amende le fait de se maintenir sur l’aire de compétition d’une enceinte sportive — un mode d’action plébiscité par les activistes écologistes, notamment de Dernière rénovation.

La seconde, dans l’article 10, autorise, jusqu’au 31 décembre 2024, la vidéosurveillance algorithmique des manifestations « sportives, récréatives ou culturelles ».

Comportements jugés anormaux

Le principe : confier à une intelligence artificielle l’analyse d’images captées par des caméras fixes ou des drones, et lui permettre d’alerter la police dès qu’elle détecte un comportement estimé anormal — marcher à contre-sens, par exemple, ou rester statique trop longtemps.

À l’État — ou aux entreprises qui fournissent ces logiciels — de déterminer quelles situations doivent être considérées comme suspectes. Une première dans l’Union européenne.

Selon Katia Roux, d’Amnesty International France, cette technique constitue une atteinte à plusieurs droits fondamentaux : celui à la vie privée, « puisque des données comportementales et corporelles vont être analysées par cet algorithme » ; mais également à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique.

« Une telle surveillance peut avoir un effet extrêmement dissuasif sur l’exercice de ces droits, parce que l’on n’agit pas de la même manière quand on se sait ou que l’on se pense surveillé, explique la chargée de plaidoyer. Ça peut nous amener à réfléchir à deux fois avant de rejoindre un rassemblement ou de s’exprimer. »

Les perturbations d’événements sportifs, comme pratiquées l’an dernier par Dernière Rénovation comme ici au Tour de France ou encore à Roland-Garros pourraient être encore plus sévèrement réprimées. © Dernière Rénovation

Cette disposition pose d’autant plus problème, précise-t-elle, que la surveillance automatisée « n’a jamais démontré son efficacité contre la criminalité et le terrorisme, alors que ses conséquences sur les libertés fondamentales, elles, sont avérées ».

Une fois adoptées, ces technologies peuvent être « détournées de leurs objectifs premiers », craint-elle. « Ces outils sont toujours utilisés contre les mêmes personnes : les militants, les quartiers populaires, les étrangers, enchérit Noémie Levain, chargée d’analyses juridiques et politiques à la Quadrature du Net. Davantage de drones, de caméras algorithmiques, de surveillance, c’est davantage de pouvoir de coercition pour l’État. » Les deux femmes craignent que le dispositif sécuritaire mis au point pour les Jeux perdure après la fin de la fête.

« Intrinsèquement, les Jeux olympiques et paralympiques produisent un état d’exception que les responsables de la sécurité et leurs alliés au sein des gouvernements convertissent en une occasion de renforcer leurs stocks d’armes et de passer des lois dont l’horizon temporel s’étend bien après les cérémonies de clôture, dit à Reporterre l’ancien athlète et universitaire Jules Boykoff, auteur de Power Games : a political History of the Olympics (Verso, 2016, non traduit). Maintes et maintes fois, les lois créées pour protéger les Jeux sont restées effectives bien après leur fin. »

« Trois ans après, elle était utilisée pour identifier des opposants et les arrêter »

L’histoire olympique regorge de tels exemples. En Australie, la législation mise en place pour sécuriser les Jeux d’été de Sydney, en 2000, a « appauvri les libertés civiles », selon des chercheurs, en offrant notamment à la police le droit de fouiller ou d’évacuer des individus considérés comme gênants de certains lieux. Certaines de ses dispositions ont survécu aux festivités.

Les Jeux de Londres, en 2012, ont contribué à l’extension de la vidéosurveillance dans les rues ; la reconnaissance faciale a quant à elle été autorisée en Russie à l’occasion de la coupe du monde de football de 2018. « Trois ans après, elle était utilisée pour identifier des opposants et les arrêter chez eux », signale Katia Roux.

Citons également la loi « anticonspiration », adoptée au Japon à la faveur des Jeux olympiques de Tokyo en 2020, et critiquée jusqu’aux Nations unies en raison des pouvoirs de surveillance étendus qu’elle conférait à l’État.

Non-retour

Le risque de non-retour est d’autant plus grand, en ce qui concerne la vidéosurveillance algorithmique, que les enjeux économiques sont importants. « Le développement de ces systèmes représente un gros investissement financier pour les entreprises. Elles ne vont pas le faire à perte », dit Katia Roux.

En France, décrit Noémie Levain, un véritable marché s’est constitué : Thalès, Atos, Idemia, Aquilae, Wintix… « Plein d’entreprises sont là, et font pression auprès de la Cnil [Commission nationale de l’informatique et des libertés] pour renouveler l’autorisation. »

« Les citadins sont contraints à servir d’échantillon »

Pour la filière sécuritaire, les Jeux olympiques et paralympiques représentent une « opportunité », observe Matheus Viegas Ferrari. « Pour s’améliorer, un algorithme a besoin de gens. En accueillant les Jeux, les citadins sont contraints à servir d’échantillon. Les Jeux sont un instrument qui sert la filière sécuritaire, et non pas le contraire. »

Les problèmes pouvant être posés par ces technologies, poursuit-il, sont atténués par le « régime de spectacularisation » produit par la fête : « Tous les yeux du monde sont tournés vers la ville hôte, ce qui justifierait des mesures exceptionnelles. »

Déjà des projets de pérennisation

En avril dernier, les députés Philippe Gosselin (Les Républicains) et Philippe Latombe (MoDem) ont rendu un rapport d’information sur le sujet, dans lequel ils saluent la « multiplication capacitaire » permise par la vidéosurveillance algorithmique, et envisagent de la « pérennis[er] dans le droit commun » si ses résultats sont probants lors des Jeux olympiques et paralympiques. « L’étape d’après arrive déjà », analyse Noémie Levain.

Il est désormais trop tard pour revenir sur le dispositif sécuritaire imaginé pour les Jeux. La lutte ne fait en revanche que commencer pour empêcher la réautorisation de la vidéosurveillance algorithmique en 2025 : « On va continuer à sensibiliser, à expliquer pourquoi elle est extrêmement dangereuse en matière de droits humains », promet Katia Roux. Avec un espoir : que la France ne finisse pas médaille d’or de la surveillance de masse.

Après cet article

Enquête — Libertés Les Jeux olympiques ouvrent la voie aux technologies sécuritaires

Notes

[*] Le prénom a été modifié à sa demande.

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