Une psychologue contre la machine

lundi 27 mars 2023 par Florence V.

Toujours en librairie : Le Règne machinal (la crise sanitaire et au-delà). Voir ici

Florence, une lectrice nous écrit :

« Bonjour,
Je vous suis depuis des années.
Je suis psychologue clinicienne. J’ai récemment participé à une évaluation de patients obèses dans le cadre d’une prise en charge expérimentale.
J’ai ensuite suivi une formation qui explique le parcours des patients et j’ai compris que le financement des prises en charges (séances de psy, de gym, de diététicienne, journée complète pluridisciplinaire, etc.) n’est décidé QUE par un logiciel en fonction des résultats des questionnaires auto-évaluatifs remplis par les patients et relus en entretien clinique avec les patients par les praticiens évaluateurs.
J’ai mis fin à mon contrat de prestation de service et je vous joins la lettre (…) »

Ci-dessous sa lettre, pour ceux qui cherchent des modèles de courrier refusant l’automatisation de leur métier, de leurs missions et de leur vie.

Cela nous rappelle un autre témoignage, entendu voici 15 ans lors du congrès d’un syndicat de psychologues et de psychiatres qui nous avait invités. « Un patient me consulte parce qu’il se sent déprimé. Il a déjà vu un confrère, qui l’a reçu le nez sur son ordinateur. Ayant exposé le motif de sa visite, il s’est vu bombarder de questions que le médecin lisait à l’écran, entrant les réponses dans la machine. A la fin du questionnaire, celui-ci a tapé sur la touche « Entrée », pris connaissance du résultat et déclaré au patient : « Non, vous n’êtes pas déprimé ». »

Ces psychologues voudraient exercer leur métier de cliniciens. Du grec klinikos, klinein, « être couché » : « qui observe directement les manifestations de la maladie, au chevet du malade » (dictionnaire Le Robert). Voilà qui contrevient au projet technocratique de supprimer toute observation directe des phénomènes vivants, notamment humains. C’est à quoi servent les algorithmes, le big data, l’intelligence artificielle, bref, le monde-machine. Éliminer l’humain, l’observateur comme l’observé, car un patient calculé par un algorithme devient une chose, tel le paquet scanné par le lecteur de QR code. Mais les Smartiens ont désormais l’habitude.

La preuve, voici comment le directeur du programme expérimental de prise en charge des patients obèses se justifie auprès de notre lectrice démissionnaire :
« – éliminer l’humain permet d’éviter les connivences, au cas où le patient connaîtrait personnellement tel ou tel intervenant ; (…)
 le staff de cliniciens a la possibilité de décider d’une autre prise en charge que celle prévue par le logiciel, mais celle-ci ne serait alors pas financée et resterait donc à la charge du patient ;
 le logiciel a pour visée, outre d’éviter les connivences entre patients et soignants, de faire gagner beaucoup de temps clinique en effectuant lui-même les calculs de « scores de symptômes » liés aux questionnaires (quelques additions et une division). »

Des connivences, vous voulez dire, des liens entre humains  ? « Ce sont là ( …) des faits désagréables, je le sais. Mais aussi, la plupart des faits historiques sont désagréables », vous répond le Directeur du Centre d’Incubation et de Conditionnement (1).
Si vous tenez à une prise de décision humaine, c’est à vos frais. Et ce sera bientôt le cas pour tout : la prise en charge machinique, automate, pour les subissants, et le contact, le service humain, le soin par une personne pour les puissants. A moins qu’une majorité imite notre lectrice et fasse connaître publiquement son refus ?

(1) A. Huxley, Le Meilleur des Mondes (1932)

(Pour lire le courrier de Florence, ouvrir le document ci-dessous.)

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