Santé
22 février 2023 par Nolwenn Weiler
Alors que s’ouvre le Salon de l’agriculture, une nouvelle étude, en cours de finalisation, fait le lien entre les pesticides épandus sur les vignes et les leucémies infantiles. Suffira-t-elle à impulser de vraies politiques de prévention ?
Publié dans Écologie
C’est une étude aux résultats très attendus sur le possible lien entre pesticides et cancers chez les enfants. L’étude « Geocap-Agri » a été lancée par le ministère de la Santé en 2016 à la suite de l’apparition de plusieurs cancers d’enfants dans la région viticole bordelaise. Diffusés en juin 2022, les premiers résultats de cette recherche révèlent un surrisque de leucémies pour les enfants qui vivent à moins d’un kilomètre de parcelles de vignes cultivées avec des pesticides. Mais les résultats définitifs, promis en juin « pour la fin de l’été », se font attendre.
« À chaque fois qu’on demande une date, celle-ci est repoussée », constate le docteur Pierre-Michel Périnaud, médecin généraliste et président de l’association Alerte des médecins sur les pesticides, à l’origine de cette étude. « L’article a bien été soumis, nous attendons la réponse de la revue. À mon avis, nous l’aurons d’ici moins de trois mois », répond à basta Jacqueline Clavel, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et coautrice de l’étude. Bien après le Salon de l’agriculture qui s’ouvre ce 25 février.
« Il arrive que les publications scientifiques prennent du temps, note Pierre-Michel Périnaud. J’entends bien que toutes les vérifications et relectures nécessitent de nombreux mois, voire années. Mais notre problème, c’est que, en attendant, rien ne se passe. »
Une demande de preuves qui ne cesse jamais
Pas sûr, cependant, que la publication définitive des résultats de l’étude Géocap-Agri change quoi que ce soit. En France, dès que l’on parle de cancers infantiles, quelles que soient l’étendue et la durée des recherches, il manque des preuves… Les parents de Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique, et alentour où 24 enfants sont tombés malades en cinq ans en savent quelque chose.
« Quand il y a eu les cancers infantiles de Preignac [en Gironde] en 2015, l’Institut national de veille sanitaire a dit qu’on ne pouvait rien conclure, parce que le périmètre étudié [l’échelle communale, ndlr] était trop petit, explique Sylvie Nony, de l’association Alerte pesticides Haute-Gironde [1]. Une enquête nationale a donc été lancée : c’est Geocap-Agri. »
« Ce qui est terrible avec les pesticides, c’est que chaque résultat scientifique est pris individuellement »
Les premiers résultats de cette enquête nationale diffusés en juin sont en tout cas clairs : il y a une augmentation du taux d’incidence des leucémies dans les zones viticoles, quand les vignes se trouvent dans un rayon de 1000 mètres autour du domicile. Ce surrisque va de +3 à +10 % en fonction de la densité de la viticulture. « Ce n’était donc pas une folie que de dire qu’il y avait un lien entre l’incidence des cancers d’enfants et la présence de vignes alentour », relève Sylvie Nony.
« Malheureusement, nous avions raison, conclut Pierre-Michel Périnaud. Mais maintenant qu’on a les résultats, il faut documenter l’exposition et définir ce qui est en cause : la pollution aérienne, celle des poussières, les voies de pénétration des polluants, etc. » Cette stratégie dilatoire, expérimentée il y a des années par les industriels du tabac, est reproduite pour continuer à ne rien faire sur la question des pesticides, et sur de nombreux autres polluants.
L’accusé principal, ce sont les pesticides
Déjà, en 2020, la première partie de l’étude de Géocap-Agri faisait apparaître une augmentation des leucémies infantiles dans les municipalités ayant la plus forte densité de viticulture. Mais elle ajoutait ensuite que « d’autres travaux [étaient] nécessaires sur les expositions individuelles aux pesticides utilisés pour la viticulture et autres cultures à proximité des résidences ».
« On sait que la viticulture cause des leucémies infantiles, point. Comment, par quels vecteurs, on ne le sait pas précisément, mais ces choses qu’on ne sait pas ne changent rien au fait que l’accusé principal, ce sont les pesticides », avance le médecin Jean-Michel Périnaud. Le rapport de force avec le ministère de l’Agriculture n’est pas bon. On entend bien qu’il ne sera pas possible de sortir tout de suite des pesticides. Mais il me semble important de dire qu’en attendant, on peut faire des choses. Imposer un rayon de 200 ou 250 mètres autour des écoles, dans lequel il serait interdit d’épandre des pesticides, ce peut être un premier acte. Les enfants y passent huit heures par jour, plusieurs mois par an. »
« C’est un vaste plan de conversion de notre agriculture vers un modèle agricole vraiment durable qui s’impose »
Le 22 décembre dernier, le Conseil d’État a de nouveau rappelé le gouvernement à l’ordre à propos des distances de sécurité entre habitations et épandage de pesticides. « La haute juridiction enjoint à l’État de prendre des mesures propres à permettre de fixer des distances de sécurité suffisantes pour les produits CMR2 [suspectés d’être cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, ndlr] dont l’autorisation de mise sur le marché ne prévoit aucune distance de sécurité spécifique », souligne l’association Générations futures, à l’origine de la saisine du Conseil d’État (avec sept autres associations).
Les écoles bientôt protégées ?
« Nous demandons aussi des périmètres de protection autour de tous les lieux de vie, écoles, crèches, terrains de sport et habitations compris », ont exprimé plusieurs associations de défense de l’environnement et des riverains lors de la publication des premiers résultats de Géocap-Agri, en juin 2022. Cependant, c’est un vaste plan de conversion de notre agriculture vers un modèle agricole vraiment durable, tel que l’agriculture biologique, qui s’impose. C’est le seul garant de la protection des écosystèmes et des humains [2]. »
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Ces associations seront-elles entendues ? Pas sûr…. « Tout pourrait continuer comme avant, craint Pierre-Michel Périnaud, de l’association Alerte des médecins sur les pesticides. Ce qui est terrible avec les pesticides, c’est que chaque résultat scientifique est pris individuellement. Il y a tant de leucémies, tant de maladies de Parkinson, tant de troubles cognitifs, etc. On oublie qu’il y a un tout qui concerne les enfants, mais aussi les adultes. » Le 8 février dernier, la Confédération générale des planteurs de betteraves et le syndicat agricole majoritaire FNSEA manifestaient encore contre « l’interdiction progressive des moyens de production » – comprenez contre l’interdiction des pesticides les plus toxiques, comme les néonicotinoïdes ou le glyphosate.
Nolwenn Weiler
Dessin : ©Cécile Guillard
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