Samedi 18 février, une manifestation aura lieu dans plusieurs villes de France pour dénoncer les centres de rétention administrative (CRA). Depuis quelques mois, la situation empire dans ces prisons pour exilés.
Plus de 200 personnes exilées entassées dans une prison qui ne dit pas son nom. « En 2021, les étrangers malades constituent encore une large part des personnes retenues au CRA de Paris-Vincennes. Pourtant, les conditions de leur prise en charge ne sont pas optimales. […] L’effectivité du droit à la santé est d’autant plus problématique en ce qui concerne les nombreux retenus qui souffrent de troubles psychiques, aggravés par la privation de liberté. En 2021, aucun psychologue n’intervenait au CRA de Paris-Vincennes », notait un rapport réalisé par cinq associations (La Cimade, France Terre d’Asile, Sos Solidarités, Forum Réfugiés, Solidarité Mayotte) en août 2022.
Dans ce centre de rétention administrative (CRA) parisien, plus de 2 400 personnes ont été enfermées durant l’année 2021. Leur faute selon l’administration ? Ne pas posséder de papier. « Contrairement à une prison, les personnes n’y sont pas enfermées en raison d’un crime ou d’un délit. Pourtant, il s’agit d’un environnement carcéral dans lequel elles sont surveillées constamment par la police et ne peuvent sortir avant un éventuel renvoi ou leur libération », indiquent les associations dans leur rapport.
Une rétention systématique
Théoriquement, les exilés ne peuvent être enfermés dans ces CRA qu’en vue d’une expulsion, et à condition « qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective [de cette expulsion] », précise le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Même dans ces conditions, l’enfermement d’un étranger ne peut se faire « que pour le temps strictement nécessaire à son départ ».
Mais dans la pratique, l’administration ne s’encombre pas de telles précautions pour placer en rétention les exilés. En 2021, plus de 14 000 personnes ont été enfermées dans un CRA de métropole, pour une durée moyenne de 22 jours. Dans plus de la moitié des cas, elles ont finalement été libérées, le plus souvent après l’intervention d’un juge.
Au sein du CRA de Paris-Vincennes, une personne retenue sur cinq était originaire d’Afghanistan en 2021. Certaines ont été expulsées vers leur pays d’origine, quelques mois avant que les Talibans ne s’emparent du pays. Depuis le 6 juillet 2021, les expulsions vers l’Afghanistan sont suspendues. Pourtant, des Afghans continuent d’être placés en rétention.
Dans ce contexte, l’appel à manifester samedi 18 février, à quelques kilomètres de ce lieu de rétention, à la Porte Dorée, est donc éminemment symbolique. Objectif pour La Marche des Solidarités, qui a lancé l’appel : dénoncer « la répression, l’enfermement et les expulsions » des exilés, dont les CRA sont une pièce-maîtresse. D’autres manifestations auront également lieu à Bordeaux, Nantes, Toulouse, Calais, Lille ou Marseille.
La Cimade se retire d’un CRA
Toujours en région parisienne, les conditions de rétention au sein du CRA du Mesnil-Amelot se sont particulièrement aggravées ces derniers mois. « De plus en plus de personnes présentant d’importants problèmes de santé notamment psychiatriques, sont enfermées dans les centres, en dépit de leur évidente vulnérabilité. Certaines présentent des troubles mentaux qui nécessitent des soins immédiats et représentent un danger pour elle-même ou pour les autres, ce qui justifierait aux termes de la loi leur hospitalisation plutôt qu’un maintien en rétention », souligne dans un communiqué la Cimade, qui intervient habituellement dans ce CRA pour apporter une aide aux exilés. « Dans ce contexte, les situations de violences n’ont cessé de se multiplier : violences entre personnes retenu.e.s, violences policières à l’encontre des personnes retenu.e.s, tandis qu’alertés par ces faits les responsables des CRA assument une nécessité de recours à la force », poursuit-elle.
Face à l’aggravation de cette situation, l’association a ainsi décidé de retirer ses équipes du centre de rétention depuis le 2 février « jusqu’à nouvel ordre ». Une manière de peser dans le rapport de force : l’assistance juridique dans ces centres est une obligation légale pour l’État. Ce dernier ayant choisi de déléguer cette compétence à des associations, la Cimade espère ainsi pousser l’administration à réagir.
Machine à expulser, machine à enfermer
Face à une situation si dramatique, la réponse du gouvernement est de se tourner vers davantage de répression encore. Selon Louise Lecaudey, coordinatrice des intervenants juridiques dans ce CRA, interrogée par nos confrères de InfoMigrants, la situation se serait considérablement dégradée depuis la publication d’une circulaire par le ministère de l’Intérieur le 17 novembre 2022. Le ministre y enjoint en effet les autorités de police à « prendre des OQTF [obligation de quitter le territoire français, ndlr.] à l’encontre de tout étranger en situation irrégulière » et à les assortir de « mesures d’exécution, en particulier, d’assignation à résidence ou de placement en rétention administrative ». Face à de telles demandes, rien d’étonnant donc à ce que les préfectures aient enfermé à tour de bras les exilés dans les CRA. Le ministre de l’Intérieur promet par ailleurs 3 000 places en CRA d’ici à 2025-2026 contre 2 200 actuellement.
Un tel zèle contre les personnes en situation irrégulière associe pourtant l’incompétence à l’inhumanité, comme le soulignaient 42 associations. « L’accès aux services étrangers a été largement réduit à l’occasion de la dématérialisation des procédures, précipitant ainsi de nombreuses personnes dans des situations administratives irrégulières faute d’avoir pu, à temps, faire renouveler leur titre de séjour ».
Dès lors, nombre de ces situations dites irrégulières pourraient être résolues à court terme et il apparaît alors encore plus absurde de vouloir enfermer ces personnes, voire de les expulser, d’autant plus que « les OQTF […] arrêtent brutalement le travail, les études, les liens affectifs, les vies – même lorsque celle-ci sont construites depuis des années en France ».
La Loi Darmanin en toile de fond
La loi Darmanin, qui sera présentée devant le Sénat le 28 mars avant son passage devant l’Assemblée Nationale, s’inscrit dans la même logique. « Le but [de cette loi] n’est pas de donner une réponse rapide [aux demandes d’asiles] dans un souci d’humanité, mais bien de faire vite pour ” juger et expulser le plus vite possible ” », expliquions-nous en décembre dernier en citant l’avocat Morade Zouine. Or davantage d’expulsions signifie aussi davantage d’étrangers enfermés dans ces centres.
Le 10 décembre 2021, 532 organisations appelaient notamment à « la suppression des mesures de répression contre les migrants », à « la fermeture des centres de rétention administrative » et à la « régularisation des sans papiers ». Autant de mots d’ordre qui seront repris lors de la manifestation du 18 février. Une autre manifestation nationale est prévue le 4 mars pour s’opposer à la loi Darmanin.
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