Vincenzo Vecchi plus que jamais menacé d’extradition vers l’Italie

samedi 7 janvier 2023, par Courant Alternatif

La Cour de cassation a une nouvelle fois cassé un arrêt d’une Cour d’appel, celle d’Angers, qui rejetait la demande d’extradition de ce militant altermondialiste. S’il est extradé, 12 ans et demi de prison l’attende en Italie.

Il y a 21 ans  

Le contre-sommet du G8 à Gênes (1) a rassemblé les 20, 21 et 22 juillet 2001 300 000 personnes et fait l’objet d’une répression sanglante. Un jeune manifestant, Carlo Giuliani, a été tué de 2 balles dans la tête par un carabinier et 600 manifestant.es blessé.es dont une soixantaine grièvement. En Italie, ces violences inédites ont donné lieu à de nombreuses enquêtes judiciaires, mais très peu ont abouti. En novembre 2008, lors de ce qu’on a appelé le « procès de l’école Diaz » (siège du contre sommet), treize hauts responsables de la police italienne ont finalement été condamnés à quatre ans de prison pour « coups et blessures » et « falsification de preuves » – ils avaient eux-mêmes apporté des cocktails Molotov… Mais aucun ne purgera sa peine, en vertu d’une loi d’amnistie votée en 2006. Quant à l’enquête sur la mort de Carlo Giuliani, elle a été classée sans suite.
Le chef de la police italienne, Franco Gabrielli, a reconnu en 2017, soit 16 ans après les faits, que la police avait commis « des actes de torture » à l’égard des manifestant·es.
A la différence des policiers poursuivis, les dix militants identifiés lors des affrontements du G8 – les « dix de Gênes », dont fait partie Vincenzo Vecchi – ont écopé de peines exemplaires prononcées en 2012, allant jusqu’à quinze ans d’emprisonnement, Vincenzo en a prit 12,5 !

Les démêlés juridiques de Vincenzo

Deux mandats d’arrêts européens (MAE) ont été émis par la justice italienne en 2016 contre Vincenzo Vecchi qui avait disparu des radars de la police italienne. L’un concerne les manifestations à Gênes en 2002, l’autre sa participation à un rassemblement anti-fasciste à Milan en 2006. Ce dernier est tombé en désuétude lorsque la justice italienne a bien été obligée de reconnaître en 2019 que Vincenzo avait accompli cette peine, une partie en préventive et l’autre en assignation à résidence. Il ne restait donc que la condamnation suite à sa participation à la manifestation altermondialiste de 2001.
C’est ainsi que Vincenzo est arrêté le 8 août 2019 en Bretagne par la brigade nationale de recherche des fugitifs pour être extradé vers l’Italie. En quelques jours un comité de soutien se constitue à Rochefort-en-Terre, dans le Morbihan, où Vincenzo vit depuis 2011. Il fait appel et est présenté devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes. Dans un premier arrêt, rendu le 23 août 2019, celle-ci demande des informations complémentaires à la justice italienne sur les condamnations infligées à Vincenzo Vecchi et sur ses éventuelles conditions d’incarcération. Ces précisions permettent à la chambre de l’instruction de découvrir qu’il manque au dossier l’attestation prouvant que l’avocat italien choisi par Vincenzo Vecchi pour le défendre en cas d’extradition s’est bien vu notifier cette décision. Un oubli qui, pour la cour d’appel de Rennes entraîne l’annulation de la procédure d’extradition. Dans un arrêt rendu le 15 novembre 2019, elle ordonne en conséquence sa libération. Mais son MAE reste toujours en vigueur ! Les Etats français et italiens n’ont pas dit leur dernier mot, la Cour de cassation est saisie par le procureur et un mois plus tard, la décision de la Cour d’appel de Rennes est cassée. D’après la Cour de cassation le choix de l’avocat italien n’avait pas d’influence sur la procédure d’extradition ! Elle renvoie le dossier devant la cour d’appel d’Angers.
Pour les infractions en dehors des assassinats et des attentats terroristes, l’exécution du MAE peut être refusée si l’infraction pénale pour laquelle la personne est recherchée ne constitue pas également une infraction pénale dans l’État où elle est réfugiée : C’est ce que l’on appelle la condition de la double incrimination. Pour Vincenzo Vecchi cette double incrimination a posé un problème juridique mis en avant par sa défense. En effet, Il a été condamné à 12 années et demi de prison sur la base de la loi punissant le délit de dévastation et saccage. Cette loi a été introduite dans l’ordre juridique italien avec le décret royal du 19 octobre 1930 et est entrée en vigueur le 1er juillet 1931. Ce décret royal est resté dans l’histoire sous l’appellation de « code Rocco », du nom du ministre de la Justice de l’époque mussolinienne, Alfredo Rocco. Or cette loi qui était tombé en désuétude pendant des dizaines d’années, a été réactivée en 2004 sous Berlusconi pour condamner lourdement et pour l’exemple les « dix de Gènes ». Cette loi n’a pas d’équivalent dans le droit français. C’est ainsi que le 4 novembre 2020, la Cour d’appel d’Angers refuse à son tour l’extradition car pour elle, le principe de la double incrimination n’a pas été respecté par la justice italienne.
Dans le cas de Vincenzo, 7 faits lui sont reprochés, 2 faits sur les 7 incriminés ne sont pas punis dans le droit français, il s’agit de la responsabilité passive. En effet cette loi fasciste « dévastation et pillage » criminalise toute participation à une manifestation ou se déroulent des débordements, elle considère qu’il n’y a pas nécessité de commettre soi même les actes violents qui pourraient s’y dérouler pour être coupable. Quant aux 5 autres faits reprochés à Vincenzo, le parquet va estime qu’ils sont suffisamment caractérisés pour qu’il soit considéré que l’infraction de « dévastation et pillage » dispose bien d’un équivalent en droit français : le « vol avec dégradation et en réunion ». Notons que ces 5 faits reprochés n’impliquent pas une condamnation à 12 ans et demi de prison en France !
Avant de prendre sa décision et trancher la question de savoir si le principe de double incrimination devait porter ou non sur l’ensemble des faits reprochés, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Dans un arrêt rendu le 14 juillet 2022, la CJUE a affirmé qu’une « correspondance parfaite » entre les infractions n’était pas obligatoire ! Cette décision, qui s’impose désormais aux juges français, a été un important revers pour les soutiens de Vincenzo Vecchi. Lors de l’audience devant la Cour de cassation, qui s’est tenue le 13 octobre 2022, ses avocats ont cependant demandé la transmission au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afin que celui-ci étudie la compatibilité de la jurisprudence européenne avec la Constitution française.
Dans ses deux arrêts rendus mardi 29 novembre, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel d’Angers qui rejetait la demande d’extradition de Vincenzo et a refusé de transmettre cette QPC, au motif que cette question a déjà été tranchée par la CJUE. La condition de double incrimination du fait était ainsi satisfaite.

Le Mandat d’arrêt européen en question

Le Mandat d’arrêt européen (MAE) a été institué en 2002. entre les Etats membres de l’Union européenne, Il s’agit pour ces Etats d’aller plus rapidement que les procédures traditionnelles d’extradition avec une certaine automaticité. C’est ainsi que pour les infractions les plus graves (assassinats, actes de terrorisme par exemple), ce MAE est automatique sans condition, exécutée en quelques jours. Mais le MAE inclut l’obligation pour chaque pays de remettre à des autorités judiciaires étrangères ses propres nationaux, ce qui était auparavant prohibé par le droit français notamment. Ainsi, en novembre 2010, la Cour d’appel de Pau validait la remise aux autorités judiciaires espagnoles d’Aurore Martin, française membre de Batasuna, parti déclaré illégal en Espagne (mais légal en France), suscitant de vives protestations contre le mandat d’arrêt européen. Cela a conduit à une tentative d’arrestation avortée en 2011, puis à son arrestation par la gendarmerie française le 1er novembre 2012 et à sa remise immédiate aux autorités judiciaires espagnoles. Elle est libérée le 22 décembre 2012, avec le versement d’une caution de 15 000 euros, payée par des collectes de fonds organisées par Batasuna. Le 13 janvier 2016, l’Espagne renonce à toutes ses poursuites et amnistie Aurore Martin de sa peine d’un an et huit mois de prison.
Une autre affaire a, à ce jour, mis à mal l’exécution d’un Mandat d’arrêt européen. C’est l’affaire de l’Imam marocain Iquioussen. En résumé (voir aussi CA de novembre dans la rubrique Big Brother), cet Imam est fiché S par les services de renseignement français. Fin juillet, Darmanin avait annoncé son expulsion vers le Maroc. Mais Hassan Iquoussen est introuvable au moment d’appliquer cet arrêté d’expulsion. Il a anticipé cette expulsion en quittant le 25 août le territoire français et en se rendant en Belgique. Joli pied de nez que l’Etat français islamophobe ne peut admettre ! Voulant le récupérer pour l’expulser, l’Etat français va émettre un MAE. En toute logique juridique la justice belge, par 2 fois, va refuser d’exécuter ce MAE. En effet, la soustraction d’une mesure d’éloignement n’existe pas en droit belge, la condition de double incrimination n’est donc pas satisfaite. Cette histoire est à ce jour pas encore terminée car l’Imam n’a pas l’autorisation de séjourner en Belgique, il a donc été placé en centre fermé comme tout autre sans-papiers. Affaire à suivre !

L’espace juridique européen

Reste que la Cour de cassation a décidé que la demande d’extradition sera maintenant réexaminée par la Cour d’appel de Lyon. Reste aux avocats de Vincenzo de trouver d’autres arguments pouvant permettre de gagner cette bataille juridique évitant ainsi les prisons italiennes à Vincenzo, reste aussi au comité de soutien et à nous-mêmes de créer un rapport de force obligeant l’Etat français à renoncer à exécuter cette extradition. Plus facile à énoncer qu’à faire, d’autant plus que les Etats européens et en particulier la France tiennent beaucoup à l’automaticité des exécutions des MAE ! Reste aussi la clandestinité en attendant des jours meilleurs mais cette décision appartient à Vincenzo et son comité de soutien.
Les avocats ont déjà évoqué devant la cour de cassation le contexte politique italien, avec l’arrivée au pouvoir de Fratelli d’Italia, dont l’idéologie se revendique très clairement du fascisme. Mais l’anti-fascisme ne passera pas les murs de la justice française même si on évoque les traitements inhumains et dégradants auxquels Vincenzo pourrait être soumis en Italie.
Ce dossier est beaucoup plus large que le cas de Vincenzo. N’importe quelle loi de n’importe quel Etat européen peut entrer dans cet espace juridique européen. Le comité de soutien à Vincenzo a tout de suite pensé à un autre exemple, celui de l’avortement. Si un mandat d’arrêt européen est émis par la Pologne à destination d’une personne qui aurait aidé une femme à avorter et qui risque d’aller en prison ; est-ce que la France va choisir de l’exécuter ? Non, car elle pourra encore (et on espère toujours !) s’appuyer sur le « double incrimination » insatisfaite dans ce cas.
Vous nous direz qu’il reste aussi ensuite la possibilité de saisir la Cour européenne des Droits de l’homme, à ne pas confondre avec la CJUE (2), qui rendra ses conclusions quelques années plus tard sans que cela soit suspensif.

Denis, Reims le 4 décembre

(1) Dans notre numéro d’octobre 2001 – n°112 – nous avons publié un bilan de ce contre sommet du G8 à Gênes où la violence a été le seul fait marquant de ces journées. Ce texte « observations dissonantes sur Gênes » est disponible gratuitement. Ecrire à Egregore, BP 81213, 51058 Reims cedex.
(2) La Cour de justice de l’union européenne dépend de l’Union européenne. La Cour européenne des droits de l’homme dépend du Conseil de l’Europe.

http://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article3495

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