Résistance
8 novembre 2022 par Rachel Knaebel
Jérôme Guilet, astrophysicien français, a participé à une action des Scientifiques en rébellion pour protester contre le greenwashing du secteur automobile. Ceci lui a valu six jours de détention en Allemagne.
Publié dans Écologie
Après une manifestation au siège de BMW, dans le showroom de leurs voitures de luxe, le 29 octobre à Munich, quinze membres du collectif international Scientist Rebellion (Scientifiques en rébellion) ont été placés en détention préventive en Allemagne. Treize d’entre eux sont restés incarcérés pendant plusieurs jours.
Les actions du collectif des Scientifiques en rébellion se multiplient en Allemagne ou en France, pour alerter sur la nécessité de prendre des mesures immédiates contre les effets actuels et futurs de la crise climatique. Ils et elles demandent, entre autres, la réduction des émissions de CO2 du secteur des transports.
« Ne pas prendre position, c’est soutenir le statu quo actuel qui mène à la catastrophe »
Parmi les scientifiques emprisonnés à Munich, Jérôme Guilet est un astrophysicien français. Il travaille au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), tout en étant activiste climatique depuis plusieurs années. Il est déjà passé en procès l’année dernière en France pour avoir participé à une action d’Alternatiba à l’aéroport de Roissy. Basta a choisi de l’interviewer.
basta! : Quel lien faites-vous entre votre activité scientifique et votre engagement pour le climat ?
Jérôme Guilet [1] : Ça fait quatre ans que j’ai commencé à m’engager collectivement pour le climat, au-delà de changer mes habitudes personnelles. Je me suis penché plus attentivement sur les rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr) et j’ai perçu une responsabilité d’agir en tant que scientifique. C’est plus facile pour moi de lire un rapport du Giec que pour quelqu’un qui n’a pas de formation scientifique, même si je ne suis pas climatologue.
J’ai commencé par faire de la sensibilisation. Dans mon laboratoire, on organisait des séminaires internes pour alerter les chercheurs sur la question climatique. L’objectif était d’impulser une démarche pour tenter de réduire nos propres émissions au sein du laboratoire. Je fais également de la sensibilisation au sein de l’association végétarienne de France sur l’impact environnemental de l’alimentation, de l’élevage en particulier. C’est quelque chose auquel je suis également attaché.
Le deuxième volet de mon engagement, ce sont ces actions de désobéissance civile, depuis trois ans et demi, d’abord au sein d’Alternatiba, ensuite au sein de Scientifiques en rébellion. Ce collectif s’est créé en France, à la suite d’une tribune de scientifiques qui appelaient à la désobéissance civile, publiée dans Le Monde en février 2020.
Jugez-vous que les scientifiques ne s’engagent pas assez pour le climat ?
Cela serait mieux si plus de scientifiques prenaient position, de la façon qui leur convient le mieux, ça peut être de la sensibilisation, des actions de désobéissance civile, pourquoi pas de la politique aussi. Il y a des façons différentes d’être utile sur la question. Cela fait, selon moi, partie de nos missions d’informer et de tirer la sonnette d’alarme quand un problème se profile. Mais j’ai l’impression que de plus en plus de scientifiques s’engagent aujourd’hui, que le mouvement grandit.
Est-ce encore difficilement accepté du point de vue de l’éthique scientifique de prendre position politiquement, même pour le climat ? Les scientifiques pensent-ils devoir rester neutres à tout prix ?
« Cela serait mieux si plus de scientifiques prenaient position, de la façon qui leur convient le mieux »
Cet idéal de neutralité est toujours une question qui se pose. En me penchant sur le sujet, je me suis aperçu, et c’est l’avis d’un certain nombre de scientifiques aussi, que cet idéal de neutralité est illusoire. Nous sommes imbriqués dans la société, nos recherches ont des conséquences sur la société. Si on croit être neutre, en fait, en ne prenant pas proposition, on soutient la façon dont les choses se déroulent. Quelque part, ne pas prendre position, c’est soutenir le statu quo et la trajectoire actuelle qui mène à la catastrophe.
La vraie exigence, c’est de ne pas utiliser notre position de scientifique pour imposer des opinions qui ne seraient pas basées sur des faits scientifiques. C’est une exigence d’honnêteté intellectuelle et d’exactitude : respecter la méthode scientifique, avoir un raisonnement sain, ne pas manipuler les faits.
Les actions de Scientifiques en rébellion, comme celles des groupes Dernière génération en Allemagne ou Dernière rénovation en France, Just Stop Oil en Grande-Bretagne, peuvent être perçues comme des actions avant tout de communication, pour que la question climatique soit présente dans l’actualité par la médiatisation. Votre objectif est-il avant tout d’être visible, qu’on parle de vous ?
En un sens, il s’agit évidemment beaucoup de communication. L’un des objectifs est de sensibiliser, de faire que cette question du climat ne puisse plus être évitée dans le débat public. Je pense cependant que cela va au-delà. Nous avons aussi l’objectif d’établir un rapport de force, notamment quand on vise une entreprise en particulier.
Par exemple, pour l’action de la semaine dernière, c’était dans un showroom de BMW, qui est un des bâtiments les plus visités de Bavière, et beaucoup de greenwashing s’y pratique. Y sont exposées des voitures qui polluent énormément, mais entourées de végétaux, ce qui donne l’impression que c’est tout à fait écologique. L’action visait à mettre la pression sur cette entreprise, en écornant un peu son image, ou plutôt en rétablissant une image plus proche de la réalité. Nous avons répandu de la mélasse pour montrer que ces véhicules sont en fait très polluants.
Il ne faut pas sous-estimer le rapport de force. Il y a des faits scientifiques établis, mais la raison pour laquelle cela ne suffit pas, c’est qu’il y a beaucoup de résistances au changement, notamment de la part d’intérêts économiques. Si on veut arriver à des changements, il faut s’attaquer à ces intérêts.
Vous avez visé BMW. Volkswagen a été visée la semaine précédente par une autre action de Scientifiques en rébellion. Jugez-vous que la question des émissions de CO2 du secteur des transports n’est pas assez abordée dans le débat public, par rapport à la question des émissions dues à l’élevage notamment ?
« Je pensais bien que j’allais probablement finir en prison pour cette action »
Je dirais plutôt l’inverse. L’élevage est sous-considéré par rapport à son impact écologique. C’est pour cela que je m’engage aussi au sein l’association végétarienne. Pour donner un exemple, l’année dernière, il y a eu une déclaration internationale pour réduire les émissions de méthane. L’un des très gros postes d’émissions de méthane, c’est l’élevage. Pourtant, dans les actions nécessaires mentionnées dans cette déclaration, l’élevage n’était même pas évoqué. Ce qui était mis en avant, c’était qu’il fallait s’attaquer aux fuites sur les gazoducs ou se préoccuper des décharges, qui sont effectivement des sources de méthane. Le poste dominant de l’élevage était en revanche occulté. J’essaie d’œuvrer aussi pour que cet aspect soit plus discuté.
Sur l’action de la semaine passée, nous avons choisi d’aller en Allemagne, car c’est un pays dont la voix porte en Europe. S’il y a un changement en Allemagne, ça peut diffuser dans le reste de l’Union européenne. Le secteur des transports y est crucial, car l’industrie automobile y est très puissante.
À la suite de cette action, vous avez passé quatre jours en détention préventive. Avez-vous été surpris par la sévérité de la réponse des autorités allemandes à votre action ?
Nous avons été mis en cause pour trouble à l’ordre public et dégradation de biens. Ce qui a mené à la détention préventive. Nous avions trois actions cette semaine-là et nous avions annoncé qu’on allait les mener jusqu’au 4 novembre. Le placement en détention n’a pas été une surprise pour nous, nous nous y étions préparés. Je pensais bien que j’allais probablement finir en prison pour cette action. Jusqu’ici, j’avais déjà été en garde à vue pour une action (sur le tarmac de l’aéroport de Roissy, en octobre 2020, ndlr).
Cela vous a-t-il découragé ou donné envie de continuer ?
J’ai bien l’intention de continuer. Nous avons reçu énormément de soutien pendant ces quatre jours, des lettres, des mails. Ça donne beaucoup de baume au cœur, de courage, ça donne envie de poursuivre le combat. Même si c’est vrai que ça m’a pris pas mal d’énergie et de temps ces deux dernières semaines. Je ne vais pas arrêter, c’est sûr, mais je vais devoir aussi me remettre à mon travail.
En tant que scientifique et militant climatique, que pensez-vous quand, parfois, dans le débat public, les activistes écologistes sont présentés comme anti-scientifiques ?
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L’analyse des faits scientifiques pousse à être écologiste. Il y a des faits clairement établis qui montrent qu’on exploite beaucoup plus les ressources naturelles que ce qui serait soutenable. Il y a une accumulation de faits scientifiques indéniables qui montrent qu’il y a un changement climatique d’origine humaine et qu’il est catastrophique.
Recueilli par Rachel Knaebel
Photo de une : Des membres de Scientist Rebellion en Allemagne en avril 2022. CC BY 2.0 Stefan Müller via flickr.
Notes
[1] Jérôme Guilet est astrophysicien au département d’astrophysique du centre de recherche du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Saclay et militant climatique, notamment au sein de Scientifiques en rébellion.
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