Patriarcat
21 septembre 2022 par Lisa Noyal
Les partis et mouvements de gauche ne sont pas exempts de violences sexistes et sexuelles malgré les beaux discours. Des groupes tentent de mettre en place des outils pour recueillir la parole des victimes et sanctionner les agresseurs.
Publié dans Société
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Lorsqu’Inès a rencontré Éric, il la suivait sur les réseaux depuis quelques années pour son contenu militant*. « Il a commencé à me parler et à me montrer tout ce que j’aurais pu chercher chez un homme. C’est quelqu’un qui avait une compréhension des codes militants, des théories militantes, du féminisme, du consentement, de tout en fait… »
Avant de se voir, il lui fait même remplir un document Excel contenant une liste de pratiques sexuelles sur lesquelles Inès doit noter « oui », « non », ou « je ne sais pas » afin de savoir quels actes peuvent être pratiqués ou non. Ils parlent également à l’écrit et à l’oral des actes qui pourraient déclencher un traumatisme psychologique.
Mais quand Éric vient chez elle, il ne respecte pas les accords préalables. Le lendemain, Inès tente de lui parler du fait que son consentement a été outrepassé à plusieurs reprises, mais son partenaire se braque. « Il a commencé à me dire qu’il avait l’impression d’avoir passé une super soirée, que j’étais en train de tout gâcher. Il ne voulait pas entendre parler de viol. Pour lui, mon agression est une relation sexuelle que j’aurais mal vécue », se rappelle Inès.
« Il a été invité à un événement sur le consentement »
Elle ne verra plus jamais l’homme après cette soirée et mettra fin à leur relation. Un an plus tard, il conçoit finalement avoir commis une agression sexuelle et accepte une proposition de justice restaurative, processus qui répare l’ensemble des répercussions d’une infraction en dehors de la justice pénale par un échange entre victime et agresseur. Mais Inès abandonne très vite cette possibilité : « J’ai eu des retours de militantes comme quoi il utilisait ça pour se dédouaner, pour continuer à évoluer dans le milieu militant, à tel point qu’il a été invité à un événement sexe-positif sur le consentement en tant que participant. »
« Les hommes de gauche avalent beaucoup de théorie, mais ne la mettent jamais en pratique »
La jeune femme est encore sous le choc. « J’ai mis énormément de temps à comprendre que c’était une agression, surtout parce qu’il était de gauche. Pour moi, il était impossible que quelqu’un qui en sait autant sur le consentement puisse m’agresser. » Elle regrette que « les hommes de gauche avalent beaucoup de théorie, mais ne la mettent jamais en pratique ».
Comme Inès, Louise et Marie* racontent avoir tendance à davantage faire confiance aux personnes ayant les mêmes convictions. Il y a quelques mois, elles reçoivent un message privé sur Twitter d’un homme qui a plus de 3000 abonnés sur le réseau social et qu’elles suivent pour ses contenus engagés. « Il a énormément partagé de musiques militantes par message privé, ça m’intéressait. Puis ça a dérapé sur des propos tendancieux, voire ouvertement explicites », se souvient Marie.
La femme de 25 ans décrit des allusions à des pratiques BDSM (bondage et discipline, domination et soumission), dans le cadre de conversations classiques. « Il rendait la conversation très malaisante, relate Louise. C’est à partir du GIF d’une petite fille qui recevait une fessée que j’ai compris que là il y avait quelque chose de vraiment alarmant », se souvient, encore gênée, la jeune femme de 19 ans.
Selon les concernées, l’homme ne voulait pas donner clairement son âge et alimentait un jeu de questions-réponses pour laisser planer un flou sur le sujet. Elles apprendront finalement que le militant était trentenaire. Il avait donc au moins dix années de plus qu’elles. « Il s’est servi de ses connaissances et de sa culture militante pour diriger la conversation. Les échangent tournent autour du militantisme, il dit qu’il a un peu cogité sur tous les sujets et notamment sur le féminisme. Donc on lui fait plus facilement confiance », détaille Marie. Louise aussi se sentait en confiance au début, au regard des valeurs que l’homme semblait partager avec elles. Mais elle s’est rapidement ravisée. « J’ai pris l’habitude de me méfier de tout homme cis hétéro », témoigne-t-elle dans un rire jaune.
Étienne dénonce une agression, rien n’est fait
Il y a trois ans, à la fin d’une soirée avec la Jeunesse communiste, Étienne*, encore mineur, se retrouve à dormir avec un militant du parti, âgé de dix ans de plus que lui. « On a eu une relation sexuelle qui n’était pas consentie. J’ai essayé de le repousser, il ne voulait pas arrêter », décrit-il. Après cette soirée, il tente d’alerter le PCF, de faire remonter l’information à la cellule interne gérant les agressions sexuelles, mais rien n’est fait. « Quand j’en ai parlé avec d’autres camarades, on m’a dit que ce n’était pas la première fois qu’on entendait des choses sur lui », détaille le jeune homme, encore écœuré. Après avoir passé trois ans au sein du Parti communiste, Étienne a finalement décidé de le quitter.
« Quand c’est quelqu’un qui a du pouvoir ou un bon réseau, on va rencontrer des problèmes »
L’ancien militant communiste souhaitant rester anonyme, nous n’avons pas directement contacté la section locale dont il était membre. Shirley Wirden, en charge du dispositif « Stop Violences » du Parti communiste, explique de son côté multiplier les formations et les rencontres avec les différentes sections afin de faire connaître les démarches à suivre en cas de violences. Si des blocages persistent encore, cela provient, selon elle, du fait que la mise en place de cette cellule est récente, et que « même si les responsables locaux sont de bonne volonté, il faut le temps que ça s’imprègne ».
« On va en parler, ça va se tasser et ça sera terminé »
La place qu’occupent les militants accusés d’agressions sexuelles au sein du groupe influe sur la gestion de la situation. « Quand c’est une personne qui n’a pas de pouvoir, les procédures vont aller très vite. En revanche, quand c’est quelqu’un qui a du pouvoir ou un bon réseau, on va rencontrer des problèmes », décrit Manel Djadoun, ancienne militante au sein des jeunes communistes, aujourd’hui secrétaire générale du collectif Rassemblement pour l’égalité et la démocratie (RED).
Le pouvoir ne s’arrête pas au poste. « Plus le groupe est informel, plus le pouvoir sera informel et basé sur le charisme », analyse Émeline Fourment, chercheuse en sciences politiques à l’université de Genève. Les valeurs de gauche devraient amener à dénoncer les violences sexuelles et à agir. Pourtant, la plupart du temps, il ne se passe rien, a constaté la chercheuse : « On va en parler, ça va se tasser et ça sera terminé. »
La peur des conséquences sur le groupe et son image est une des raisons pour laquelle la parole des victimes n’est pas systématiquement écoutée. « Surtout en période électorale, ça peut être utilisé par le camp adverse pour discréditer, plus les enjeux sont grands, plus ce sera difficile de faire entendre les voix des victimes », poursuit Émeline Fourment.
Exclusion du groupe, justice transformatrice
« Je ne suis pas sûre que les victimes soient plus écoutées dans les groupes de gauche, leur parole est encore souvent remise en question », résume Lucie*, membre de Paris Queer Antifa, un collectif antifasciste de lutte contre les LGBTQI+phobies [1] et le patriarcat. Elle décrit les groupes qu’elle fréquente comme virilistes, blancs, hétérosexuels, validistes (qui, consciemment ou non, promeut une société faite pour les valides, excluant les autres, du fait de leur handicap par exemple), cisgenres, et souligne la difficulté d’y dénoncer les oppressions qui y existent.
La peur des conséquences sur le groupe et son image est une des raisons pour laquelle la parole des victimes n’est pas systématiquement écoutée.
Pour contrer cette omerta, les militantes féministes tentent de mettre en place des outils afin d’accueillir les témoignages des victimes et de sanctionner les agresseurs. « Il n’y a pas de démarches générales à suivre, on agit au cas par cas. On accueille les plaintes, on se met au service des victimes et parfois lorsqu’on a l’envie et la disponibilité émotionnelle, on travaille avec les agresseurs », détaille la militante de Paris Queer Antifa. Généralement, c’est l’exclusion de l’agresseur qui est privilégiée.
La jeune femme souhaiterait qu’il existe des ressources communes et disponibles en ligne regroupant des outils pour accueillir au mieux la parole des victimes, des conseils ou des réflexions sur les situations rencontrées. Émeline Fourment a de son côté observé que les groupes informels et autonomes font généralement le choix de solutions alternatives à la plainte en justice : « Exclusion du groupe, marginalisation ou encore des processus de justice transformatrice, mais cela suppose que l’agresseur ait reconnu les faits », cite la chercheuse. Cela a ainsi été le cas pour tenter de répondre à des situations de ce type lors de mobilisations ou d’occupations, comme à Notre-Dame-des-Landes par exemple.
« La plupart du temps, on exige qu’il y ait une plainte de la victime pour engager des processus en interne, ce qui n’a pas de sens, souligne Manel Djadoun, de RED. La question de la justice est une décision indépendante de celle de l’exclusion d’un parti. La vie d’une personne ne se termine pas si elle n’est plus dans une organisation politique, mais il y a une nécessité par prévention de protéger la victime et d’enquêter en interne. »
Les cellules d’écoute, des « dispositifs incomplets »
Sachant que moins de 2 % des viols et tentatives mènent à une condamnation, se baser sur une décision de justice pour écarter une personne peut en effet être questionnable. Aujourd’hui, la présomption d’innocence semble prévaloir sur le principe de précaution, regrette la secrétaire générale du RED. Rares sont les exclusions de partis. Plusieurs affaires récentes en témoignent, comme la plainte déposée contre le député LFI Éric Coquerel pour harcèlement sexuel ou encore celle d’un élu communiste parisien et son compagnon, publiquement accusés de viol par un étudiant en 2021.
Des cellules d’écoute contre les violences sexistes et sexuelles comme celle du PCF ont été mises en place ces dernières années au sein d’autres partis politiques de gauche, dont LFI et EELV. En mai dernier, suite à plusieurs signalements à la cellule de la France insoumise, l’Union populaire a demandé au journaliste Taha Bouhafs de retirer sa candidature aux élections législatives. « Il faut aussi prendre en compte la question de l’indépendance des plateformes qui gèrent ces cellules, nuance Manel Djadoun. Il faut de la confiance entre les personnes qui recueillent les paroles et les victimes. Si les dispositifs sont seulement bureaucratiques, sans accompagnements humain, psychologique et matériel derrière, alors c’est un dispositif incomplet. »
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Plus le poste occupé est élevé, plus les organisations semblent avoir du mal à répondre collectivement à une telle situation. Dans le cas de l’« affaire Quatennens », le député du Nord a annoncé le 18 septembre se mettre en retrait de sa fonction de coordinateur au sein de La France insoumise, « en concertation avec les instances du mouvement » selon LFI, cinq jours après que la main courante déposée par son épouse pour signaler des violences a été rendue publique. Du côté des écologistes, une femme accuse Julien Bayou, secrétaire national d’EELV, de « comportements de nature à briser la santé morale des femmes », selon le témoignage qu’elle a livré à la députée Sandrine Rousseau. Reste à voir comment le parti réagira.
Lisa Noyal
* Les prénoms signalés d’un astérisque ont été modifiés
Photo : Manifestation à l’initiative du collectif « Nous Toutes » à Paris le 21 novembre 2021. ©Midia Ninja.
Notes
[1] Le sigle LGBTQI désigne toutes les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes.
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